Il est tout à fait vrai qu'à l'époque, il existait un fossé assez profond entre les skieurs élevés en montagne et leurs homologues citadin, ces derniers étant généralement plus loquaces, mieux affirmés et un peu plus instruits. De leur coté, les montagnards restaient simples et pratiques, très près de la nature et assez taciturnes. Les citadins voulaient changer le monde du ski, y apporter des éclaircissements, faire preuve de leur valeur afin d'être finalement acceptés par les populations des stations.
Jean Vuarnet, l'acolyte de Joubert depuis bien longtemps, était un hybride, ayant été partiellement élevé à Morzine, mon pays, mais n'avais jamais été vraiment accepté par la population locale qui restait méfiante par rapport à son « instruction » et ce n'est que très récemment que Morzine l'a enfin reconnu quand cela est devenu une occasion incontournable de promouvoir la station. If faut bien souligner que dans les années 60 et 70 les « montagnards » ne discutaient absolument pas les dogmes de l'ENSA (École Nationale de Ski et d'Alpinisme), ils les appliquaient tout simplement à la lettre. De son coté Joubert, était trop iconoclaste pour être accepté par ce groupe, et laissé en dehors de la tente, il ne pouvait guère que défier ce qui était en France l'équivalent du Vatican pour la religion du ski. Bien sûr, il est dommage que l'ENSA n'ai pas eu le courage d'engager Joubert; le ski dans son ensemble se serait considérablement enrichit de cette confluence ...
Joubert qui était un bon observateur de skieurs de haut niveau s'était mis à écrire des livres et amener un peu de théorie dans un monde resté très dogmatique, non seulement en France, mais aussi en Autriche, l'aile opposée de la culture du ski de l'époque. Son analyse technique fondée sur l'observation des champions du moment, apportait quelques bonnes observations, mais présentait aussi pas mal de lacunes dans son approche. L'équipement, déjà en constante évolution, constituait l'une de ces importantes charnières et la méthodologie offerte par Joubert ne tenait guère la route, restant très fragmentaire par rapport au petit opuscule de l'ENSA, connu sous le titre « Mémento du Ski Français. »
À mon avis, Joubert était sur la bonne piste, mais n'a jamais creusé suffisamment pour découvrir et élaborer une méthode d'enseignement liant bien toutes ses observations. Quoi qu'il en soit, je pense toujours que Joubert a contribué énormément à la promotion du ski en y apportant un point de vue alternatif, mais n'a pas réussit à vraiment faire le tour du sujet. Je sais aussi que Joubert a joué un rôle important dans les ski-tests publiés par le magazine Français « Ski, » mais je ne les ait pas suffisamment disséqués pour pouvoir exprimer une opinion sur ceux-ci.
En ce qui concerne les événements de Val d'Isère, comme la plupart de ceux qui en parlent encore aujourd'hui, je n'étais pas présent lorsque Joubert, Vuarnet (son associé,) Martel (le président de la fédération) et Mazeaud (le ministre des Sports) ont annoncé qu'ils allaient jeter le bébé et l'eau du bain. La question que l'on est tous en droit de se poser est bien sûr, qui a fait pencher la balance? Était-ce un consensus partagé entre les quatre participants, n'y a-t-il eu qu'un seul, deux ou trois d'entre eux qui ont tiré sur la gâchette, nous ne le saurons jamais, mais il suffit de dire que leur réaction était trop épidermique et qu'elle était sans doute le sous-produit de frustration de la part des deux entraîneurs qui avaient affaires à des athlètes poussés dans leurs retranchement, sans doute un peu prima-donnas et à qui le tandem Joubert-Vuarnet n'avaient pas été capable de « vendre » sa philosophie d'entrainement.
Une autre grande leçon à tirer de ce fiasco est que les décisions hâtives et irrévocables sont toujours à éviter. Encore une fois, Georges Joubert n'était pas seul impliqué dans ce processus décisionnel. Il est aussi utile de rappeler qu'avant sa mission auprès des équipes de France, Jean Vuarnet avait travaillé dans des circonstances assez similaires, en capacité de conseiller auprès de la « Squadra Azzura, » l'équipe Italienne, qui se mit à rafler toutes les victoires en ski masculin au début des années 70. Je pense qu'en fait, Vuarnet a d'avantage aidé à organiser le pool de fournisseurs italien qu'à montrer à Gros, Stricker et Thoeni là où ils devaient planter le bâton.