Marcel42 : poème JETEZ MOI AVANT DE ME LIRE

Par Illusionperdu @IllusionPerdu

Larousse au poteau

Avec Robert et Littré

Et tous les autres

Ordonnateurs d'esprits

Limitateurs de rêves

Gardiens de sérénités passées

De philosophies mortes

Jetez moi avant de me lire

Je n'ai appris qu'un peu de français

Et quelques mots par ci par là

Que m'a légué ma mère

Que m'a crié la rue

Je suis en grande partie codifié

N'écoutez plus dans les mots que leurs musiques

Leurs violences leurs carambolages leurs poésies

Motus le mot mou

Les mots tel quel

Se laissant aller à la débine

Trois mois sous la pluie

Qu'ils prennent un peu de rouille

Les mots

Qu'ils perdent leurs dorures

Et alors mi voyous mi cabots

Faites en votre affaire de ces mots

Les mots de la rue

Ruisselants rutilants

Bourdonnants de vie

Comme la rue

La rue

C'est comme les mots

Tape à l'oeil

Piaffante de couleur et d'impatience

À hauteur du regard

Plastiquée d'or

Toilée d'ombres

Gorgée d'étal paon

Et de sourires

Tout est transparent

Nettoyé le matin

Eclairé la nuit

Tout est transparent

Personne ne voit plus rien

Que le désir qui passe

Une paire de sein qui boulique

Une paire de fesses qui bat le rappel

Une peau vernissée

Mais qui voit les visages

Personne ne voit plus rien

D'ailleurs même les enfants ne crient plus dans la rue

Ils hurlent pour se faire entendre

Ils montrent parfois du doigt

Tirés par un bras pressé

La règle de la rue

Tenir les enfants en laisse

Enfermer les hommes dans des prisons roulantes

Et tout le monde est content

Le monde des hommes s'entend

Les enfants ne crient plus dans la rue

Ah si les pieds pouvaient parler

Çà marche les pieds

Çà ne sert plus à rien

Puisque la bagnole

Mais çà marche quand même

C'est fou les pieds

La poésie c'est le pied qui marche pour rien

Comme un bagnard ou comme un voyageur

La voilà bien la vie de la rue

Piaillant du haut comme un moineau triste

Pestant du bas comme pressé d'en finir

Ah le pied du dimanche

Sautant comme un oiseau

Sur le ruisseau de la musique

Et celui de la colère

Qui défile par millier

Baissez vos rideaux de fer

Magasins des fausses abondances

Celui du coup de pied au cul

Ce gant de défi des prolos

Qui remet votre dignité à sa juste place

Celui des vacances qui jette ERAM à la mer

- Je n'oserai jamais

- Mais si osez donc

- un ERAM à la mer

- Merde qu'il se noie

Vive le pied libre

Sans rime ni raison

La raison c'est la folie de l'intelligence

Le Larousse de l'esprit

Une empêcheuse d'images

Elle à tort la raison de nous enquiquiner

Avec ses mots Robert

Avec ces mots Littré

Bien sagement liés à leur définition

Malheureux comme des chiens

Une casserole attachée à la queue

Coupez courts

Jetez tout

Jetez moi avant de me lire.

Années 1970