J. est allé en ville. J’ai un peu travaillé ; j’ai donné la chasse aux poules. Une poule brune refusait de quitter le jardin. Elle savait fort bien depuis longtemps qu’il n’y avait pas de brèche dans la toile métallique de la clôture et elle persistait à courir tout le long. Il ne faut pas que j’oublie cela, ni le froid qu’il faisait ni la boue qui recouvrait mes souliers minces… Le soir, vu Lawrence et Koteliansky. Ils ont parlé de projets ; mais cela n’éveillait en moi qu’une opposition assez vive. Après leur départ, Jack et moi nous sommes restés longtemps étendus dans notre lit, et ressentant un amour profond autant qu’étrange, nous nous sommes donné notre liberté l’un à l’autre. J’avais un tel désir de le baiser sur la joue, en lui disant : « Adieu, mon amour ! » Je ne peux pas me l’expliquer très bien. J’ai pressé sa joue contre la mienne, et il s’est senti tout petit, et j’ai éprouvé une angoisse d’amour. Et puis, brusquement, je lui ai dit :
« A quoi pensez-vous ? » et il m’a répondu : « Je pensais que vous étiez partie et que Campbell et Frieda venaient me l’annoncer. » Cela ne m’a nullement déconcertée ni bouleversée. (Ce soir, Lawrence a prononcé le nom de F., par hasard ; ç’a été comme un coup de couteau dans ma chair.)
Katherine Mansfield, Journal [première édition, 1927], Stock, Collection Folio, 1973, pp. 142-143.
KATHERINE MANSFIELD
Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 14 octobre 1888/Naissance de Katherine Mansfield ;
- (sur Terres de femmes) 13 février 1916/Journal de Katherine Mansfield ;
- (sur Terres de femmes) 9 janvier 1923/Mort de Katherine Mansfield ;
- (sur Terres de femmes) Narcissique Katinka (Pietro Citati) ;
- (sur le site du New Zealand Book Council) une bio-bibliographie de Katherine Mansfield [format PDF].