Magazine
En me levant ce matin, je me suis branché sur le net pour accompagner l'espresso des nouvelles du jour. De la veille en fait. Sur la page d'accueil de Cyberpresse, la photo affolante d'une haïtienne brulée à l'acide par son mari avec en titre d'article, 'La violence conjugale en Haïti : Le fléau caché' (L'article). L'article raconte l'histoire de deux femmes victimes de la violence de leur conjoint. Deux haïtiennes qui interviennent auprès des victimes et militent dans des groupes de défense des droits des femmes commentent la situation. Le patron de La Presse publie lui aussi un article de mise en garde. Se disant conscient que la photo de la Une allait être bouleversante. Tout commentaires serait inutile … On comprend dans l'article du patron que l'équipe a pris le temps de bien réfléchir à ce qu'elle s'apprêtait à publier et que suite aux échanges, ils ont cru pertinent de frapper fort : 'Car à la fin, nous avons décidé de mettre cette photo telle quelle à la une pour une raison: nous pensons qu'il est de notre devoir de sensibiliser la population québécoise et canadienne ainsi que l'opinion publique mondiale face à une situation révoltante, celle des femmes victimes de violence en Haïti.' Depuis ce matin, tourne dans ma tête le même fichu questionnement : Qu'est-ce qui dans la violence conjugale haïtienne est si 'révoltant' qu'il faille en informer la planète, et l'informer de cette manière ? Je veux dire la photo, le texte et le texte de mise en garde. J'ai relu l'article principal à plusieurs reprises et, je dois l'avouer, je n'arrive pas à comprendre le traitement journalistique donné à l'affaire. Je ne vois pas 'l'histoire' comme j'entendais les journalistes le dire lors de leur passage chez-nous en janvier dernier. Pas d'évidence qu'il y aurait en Haïti davantage de conjoints violents qu'ailleurs sur la planète. Que les femmes haïtiennes seraient plus violemment battues que les autres femmes sur cette même planète. Que cette réalité serait davantage cachée ici en Haïti qu'elle ne le serait au Québec, en Italie, en Australie ou en Tunisie. Que la culture 'machiste' serait ici plus forte qu'ailleurs dans le monde. J'avoue, je ne comprends toujours pas ni l'intérêt ni la pertinence d'un tel traitement pour une réalité aussi tragique.
Dans les premiers jours de notre arrivée ici, Jo et moi sommes allés à la messe, pur intérêt anthropologique. Le curé du haut de sa chaire rappelait aux femmes dans l'église la teneur de leur rôle au sien de la famille, en gros : Soyez soumises. Cette 'culture' nous crève les yeux tous les jours, on entend des histoires de gifles, de meurtres ou de conjoints contrôlants. On en parle également à tous les jours, l'affaire est l'objet de campagnes médiatiques continues, les grandes organisations internationales en font une priorité, le gouvernement aborde clairement la question entre autres sous la férule d'un Ministère de la condition féminine très dynamique. Les journalistes ont fait des dizaines de topos sur cette question depuis qu'un million de personnes vivent sous des abris temporaires. Des centaines d'ONG impliquées dans les camps interviennent relativement à la prévention de cette violence. De lire que ce fléau est 'caché' ne ressemble pas à la réalité que j'observe. Je ne dis pas qu'on en parle assez, je ne dis pas non plus que les groupes n'ont pas à se battre pour faire diffuser les informations relatives à cette violence, je ne dis pas que le débat est pleinement ouvert, mais je dis qu'on en parle. Pour la suite, on devrait tenter de comprendre comment le cadre légal protège les femmes, mariées comme celles qui sont en situation de 'petit-ménage' ? Comment, les juges et le policiers sont formés sur ces questions ? Quelles sont les positions des églises ? Comment on est ou non en mesure d'aider les femmes et leurs bourreaux ? Comment les positions des différentes ONG (souvent religieuses) s'intègrent à la réalité locale ? Comment la photo de la Une sert-elle la cause des femmes haïtiennes qui sont victimes de leur conjoint ?