Malheureusement les événements cinématographiques se font rares de nos jours. Le cinéma moderne est engoncé dans une épaisse enveloppe de conformisme et d’académisme. Les expériences visuelles qui conditionnent un avant et un après sont à compter sur le bout des doigts.
"Buried" de Rodrigo Cortés appartient à cette catégorie d’œuvres qui marquent le public, la critique et les annales du cinéma. Un moment, une
parenthèse qui nous change à jamais. Une temporalité autre qui repousse les limites du déjà-vu.
Paul Conroy (Ryan Reynolds) est chauffeur
routier en Irak. Kidnappé, il se retrouve prisonnier dans un cercueil de fortune et enterré profondément. Pour survivre tant bien que mal il possède un briquet, une torche électrique et un
téléphone portable. Ses minutes semblent comptées.
Rodrigo Cortés réussit un pari monumental : passionner son auditoire pendant 1h35 avec un huit clos intégral.
Point de préambule ni de conclusion à l’air libre (l’impact du film aurait été certainement moindre). Le spectateur partage pleinement cette claustrophobie imposée par la force des choses. Nous
sommes coincés entre quatre planches au même titre que ce type ordinaire qui ne comprend pas trop ce qu’il lui arrive.
"Buried" est construit sur la présence d’un seul personnage à l’écran. C’est l’une des forces du long métrage
et l’un des ses nombreux centres d’intérêts. Seuls des appels téléphoniques et une vidéo reçue sont des fenêtres sur le monde, sur un ailleurs.
Jamais le besoin de respirer ne s’était fait sentir à ce point. Le sentiment d’enfermement nous prend aux
tripes dès les premières secondes. L’obscurité initiale et l’étroitesse du lieu installent une impression de malaise permanent qui perdure de bout en bout. L'emprisonnement réveille la pire de
nos terreurs nocturnes. Un cauchemar de 95 minutes qui bouscule tout sentiment de bien être et d’assurance. Comme Paul Conroy nous voyageons au cœur de la peur primale.
Le metteur en scène espagnol maintient le cap sans laisser au spectateur le temps de reprendre son souffle.
Le rythme est entretenu par une succession d’événements aussi imprévus que détestables. Rodrigo Cortés agît tel un charmeur de serpent. Jamais il ne nous laisse l'opportunité de nous ressaisir et
de penser : "après tout c’est du cinéma".
Son décor est tellement bien planté et l’immersion si profonde que le public perd pied. Le suspense,
l’abandon, l’angoisse vissée aux tripes grandissent en même temps que les images défilent sous nos yeux. Quand la détresse morale et la douleur physique sont à leur paroxysme, on souhaite que
tout se termine au plus vite pour Paul Conroy. Qu'importe la manière.
Homme de son temps, Rodrigo Cortés utilise le téléphone à bon escient comme vecteur pour faire rebondir son
long métrage sans cesse. Les coups de fil échangés entre ce chauffeur routier et les autorités américaines, un service d’urgences et son employeur nous font sortir de nos gonds. Lourdeur
administrative ou incompréhension chez les uns, cynisme chez les autres, tout y passe.
Dans "Buried" le sentiment d’abandon est l’un des constantes du long métrage. Le spectateur lambda dans un
éclair de lucidité se rend compte que l’espoir est factice tant les chances de survie de ce pauvre héros semblent bien dérisoires. Cette certitude contrefaite donnée par des correspondants
anonymes met en relief le monde dans lequel nous vivons. L’égoïsme de la société transperce de part en part l’œuvre de Rodrigo Cortés.
Techniquement "Buried" est aussi pleinement une réussite. Même si le spectateur se rend parfaitement compte
que Rodrigo Cortés triche en quelque sorte avec l’exiguïté supposée du lieu (8 cercueils ont en fait servi lors du tournage), le piège fonctionne à merveille.
Le réalisateur nous offre des dizaines d’angles de caméras qui installent cette claustrophobie communicative.
La personne est tantôt cadrée dans sa globalité, tantôt dans ses multiples divisions. Les expressions physiques du corps (la douleur, la sueur) agissent comme un véritable langage
corporel.
Le film est construit sur l'alternance entre obscurité et clartés artificielles (flamme d'un briquet, torche
électrique ou néons flexibles) et des sentiments qui s'y rattachent. La lumière c'est la vie, la pénombre ou le noir total soulignent nos paniques les plus élémentaires. Le travail photographique
sur "Buried" est diablement admirable.
Ryan Reynolds porte le film sur ses épaules si j’ose dire. Une performance de premier ordre, une prestation
qui fera date dans l’histoire du cinéma. L’acteur américain met en valeur un jeu sûr aux multiples nuances. Jamais il n’avait aussi convainquant.
"Buried" est plus qu’un film parmi tant d’autres. C’est aussi une expérience de vie, un voyage aux frontières
de la frayeur la plus basique. Un tour de force de génie d'un réalisateur qui prend place dans la cour des grands.
Une œuvre de fiction qui nous enterre à six pieds sous terre.