La gestion de la fin de vie dans le creuset de la modernité

Publié le 14 novembre 2010 par Richardlefrancois

Richard Lefrançois, La Tribune, 13 novembre 2010

Dans la tradition chrétienne, novembre est la période pour renouer avec ses proches disparus en vénérant leur mémoire. C'est ainsi qu'au lendemain de la Toussaint, l'Église catholique célèbre des messes solennelles en commémoration des fidèles défunts.

Un peu plus tôt, le 31 octobre, l'Halloween nous parle à sa manière de la mort avec ses déguisements fantomatiques et ses terrains jonchés d'objets macabres. Bien sûr, si cette fête folklorique exalte les Québécois, c'est davantage pour festoyer que pour se recueillir.

Cependant, que signifie cette rencontre du païen et du religieux autour du besoin d'évocation des morts? Malgré cette préférence contemporaine pour les valeurs profanes, se pourrait-il que nous entretenions toujours un rapport au sacré? C'est ce qui semble inspirer nos us et coutumes à l'égard des personnes mourantes et des défunts.

De l'acharnement thérapeutique à l'euthanasie

Cette confrontation des valeurs traditionnelles et modernes se trouve au coeur du débat sur la fin de vie. Rappelons que l'euthanasie, y compris le suicide assisté, vise à provoquer le décès au stade avancé d'une maladie incurable, lorsqu'il y a consentement et que toute possibilité de rémission est exclue. Une approche est d'omettre ou de réduire graduellement les traitements, l'autre d'augmenter progressivement la dose d'analgésiques puissants, au point où elle devient létale.

À l'autre extrême, l'acharnement thérapeutique défie carrément la mort. Suivant cette orientation pro-vie, des soins disproportionnés sont prodigués pour faire reculer l'échéance finale, même au prix d'une déchéance accrue de la personne.

Les soins palliatifs sont la zone grise, la position refuge, bien qu'elle avoisine l'euthanasie. Ils visent à diminuer la souffrance (administration d'antalgiques) et à accompagner le malade et la famille dans le respect, tout en assurant la meilleure qualité de vie, sans accélérer ni repousser la mort.

Or, la position pro-choix gagne du terrain. Les trois quarts des médecins spécialistes cautionnent la pratique de l'euthanasie, tandis qu'elle reçoit l'aval de la population qui perçoit bien la contradiction entre son interdit et sa banalisation effective. Un récent sondage Léger Marketing nous apprend que 71 % des Québécois favorisent sa légalisation.

Cette adhésion massive est révélatrice du changement de mentalité drastique reflétant les valeurs de liberté de choix et d'autonomie. En effet, les jeunes générations, voire les baby-boomers, sont bien informées et converties aux principes de vie promus par l'éthique moderne. Pour abréger leurs souffrances et préserver leur qualité de vie dans le respect et la dignité, elles n'hésiteront pas à renoncer aux traitements jugés inutiles et déshumanisants, même au risque de précipiter l'issue fatale.

Aussi, craignant le déracinement et l'abandon, elles espèrent vivre leurs derniers jours dans la chaleur réconfortante de leur domicile et auprès de leurs proches (55 % selon le sondage Léger Marketing), plutôt que dans la froideur du milieu "in-hospitalier" (25 %).

Du mausolée à l’urne

Les cérémonies mortuaires illustrent aussi la désacralisation progressive des rituels et le désir accru de contrôle exprimés par les familles éprouvées. Les arrangements funéraires préalables et l'acquiescement à léguer son corps à la science en témoignent. Au salon funéraire, le cadre religieux et les protocoles imposés par les entreprises chargées des obsèques sont mis à distance. La présence du prêtre se fait donc plus discrète, son rôle étant partiellement relayé par la famille du défunt.

La mode actuelle commande que l'exposition de la dépouille soit minimale (la mort se cache!) et que la cérémonie mortuaire soit personnalisée. En font foi les hommages rendus par des amis ou des membres de la famille, les présentations visuelles comme les diaporamas ou les vidéos qui rappellent des moments clés de la vie de la personne décédée, ou l'étalage d'objets qui lui étaient chers.

Habituellement les familles du défunt préfèrent des dons en espèces dédiés à la recherche au lieu des traditionnels arrangements floraux. Finalement, la crémation semble s'imposer aux dépens de l'enterrement.

Démystifier la mort

Notre questionnement sur la mort poursuit inlassablement son chemin. Le Québec joue même un rôle d'avant-garde en matière de réflexion éthique et sociologique sur la place de la mort dans notre culture, le recours aux techniques biomédicales dans les soins et les droits des personnes mourantes.

Le milieu intellectuel québécois enrichit constamment son expertise. L'Université du Québec à Montréal fait oeuvre de pionnier à la faveur de trois programmes de formation et de la publication de la revue Frontières, tous voués aux phénomènes reliés au deuil et à la mort. On retrouve sur la toile L'Encyclopédie sur la mort, une ramification du site Agora tenu par deux intellectuels québécois.

L'étape de la fin de vie n'intéresse pas seulement les spécialistes. Loin de rebuter, elle suscite l'attention grandissante de la population, à en juger d'après le succès qu'ont connu cet été les expositions À la vie, à la mort et DEUILS, présentées au Musée des religions du monde de Nicolet.

S'ajoute l'important débat amorcé récemment sur le mourir dans la dignité dans le cadre de la Commission spéciale sur l'euthanasie et le suicide assisté. Sa notoriété et sa popularité, authentifiées par des sondages, étonnent même les responsables qui prévoient augmenter les séances d'audience. À ce jour, 220 mémoires ont été déposés tandis que des milliers de personnes ont rempli le questionnaire en ligne.

L'ultime défi

En dépit de toutes les ressources médicales, technologiques et humaines destinées à nous accompagner et à nous apaiser à l'approche de la mort, l'idée de notre propre disparition demeure difficile à supporter. Paradoxalement, alors que la vieillesse craint la mort, la jeunesse la défie ou la provoque par la pratique des sports extrêmes ou la conduite dangereuse d'un véhicule. La mort fascine même certains groupes comme les gothiques. Décidément, cette réalité n'a pas de frontières dans l'expérience humaine!

Il n'empêche que l'évacuation du religieux occasionne une perte de sens dans les sociétés laïques. C'est ce qui expliquerait la vogue actuelle du tourisme religieux ou spirituel et l'engouement pour les nouvelles sectes. C'est aussi ce qui expliquerait l'accommodement des cultes mortuaires sacrés et profanes.

Cela dit, il faudra bien un jour s'attaquer au véritable défi: celui d'insuffler un sens au passage de vie à trépas, plutôt que de discourir sur nos actions pour prolonger la vie ou l'écourter.

Richard Lefrançois, Ph.D., est professeur associé à l'Université de Sherbrooke.

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Voir aussi sur ce site : http://www.jacquelinejencquel.com/post/la-gestion-de-la-fin-de-vie-dans-le-creuset-de-la-modernite.htm

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Archives, La Tribune
"Notre questionnement sur la mort poursuit inlassablement son chemin. Le Québec joue même un rôle d'avantgarde en matière de réflexion éthique et sociologique sur la place de la mort dans notre culture, le recours aux techniques biomédicales dans les soins et les droits des personnes mourantes."

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Numéro de document : news·20101113·TB·0033