Le sommet du G 20 s'est tenu au pays du matin calme. Calme comme le communiqué de presse. La presse s'en émeut : "il ne s'est rien décidé", avec des relents de catastrophisme.
Qu'en penser ?
1/ Contrairement à notre perception européenne toujours très institutionnelle, le G 20 n'est pas une organisation internationale : il n'a aucun pouvoir. Dès lors, pas de décision à prendre. L'exception fut la tenue des premières réunions, dans l'ambiance de la crise qui imposait de colmater les brèches. Il y a moins d'urgence aujourd'hui (du moins dans le cerveau des décideurs).
2/ On a assisté à beaucoup de simplifications conflictuelles, lors de ce G 20. Les Américains affirmaient la nécessité de dévaluer le yuan, monnaie chinoise qui favoriserait indûment les exportations chinoises. Les Chinois rétorquaient que la politique monétaire américaine (le QE2 de Bernanke) était inconséquente. Devant l'inflexibilité chinoise, les Américains ont varié leur attaque, en suggérant la maîtrise des déficits extérieurs à une limite de 4 % (leur déficit n'atteint que 3,2 %, l'excédent chinois 6,1%) : derrière cette proposition en apparence bénigne et de bon sens, chacun comprit rapidement que les Américains ne souhaitaient faire aucun effort. Voici pour la bataille des opinions.
3/ Par conséquent, de curieux regroupements se sont opérés : tout d'abord, nombre de pays émergents asiatiques se sont ralliés à Pékin, autour d'une simili zone Yuan. Le Japon, dont la survie économique passe par le client/fournisseur chinois, et malgré les incroyables disputes sur les îles Senkaku (voir ici et sur les Kouriles ici), s'est également rangé derrière la Chine. Enfin, l'Allemagne, parangon de vertu et exportateur "chinois", a logiquement appuyé la ligne de Pékin.
4/ Au résultat : on n'a pas vu l'Europe et l'Amérique a perdu. Souvenez-vous de l'hyperpuissance décrite par H. Védrine il y a dix ans... Le colosse était aux pieds d'argile. La seule question qui vaille,bientôt, se résout à ceci : pour réduire ses déficits budgétaires et complaire à l'isolationnisme des Tea Parties, quand les US vont-ils réduire leur budget de défense ?
5/ La première conclusion de tout ceci est la suivante : le G 20 n'est pas une instance de coopération, et l'on observe au contraire un raidissement général, chacun défendant "ses" intérêts, attitude jugée plus efficace que la démarche coopérative adoptée jusque là (mondialisation oblige, et poids américain aidant). Autrement dit, les prémices d'une "guerre économique" sont en train de s'installer sous nos yeux. Et les acteurs ne sont pas les entreprises, comme aux temps héroïques de la mondialisation heureuse (souvenez-vous, il y a dix ans, Pascal Lorot et quelques autres expliquaient qu'il n'y avait plus que de la géoéconomie...) mais les Etats. Avez vous remarqué le sommet des vingt plus grands dirigeants de groupes internationaux, qui se tenait au même moment à Séoul ? non? c'est bien la preuve que qq chose a changé.... (au royaume de Danemark, comme disait l'autre). Derrière la guerre des monnaies, derrière l'intérêt national, il faut comprendre "protectionnisme". Or, la dernière expérience (les années 1930) n'a pas laissé un souvenir excellent.
6/ La deuxième conclusion est que les Etats ont toutefois des raisons de réagir ainsi. En effet, chacun constate que les marchés sont bien loin d'être parfaits, et en tout cas que l'équilibre général des marchés (la doxa libérale) est une fable.
- Les États-Unis sont totalement déséquilibrés, shootés aux subventions indirectes, aux abaissement d'impôts, à la planche à billet et au crédit intérieur comme extérieur.
- La Chine est shootée aux exportations et à l'épargne, mais aussi à son déséquilibre intérieur, territorial, social comme démographique (on ne parle pas de retraites, là-bas : entre les riches qui ne veulent pas payer pour les pauvres, les riverains pour ceux de l'intérieur et une politique de l'enfant unique qui organise un déluge de vieillards dans vingt ans, auprès duquel la situation européenne sera de la gnognotte, ils n'ont pas fini de rire).
- L'Europe est shootée l'euro fort et aux déficits publics, dans une contradiction croissante qui devient de plus en plus explosive, les PIGS menaçant de défaillir tour à tour (vous me direz, ça conduirait à une dévaluation de l'euro, ce qui serait rigolo dans la guerre des monnaies actuelle), sans même parler du déséquilibre primordial entre l'Allemagne exportatrice et sous consommatrice et les autres pays européens. En fait, l'Europe reproduit à l'intérieur de la zone euro les déséquilibres sino-américains au sein de la zone dollar (puisque le yuan est attaché fixement au $).
- de nombreux pays "rentiers" (Russie, pays pétroliers, Brésil, Afrique, ...) sont quant à eux shootés à l'explosion des cours des matières premières résultat de la croissance chinoise, mais aussi des spéculations en tout genre.
Au fond, s'il y a un équilibre, c'est celui des bulles qui s'entassent. On parle depuis Madoff des pyramides de Ponzi : l'économie mondiale a inventé une pyramide de bulles dont la stabilité impressionne...
7/ Toutefois, on devine des pistes de solutions. Les Chinois n'accepteront jamais d'intervenir directement sur leur monnaie. En revanche, celle-ci pourra s'apprécier indirectement selon un mécanisme "naturel" : celui du rééquilibrage intérieur de l'économie chinoise. Pour cela, il faut que l'accent soit donné à l'investissement et à la consommation, plutôt qu'à l'épargne intérieure, actuellement totalement disproportionnée (et nourrissant l'épargne extérieure, donc la construction de la bulle ). La récente (et discrète) décision de Pékin d'augmenter les taxes sur les entreprises d'Etat pour favoriser une meilleure redistribution (lire consommation) serait un signe discret envoyé, en coulisse, à ceux qui savent lire... En effet, plus de consommation signifie aussi plus d'importations, donc un rééquilibrage de la balance extérieure, donc un rééquilibrage mondial. On verra bien...
Billets précédents sur le sujet :
- Sur le G 20 de Toronto, ici
- Sur le G 20 de Londres, Un G 20 pas si historique
- Mort de la main invisible (ici) et des marchés imparfaits (ici)
O. Kempf