N'êtes vous pas surpris ?
Sarkozy est resté 10 heures sur place, à Séoul. Pas une minute de plus.
Depuis des semaines, on nous répétait pourtant que les enjeux de ces G20 et G8 sont primordiaux, que la présidence française, qui a débuté hier à l'issue de ce dernier sommet à Séoul, avait des objectifs ambitieux. Sarkozy, il y a 15 jours, invoquait son agenda international « extrêmement » chargé pour justifier qu'il prenne le temps de répondre à l'inquiétude sociale en France. Christine Lagarde détaillait voici 10 jours les avancées majeures des premières réunions entre ministres des finances. Sarkozy avait multiplié les contacts, avec Angela Merkel et Vladimir Medvedev à Deauville, David Cameron à Londres, puis Hu Jintao il y a une semaine à Paris et Nice. A Séoul, Sarkozy a même promis une conférence de presse sur ces sujets, en janvier, à Paris, promesse incroyable quand on sait que le dernier exercice similaire réalisé date de janvier 2008 tant le Monarque rechigne à être plus ou moins librement questionné par les journalistes : « L'un des enjeux, c'est de faire comprendre que ce dont il est question a des conséquences sur la vie des gens », a-t-il expliqué vendredi, mais « c'est technique, les gens se disent que tout ça est lointain. Ce n'est pas gagné ! »
La presse économique a largement relayé les inquiétudes européennes et françaises : les Etats-Unis ont ravivé les guerres des monnaies, en décidant d'injecter 600 milliards de dollars dans l'économie, provoquant une dévaluation de facto de leur devise. La Chine est accusée de doper ses exportations à cause de son Yuan sous-évalué. Les pays émergents accusent l'Europe de protectionnisme. Les bourses mondiales sont toujours sous tension. En Europe, l'Irlande est bousculée par les marchés à cause d'un déficit budgétaire qui dépasse les 30% de son PIB. Le Conseil de Stabilité financière a dû cacher une liste de banques systémiques. Bref, même si ce G20 à Séoul ne promettait aucune réforme miracle, les enjeux étaient de taille et Nicolas Sarkozy semblait y être sensible.
On aurait donc tout à fait compris que le patron de Sarkofrance sèche les cérémonies du 11 novembre à Paris pour rejoindre ses collègues du G20 dès mercredi.
Il n'en fut rien. Jeudi matin, il a préféré s'afficher au pied de l'Arc de Triomphe, pour un double hommage, à l'armistice du 11 novembre 1918 et aux lycéens et étudiants qui bravèrent l'interdit pour manifester le 11 novembre 1940. Il n'est parti qu'après les cérémonies, dans son nouvel Airbus A330, entièrement rénové. A Séoul, les autres dirigeants avaient déjà travaillé une journée durant. Vendredi vers 3 heures du matin, les négociateurs parvenaient à un accord, minimaliste, après des heures d'âpres discussions. le président français était encore en vol. Sarkozy rata le dîner d'ouverture du sommet de Séoul. Arrivé sur place vendredi matin à 9h heure locale, il ne pouvait assister qu'à deux réunions, et, évidemment, assurer une conférence de presse, pour repartir aussi sec et sécher le dîner de clôture, contrairement à ce qui était promis.
Dès son arrivée, Sarkozy a rencontré ses homologues britannique et allemand pour discuter de l'Irlande, en marge des discussions du G20. Le ministre des Finances allemand Wolfgang Schäuble a critiqué la spéculation contre l'Irlande, et rappeler que l'UE s'était doté de mécanismes de soutien auxquels tout pays membre peut recourir pour éviter tout défaut de paiement. Ensuite, il a participé à deux forums, l'un sur l'énergie et le climat, l'autre sur la lutte contre la corruption. Des paradis fiscaux, il ne fut pas question. Ces derniers existent toujours, ils ont simplement changé de nom.
Il y a trois interprétations possibles à cette attitude.
1. Présider les cérémonies du 11 novembre serait incontournable. L'absence de Nicolas Sarkozy aurait été très mal vécue. Il devait de surcroît inaugurer une stèle en l'honneur des lycéens et étudiants qui manifestèrent le 11 novembre 1940 au pied de l'Arc de Triomphe, malgré l'interdiction de l'occupant nazi. Cette explication est une peu courte. Primo, l'urgence internationale aurait sans doute été très bien comprise par nos concitoyens. Il n'y a plus de survivant de la grande guerre, et ce n'est pas faire honte à la mémoire de cette boucherie inutile entre Européens que de laisser un François Fillon revigoré par sa remontée en grâce présidentielle s'occuper de l'hommage. D'ailleurs, Sarkozy n'a pas assisté au troisième hommage du jour, en l'honneur des 100 000 soldats musulmans tués pendant les deux conflits mondiaux, un peu plus tard dans la journée de jeudi. Pire, la fameuse stèle pour le 11 novembre 1940 ... existait déjà : une autre plaque, sur les Champs Elysées, avait été installée sous René Coti, en 1954. Sarkozy a voulu nous faire croire son hommage était le premier du genre. C'est raté !
2. Autre explication, Sarkozy a eu peur de s'afficher trop fortement à un sommet voué à l'échec. Contrairement au story-telling de ces derniers jours, Nicolas Sarkozy ne croyait pas aux chances de ce G20 d'aboutir à une quelconque conclusion significative. Il devait faire acte de présence, sans plus. Et garder son énergie pour les réunions à venir. Dans la presse, ses conseillers ont multiplié les confidences sur l'agenda français pour les mois à venir, comme si ce sommet de Séoul était terminé avant d'avoir commencé.
Vendredi, un communiqué officiel du G20 a détaillé le « plan d'action de Séoul », un ensemble de belles intentions, sans moyens ni planning de mise en oeuvre. Tout juste ont-ils rappelé leur hostilité aux dévaluations compétitives et l'urgence à « coordonner » les politiques économiques : « Les économies développées, y compris celles avec des monnaies de réserve, doivent se montrer vigilantes contre une volatilité excessive et des fluctuations désordonnées de leur taux de changes.» Les chefs d'Etat ont confié à la présidence française et à leurs ministre des Finances d'élaborer au cours du premier semestre 2011 « des directives indicatives » afin de détecter les déséquilibres commerciaux importants qui menaceraient de déstabiliser l'économie mondiale. Ces directives seront « composées de divers indicateurs censés permettre d'identifier en temps opportun les déséquilibres qui nécessitent des actions préventives et correctives». De son côté, le président chinois a promis de réévaluer le Yuan, si l'environnement extérieur restait « favorable », une pique à l'encontre des pays occidentaux suspectés de protectionnisme. Obama a défendu la relance américaine, qui, selon lui, vise à « stimuler la croissance » aux Etats-Unis « mais aussi à l'étranger .»
3. La dernière explication à cette attitude dilettante du président français est encore plus cynique. Nicolas Sarkozy a surjoué l'importance de la situation internationale à des fins simplement électorales. Depuis des mois, il pense, et répète, qu'une partie de son salut viendra de ces tribunes internationales.
A Séoul, Nicolas Sarkozy a quand même tenu une conférence de presse : « cette présidence » du G20, « nous l'abordons avec ambition et réalisme. » Ou encore : « Je mesure l'immensité du chemin qui reste à parcourir. » Il a même rappelé ses priorités qui ne sont même pas dans l'agenda défini par le G20 à l'issue du sommet : « la moralisation du capitalisme, la stricte surveillance de la rémunération des traders, stricte surveillance des paradis fiscaux ». C'est dit. Sarkozy veut se faire mousser à l'étranger, quitte à imputer un échec prévisible aux autres pays. « Si le G20 ne s'attaque pas aux réformes structurelles dont le monde a besoin, il perdra sa légitimité.» A l'écouter, il avait presque déjà gagné sa présidence, avant même qu'elle ne commence : « déjà que le G20, qui n'a que deux ans d'existence, accepte de donner mandat à une présidence pour embrasser de tels sujets !.... » et il ne finit pas sa phrase...
Un journaliste, Michael Darmon (France 2) a osé lui parler remaniement. Sarkozy a fait l'offensé... « Vous ne m'en voudrez pas, mais je ne répondrai pas à des questions strictement françaises... »
Mais pourquoi est-il donc parti à Séoul ?