Dans les films de la blaxploitation un des personnages récurrents est le souteneur, le pimp.
Des films comme The Mack, Dolemite ou Willie Dynamite tournent entièrement autour de ce personnage, tandis que d'autres comme Truck Turner, Coffy etc. l'incluent dans leur trame narrative sans qu'il y soit un élément essentiel.
Il ne s'en révèle pas moins une figure assez importante, même les films de l'époque qui ne sont pas classés dans le genre Blaxploitation y font référence, par exemple Mc Q de John Sturges avec John Wayne.
Ce personnage s'il existe bel et bien dans la criminalité ordinaire, fait une entrée magistrale dans la littérature avec l'ouvrage d'Iceberg Slim : Pimp.
Iceberg Slim dans ce roman autobiographique revient sur son parcours de maquereau qui l'a, on s'en doute, mené maintes fois en prison avant qu'il ne s'amende et ne devienne écrivain justement en livrant ses mémoires. Le livre aura un succès retentissant, il est publié en 1967 et en 1973 a déjà été réédité 19 fois, et influencera de façon durable la représentation du maquereau, chez d'autres écrivains, comme Donald Goines, et au cinéma.
On peut vérifier par ces deux extraits les préoccupations qui vont traverser les personnages de maquereau dans la littérature afro-américaine :
" L'aube se levait tandis que la grosse Cadillac filait le long des rues. Mes cinq putes bavardaient comme des pies soûles [...] Mes parois nasales étaient à vif. C'est ce qui arrive quand on se bourre de cocaïne. [...] j'étais d'une humeur massacrante malgré le gros tas de fric qui remplissait la boîte à gants ".
C'est ainsi que commence le récit d'Iceberg Slim, on y trouve un écho dans un ouvrage de Donald Goines :
" C'est tout ce qui vous intéresse vous les macs, les poches pleines d'argent et une Cadillac "
Les deux éléments prédominants des préoccupations du maquereau semblent être l'apparence vestimentaire et la voiture, la Cadillac, qui est même chantée par William de Vaughn en 1977 dans son morceau Be Thankful. " Now you may not drive a great pink Cadillac ".
Les bijoux occupent également une place importante dans les soucis esthétiques du souteneur : " Le diamant qu'il avait au doigt explosait comme un feu d'artifice d'un bleu pâle et glacé ", " je regardais ma nouvelle montre une Longines incrustée de diamants.".
Un autre extrait de Street Players de Donald Goines montre très bien l'importance de l'apparence pour le maquereau : " Il a pris tout son temps pour choisir un costume parmi les douzaines qui étaient suspendus dans son placard. Après avoir longtemps hésité, il s'est décidé pour un costume en soie bleu marine, qu'il a posé sur le lit. Il a regagné le placard et y a pris une paire de chaussures de daim bleu nuit. Puis, de la commode, il a sorti une chemise en soie bleue clair et une cravate assortie. Lent et méticuleux, il a mis à s'habiller autant de soin qu'une femme [...] Puis il a gagné son étagère à chapeaux. Il lui a fallu un quart d'heure pour se satisfaire de la façon dont le Dobbs Fifty était posé sur sa tête. Il a légèrement incliné le chapeau à bords étroits sur sa tête."
De beaux vêtements couteux, des bijoux, une belle voiture tout cela aussi ressort du récit d'Iceberg Slim :
" Un type maigre qui portait sur le dos au moins cinq cents dollars de fringues vint s'asseoir sur l'autre siège. Il avait du vernis argenté sur les ongles et puait le parfum. "
" J'achetai deux costards à deux cent dollars que je payai soixante dollars pièce à un voleur qui habitait au deuxième étage de l'immeuble. La même semaine Top me présenta à un de ses copains qui vendait une LaSalle presque neuve. "
Ces descriptions littéraires ne sont certainement pas étrangères aux looks exubérants des maquereaux à l'écran.
On peut le constater avec Willie Dynamite.
Ou encore le maquereau dans Coffy :
Ces trois éléments, les fringues, les caisses et les bijoux qui sous entendent en fait la possession en quantité d'un autre élément, l'argent, qui permet leur acquisition, sont constitutifs de ce que l'on nomme aujourd'hui dans le Rap, notamment le Gangsta Rap, le bling-bling.
Non seulement les textes mais également les clips montrent l'influence d'Iceberg Slim (Ice-Cube et Ice-T lui rendent même hommage dans leurs blazes) et de Donald Goines sur les rappeurs.
Le maquereau, qui est mis à l'honneur dans le clip de 50 cent P.I.M.P et de façon plus ou moins explicite dans la majorité des clips de Snoop, demeure, quelques décennies après l'émergence de sa figure en littérature, une valeur sure.
Reste à savoir si cette thématique est récurrente parce que l'imaginaire afro-américain tourne autour des mêmes figures depuis disons la fin des années 50 ou si les conditions sociales qu'ils rencontrent, qui n'auraient pas ou peu évolués, les forces à reproduire les mêmes schémas de comportement. Bumpy Johnson que j'évoquais la semaine dernière fut aussi maquereau à ses heures je rappelle ses déclarations : " " c'est vrai je suis un voleur et un maquereau et un voyou. Que voudriez vous que je fasse ? Descendre à Central Station et porter des sacs pour quelques centimes [...] Lucky Luciano peut vivre au Waldorf, mais peu importe combien j'ai d'argent je ne peux pas y entrer et me prendre une chambre [...] tout ce que j'ai à faire c'est rester noir et mourir. Les blancs ne nous laissent rien d'autre que le milieu interlope, ils transforment en voyous et en voleurs tous les nègres qui en ont. "
Ces déclarations faites dans les années 30 trouvent un écho dans le travail d'un sociologue afro-américain, Kenneth Clark, dans les années 60 : " Le chef de guerre d'un des derniers gangs de Harlem à qui on demandait pourquoi il n'allait pas " chercher du travail en ville " éclata de rire et répondit :
Allons donc, vous rigolez ! Je me fais quarante ou cinquante dollars par jour en vendant de la marijuana. Et vous voudriez que j'aille dans le quartier de la confection pousser une voiture à bras le long des rues pour rapporter quarante ou cinquante dollars chez moi à la fin de la semaine, et encore les bonnes semaines ! Un animal ne ferait pas le boulot que vous me conseillez d'aller " chercher en ville ". Si un animal poussait ou traînait une de ces charrettes il se constituerait aussitôt une société pour le protéger. Je vaux mieux qu'un animal mais personne ne me protège. Allez-vous-en, monsieur, je me charge de moi-même. ".
Le crime comme activité sociale obligée, si l'on aspire à une vie décente, semble se pérenniser comme le confirmera encore quelques décennies après un sociologue français, Loïc Wacquant, qui travaille aux Etats-Unis : " " l'un dans l'autre, la polarisation de la structure socioprofessionnelle et salariale, le déclassement des emplois à faible qualification et le durcissement de la segmentation du marché du travail déqualifié ont tari les possibilités d'emploi des habitants du ghetto et repoussé un nombre croissants de noirs sans qualification vers le seul secteur auquel ils ont aisément accès : l'économie informelle et illégale de la rue. "
Le crime semble traverser les époques et les générations. Il semble si présent dans la vie des afro-américains les plus démunis qu'il aboutit à l'un des grands paradoxes du Gangsta Rap. Être un maquereau ou un dealer, bref un criminel, c'est ce que tous ces rappeurs veulent ou prétendent être. A commencer par les deux grands noms du genre que sont Biggie et Tupac.
Le film retraçant la vie du premier, sorti en 2009, le présente comme un dealer de crack, un petit voyou qui errait dans les rues prêt à toutes les arnaques pour s'en sortir, mais qui finalement s'en tire par l'exploitation providentielle de son don pour le Rap.
Le film est produit en partie par sa mère, Vonetta Wallace, qui a peut être oublié avoir déclaré en 2002 à Nick Broomfield dans son documentaire Biggie et Tupac, que son fils fabulait dans ses textes, parce qu'elle travaillait comme enseignante et que son salaire lui permettait de le tenir à l'écart de la rue. Elle disait que son fils n'a jamais manqué de rien et qu'il n'a certainement jamais vendu de crack. Ce que confirme son ancien employeur qui est interrogé dans l'épicerie qu'il tient et affirme que le jeune Christopher Wallace n'a jamais livré autre chose que des courses alimentaires (et non pas des paquets de drogue).
L'artifice est le même que pour Snoop qui se présente comme un maquereau alors qu'il est marié à la même femme depuis des années, une femme qu'il a rencontré au Lycée.
L'image du maquereau, ou celle du gangster, fait vendre, la preuve Curtis Jackson a repris le surnom d'un vrai méchant, Kevin Darnell un assassin prêt à ôter une vie pour rien d'où son surnom de 50cent dans le quartier de Brooklyn qu'il terrorisait.
Au-delà d'une esthétique qui est reprise dans les clips, c'est tout une attitude qui est copiée, une attitude de maquereau, de dealer, bref de gangster qui, dans le Rap, permet, à des gens issus des classes moyennes, de vendre des disques (une activité tout à fait légale) en appelant à l'illégalité, à des jeunes des classes populaires qui eux n'ont pas forcément la possibilité de devenir artiste.
Iceberg Slim n'était pas une image, le mode de vie qu'il raconte par le menu est celui qu'il avait adopté. Mais on se demande si les rappeurs, gangsta, sont vraiment des maquereaux ou s'ils entrent plutôt dans " l'écurie " de l'industrie musicale qui se charge de leur fabriquer une image bien composée et colorée comme dans les films de la blaxploitation.