Je passe une excellente nuit complète sous la tente, plus longue et moins chaude qu’au refuge. Cinq minutes suffisent pour ranger mes affaires et fourrer le duvet en sac, c’est l’organisation. Le démontage des tentes est un peu plus long, nous n’avons pas encore l’habitude. Nous préparons notre pique-nique à emporter, deux ou trois sandwiches de pain de mie à fourrer de jambon, harengs, fromage ou tomate. Des thermos d’eau chaude et de café sont à trimballer. Curieusement, il y en a une pour deux, mais il en reste toujours à porter chaque jour !
Le camion rouge, qui nous mène vers la falaise, où nous allons marcher pour gagner la crête d’un peu après Latrabjarg jusqu’à un peu avant Skor, à l’endroit où une rivière a tracé son delta verdoyant. Un rapace est posé sur un rocher, près du chemin. C’est un smyrill ou faucon émerillon. Divers pétrels criaillent alentour tandis que des fulmars planent au-dessus du vide, se laissant porter par les courants ascendants des bords de falaise. Le sol est parsemé d’airelles, de lichens et, dans les endroits humides, de grassette à la touffe de coton blanc artistement posée sur la tige.
Nous mangeons notre pique-nique au soleil sur la falaise, au sommet, à l’abri du vent. Non seulement il ne pleut pas, mais le soleil voilé se montre parfois. Nous apercevons en contrebas la longue plage de sable orientée sud où vient mourir l’eau bleue en frange d’écume. La mer s’est retirée assez pour laisser une partie fertile derrière l’estran. Quelques champs en damier vert voient pousser je ne sais quels végétaux comestibles. Avant de rejoindre la plage, nous devons passer une rivière à gué, sur de grosses pierres.
La plage vide est de sable noir et jaune, lave et coquilles mêlées. Le noir est de la poussière de basalte et le jeune du sable coquillier. Il nous fait remarquer les strates de la falaise, qui sont horizontales, mais sont coupées parfois de strates verticales. Il s’agit de volcans en coupe, de cheminées d’évacuation et de couches successives de lave alentour.
Des vertèbres et des côtes de baleine sont assemblées sur une butte. Comme un gosse, Le guide en construit un mausolée, ou une œuvre abstraite façon école maternelle. Il amuse la galerie mais le public aime ça. Moules, patelles, bigorneaux, praires jonchent le sol devant l’écume. Le souffle incessant du ressac nous balaie. Les cris des pétrels annoncent le danger que nous sommes à qui veut l’entendre. Les sternes commencent leur rituel d’éloignement des ennemis du nid posé sur le sable, entre deux touffes d’herbes lorsqu’il y en a. Course, puis semblant de blessure aile pendante pour attirer le prédateur, cri d’appel s’il ne vient pas – et le jeu recommence.
Nous marchons un long moment sur le sable, ce qui devient vite pénible, la cheville devant assurer dans le mou. Certains se sont trempés les pieds dans l’eau salée glacée, mais remettent leurs chaussures pour avancer. Au sable succède l’herbe à vaches, avec quelques spécimens ruminant tout en nous regardant passer.
Nous terminons en ordre dispersé, et non sans faire connaissance avec un marais tourbeux gardé dans un coude de la petite rivière par des oies énormes, devant la ferme de Spadakst, décorée viking. Des crânes secs, des plumes et autres accessoires chamaniques sont cloués sur les portes et les piliers pour éloigner les esprits et peut-être en imposer aux étrangers. Dans ce hameau composé d’une ferme ou deux et appelé Lambatn, nous attend le camion rouge et sa remorque de matériel. Depuis quelques heures, nous avons même du soleil. Nous dévorons inexplicablement les biscuits du goûter. Peut-être l’air marin ?
Le bus revient sur ses pas d’hier vers le ferry, en direction du gîte de ce soir à Raudsalir. Une chambre de quatre, dans laquelle se mettent les filles, et des chambres de deux. Les lits jumeaux sont confortables même si les chambres sont étroites, ne tolérant qu’une soixantaine de centimètre entre les lits qui occupent tout l’espace entre la porte et la fenêtre. Trois WC-douches modernes, mais curieusement l’eau chaude n’est pas réglable, les boutons sont décrochés. Vous avez donc de l’eau froide au début et, très vite, brûlante. A lire les remarques dans le livre d’or, cela fait un moment que cela dure. Il ne s’agit donc pas d’une réparation à faire mais d’un parti-pris volontaire. Est-ce pour limiter le temps sous la douche ? Je joue du lavabo et de la douche, la laissant refroidir avant de me rincer rapidement. Des prises permettent heureusement de recharger la batterie de l’appareil photo numérique, car ces objets n’aiment ni le froid ni l’humidité.
La tôlière est une plantureuse blonde assez mûre. Comme elle est suivie d’un jeune homme, une fille commente aussitôt : « c’est son fils ! » Pourquoi donc ? Ce peut être tout aussi bien son frère ou son amant, ou même un travailleur saisonnier. Elle a la carrure d’une femme couguar. Curieusement, les filles ne connaissent pas cette expression.
Nous préparons la cuisine dehors, sur la terrasse en pelouse, face à la mer. Un barbecue permet de préparer des côtes d’agneau, qui seront accompagnées du mélange de légume islandais typique : petits pois en purée et chou rouge émincé cuit. Nous terminons par des poires au chocolat fondu, c’est excellent ! L’océan calme et sa plage de sable jaune devant nous, à une centaine de mètres en contrebas, rappelle la douceur marine de nos contrées. Avec quelques degrés de moins, mais il ne fait pas froid. Une famille française joue aux cartes et leur ado est en tee-shirt et pieds nus.
Le paysage est un peu celui de la Bretagne, sans le monde. D’où les commentaires souvent dithyrambiques des Français de passage sur le livre d’or. Cela leur vaut parfois quelques remarques acerbes d’Anglais ou de Hollandais. Un Britannique écrit ainsi : « ah, ces Français venus en deux familles avec six ou sept gosses, qui font de l’autorité, font pleurer les petits, occupent les chiottes tout le temps et les douches pour leur lessive qui n’en finit pas, et qui exigent de tout le monde le silence complet à 22 h pour que les petits dorment ! So French…
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