ANDERNOS: Que sont ces maisons devenues?
Vous avanciez vers le
centre et l’on ne pouvait vous ignorer, tant vous étiez le passage
obligé vers la plage où les quelques commerçants animaient alors la cité
sans pour cela l’enlaidir.
Vous en avez vu passer des estivants
surpris de la beauté d’un Andernos presque sauvage et cela si près de
la vile de Bordeaux. Les cars Pons, plus d’une fois, ont éclairé d’un
furtif éclair rouge, vos vitres mal dépolies. Et les cris de tous ces
enfants, ivres d’air et de lumière, allant profiter de l’onde
bienveillante, ont dû résonner longtemps, au sein de vos âmes lourdes de
pierres et de bois.
Combien de fois votre seuil s’est ouvert,
aux parents et amis ravis d’êtres à l’abri en cet endroit précis à deux
pas du bassin ! Vous avez bravé les colères océanes et le vent de
novembre vous à bien déchaussé quelques tuiles légères et même les
marées, ont dû un jour, vous caresser les pieds.
Comme tout ce
qui vit, de bonnes et mauvaises choses ont franchi la porte de votre
intimité, mais vous ne le montriez pas, vous aviez par nature une grande
dignité. Je vous ai toujours vu, et cela loin dans le temps, quand lors
des congés scolaires, je venais habiter chez ma chère grand-mère.
Vous
étiez le témoin des choses permanentes et dans cet univers fixe, on
avait l’impression de ne pas vieillir trop vite. Vous deviez vous
réjouir, et frissonner d’aise, quand les vendredis soir, fenêtres et
volets ouverts à la volée, vous faisaient changer d’air pour deux jours
de folies.
Les années, un jour se sont accumulées et les humains
vieillissants ont quitté le logis, pour migrer vers des maisons proches
de la dernière. On s’est écarté de votre destin et vous avez commencé à
ressentir les affres de l’abandon, car une demeure n’existe que de
l’intérieur. Les termites affamées, ont commencé leur œuvre digestive et
de par les trous de la toiture, les pluies traversières ont minés les
mûrs de plâtre et salpêtrés la pierre.
L’herbe autour de vos
pieds malades s’est mise à pousser drue, refuge apprécié de tous ces
chats sans-abri, que des mains charitables viennent parfois secourir.
Un
jour, il devait faire beau, comme dans la plupart des drames, un engin
de chantier et venu faire trembler vos fondations fragiles. Il vous a
happé au flanc et retiré vos entrailles entraînant la toiture dans une
pluie de tuiles.
J’ai vieilli d’un coup quand je vous vis
disparaître et qui peut avouer sans mentir, que grande fut notre peine
de vous voir partir. Nos racines inconscientes s’agrippaient à la
vision rassurante de vos silhouettes qui semblaient à l’épreuve du
temps. Plutôt que de vous réhabiliter, on vous a fait souffrir au profit
de l’argent qui dévore ces hommes qui n’en ont pas besoin.
Je
contemple à votre endroit, des immeubles massifs où l’on ne voit
personne si ce n’est des bureaux ou des agences de biens, pour acheter
plus encore. Mon cœur se serre de cette densité urbaine qui chasse de
nos cœurs le souvenir de ces villas modestes qui faisaient le charme
d’un Andernos aimé.
François Veillon