Mais il n'est pas le seul à le faire. Il est en effet une attraction dans les quartiers qu'il sillonne car au Mexique, les Noirs sont une très petite minorité et dans ces zones pauvres de Mexico, il n'est pas monnaie courante d'en rencontrer. Ce qui frappe donc le lecteur que je suis, c'est ce regard chargé de mépris sur cet africain. Cela va au-delà du racisme puisque les préjugés sont si profondément ancrés que les mots exprimés dépassent l'entendement. Mais ce qui est passionnant c'est la figure de Djibril Nawo qui semble complètement déconnecté de cette réalité violente, qui parait même avoir une attitude suicidaire à poursuivre sa démarche, mais ce sont ces rencontres hallucinantes qui font l'intérêt de la première partie de ce roman. Il rencontre entre autres une femme étonnante, Deliz Gamboa, une poêtesse, cinéaste colombienne, femme qui prend son pied à Mexico avant d'embarquer Djibril Nawo dans ses valises pour Bogota.
L'organisation du texte est très différente dans la seconde partie qui se déroule en Colombie. Dans ce pays où un habitant sur quatre est noir, le propos de Djibril Nawo prend une forme complètement déjantée. A vous de le découvrir et de rencontrer les filles de Bogota.
Le personnage de Djibril Nawo est très intéressant. Globe-trotteur. Lubrique. Déprimé? Bien qu'observateur, il se laisse porter par les différentes rencontres avec une forme de naïveté et une impassibilité exaspérante. On pourrait le croire imperméable aux ricanements de hyène que suscitent ses scarifications auprès d'inconnus de ces mégapoles latino-américaines. On le sent déboussoler, profondément seul, cherchant à garder pied dans cet océan d'ignorance ou d'indifférence. Le problème est que les points d'ancrage dont il a besoin sont frappés par la violence de cet univers et disparaissent...
Ecoutons-le : sur les motivations du globe-trotteur.
J'avais l'impression qu'on me décrivait un pan de quotidien de Lomé, la capitale de mon pays. Vastes bazars, bien des rues de Lomé. Vastes bazars, les alentours du grand marché. Loin de chez moi, mais comme me préparant à me replonger dans des ambiances de chez moi! Pourtant que je savais que les grandes similitudes cachent en réalité des différences profondes. Je n'allais pas à Tépito pour me retrouver mais pour me perdre. Je voyage pour me perdre. Autrement, à quoi bon mettre ma vie en danger dans les avions au dessus des océans et des montagnes? Je voyage pour perdre pied, pour basculer. C'est pourquoi des quartiers comme Tepito m'attirent, je leur tends la main pour qu'ils me prennent tout entier et fassent de moi ce qui correspond à leur propre esprit, qu'ils fassent de moi un élément de leur folie inapaisable.Page 51, Editions Mercure de France
Sur sa torpeur.
J'avais éteint la télé non seulement parce que j'estimais peut-être à tort, que le reportage aurait peu de choses à m'apporter, mais aussi et surtout parce que j'étais pris par une sorte d'abattement moral dans la mesure où, à travers les propos que j'ai entendus et les visages que j'ai vus, il me semblait être en présence de condamnés à une peine qui consistait à tenter de détruire un monstre qui, hélas, renaissait encore plus puissant des blessures qu'on lui infligeait. Ce n'était pas du pessimisme ni du fatalisme, encore moins du réalisme, mais franchement une fatigue. J'étais fatigué. Fatigué de constater comme la peau, si légère, est si lourde de conséquence pour beaucoup de vivants.Page 86, Editions Mercure de France
J'ai apprécié l'écriture de Sami Tchak dans ce roman où l'intertextualité est très présente. L'écrivain togolais nous donne de nombreuses pistes pour des balades et escales en littérature latino-américaine. C'est un texte brillant à découvrir.
Sami Tchak, Filles de Mexico
Editions Mercure de France, 180 pages, 1ère parution en 2008
Je vous encourage pour avoir une opinion plus complète à lire la chronique de Liss, celle de l'écrivain Salim Bachi, celle de la blogueuse StellaMaris