7 janvier 1896/Mort de Paul Verlaine

Publié le 07 janvier 2008 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours



Frédéric Bazille (1841-1870)
Portrait de Verlaine en troubadour, 1868
Huile sur toile, 45,87 x 38,1 cm
Dallas Museum of Art
Source

I

  Paris, 7 janvier 1896. Celui qui vient de rouler nu sur le carreau glacé de sa chambre, au 39 de la rue Descartes, ne sait pas qu’il est entré en agonie. Il y a une route devant lui qui n’en finit pas de monter, toute droite, avec du soleil et les flaques d’ombre des grands arbres où il fait si bon se rafraîchir un moment avant de poursuivre. Il y a cette route qui s’en va, toute droite, devant lui comme une fille gironde, mis il a beau lancer tout son corps en avant, rien à faire, il reste sur place. On dirait qu’un boulet de forçat le retient, qui lui tord la jambe, ou c’est un éclat de schiste à la place de la rotule qui tourne mal, et qui grince et lui vrille jusqu’au cœur.
  Crénom, cette route pourtant est de toujours, c’est la même, il l’a faite cent fois, elle le connaît par cœur. Il lui semble qu’un petit effort, voyons, suffirait pour atteindre ce glacis d’ombre, là-haut, délectable ô combien par cette chaleur torride et ce soleil de midi qui écrase tout. Allons, Verlaine, ce n’est pas le moment de flancher. Il y a toute cette route devant toi, bien droite, et tu n’as qu’à monter.

II

  C’est la première et la dernière image : un homme qui marche. D’abord, on ne voit que lui. De dos. Une espèce de grand oiseau noir aux ailes repliées. Sur la tête, un chapeau haut de forme, et, s’écartant du corps claudicant, une canne qui bat l’air un peu. C’est à peine si le mouvement des jambes est perceptible. Simplement, la silhouette diminue peu à peu, rapetisse jusqu’à ne plus être qu’un point qu’on perd dans la lumière. Alors le paysage alentour apparaît.
   C’est un tableau de campagne comme nous en avons connu, reposant au possible : un gros chemin de terre qui coule entre deux rangées d’arbres, ormes, tilleuls, va savoir. Et, de part et d’autre, passé le talus, une vaste étendue jaune ou verte : colza, luzerne, avec au fond la barrière noire des bois sous la bâche bleue qui ondule mollement. Et la route à nouveau tout au bout comme un point d’orgue ouvrant des hectares de silence.
   C’est une carte postale oubliée dans un livre, et la mémoire n’a rien gardé d’elle que ce vers en légende, ce dix-pieds allègre et décidé qui répète : La route est droite et tu n’as qu’à monter.

Guy Goffette, Verlaine d’ardoise et de pluie [1996], Éditions Gallimard, Collection folio, 1998, pp. 13 à 20.





Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) Paul Verlaine/Mon rêve familier ;
- (sur Terres de femmes) 10 octobre 1684/Naissance d’Antoine Watteau (Verlaine, Clair de lune, Fêtes galantes).



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