Aujourd’hui, et comme le note avec justesse le Faucon, c’est la journée de la gentillesse ! Une journée entière à distribuer des petits bisous, des câlins et des compliments sucrés, je ne peux dire que « Banco ! » Il m’apparaît en effet charmant que, pour ce 13 novembre, je n’aille pas fouetter un peu les douze pakistanais clandestins qui cousent des Nike dans ma cave. Il n’est pas dit, cependant, que je serai gentil avec tout le monde quand je lis certains articles de presse…
En parlant de journée de la gentillesse, et sans même évoquer la cascade assez volumineuse de journées consacrées à des lubies plus ou moins idiotes, cet article-ci, par exemple, permet d’en savoir plus sur les tenants et les aboutissants de ce nouvel avatar d’une République du Bisou Intempestif.
On y lit notamment ceci :
Les élites, les intellectuels, les politiques et les journalistes aux dents dures – Ferry conserve quelques traces de morsures – la méprisent à tort. Quant aux patrons qui font régner la peur dans leurs entreprises, ils commettent une grave erreur, dit-il. Face à la bataille économique mondiale, « il faut au contraire rassurer, conforter les gens ».
Voyez vous-même : il n’aura pas fallu pousser bien fort le journaliste pour qu’il arrive à décocher une aimable pique contre ces salauds de patrons qui font régner la peur dans leur entreprise.
Heureusement, dans un bain rafraîchissant mêlant de réels altruistes comme Mère Thérésa ou l’abbé Pierre, de gros corrompus comme Kouchner et de vrais fachauds comme AdolfNicolas Hulot, le folliculaire parvient à nous faire adorer cette nouvelle journée du Bisou Qui Cogne : si vous êtes gentil, c’est que vous êtes intelligents. On peut même aller plus loin : si vous aidez les pauvres, c’est que vous êtes intelligents. Si vous aidez les écolos en hélicoptère qui empêchent les pauvres de manger en cramant du maïs dans leur 4×4, vous êtes intelligents. Et si vous adoubez un humanitaire vendeur d’armes, eh bien bon bref…
Pas de méprise, ici : être altruiste est parfaitement nécessaire, recommandable et recommandé. Soyez altruiste !
Mais sombrer dans la soupe épaisse de moraline gluante que les pisse-copies nous servent, ça rend juste irritable : le but, ici, n’est plus de promouvoir le don de soi pour le dépassement de ses propres intérêts et la construction d’une société plus juste, mais simplement (comme il est explicitement dit) de rassurer, de conforter les gens : des citoyens plus mous, plus doux, plus dociles, c’est-à-dire La République Du Bisounoursland en pleine action.
On pourrait me targuer de cynisme ou de méchanceté à mauvais escient ou, pire, de mauvaise foi.
Moi ?
Roooh, c’est pas le genre de la maison !
Mais en réalité, il suffit simplement de lire les autres articles que la presse cache un peu (mais de moins en moins) pour bien sentir la petite odeur de honte et de caca citoyen qui monte doucement à mesure que le réchaud du bon sens s’allume en-dessous.
Et la crotte chaude, ça fouette.
Jugez plutôt : dans le cadre de ses état généraux de la nuit (oui oui, ça existe, vos impôts payent ce truc, tout va bien, respirez), la ville de Paris a rassemblé avec des professionnels de la nuit des gens pertinents comme des sociologues pour comprendre pourquoi diable c’est-y-donc que les folles nuits parisiennes on s’y endort de plus en plus ? Et quand je dis pertinent, je pèse mes mots :
La psychosociologue Catherine Espinasse, spécialiste des mobilités nocturnes, le philosophe Sébastien Marot, le président de SOS Racisme Dominique Sopo, le médecin urgentiste Patrick Pelloux qui évoquera les conditions de vie des travailleurs de nuit, participeront aux ateliers, ainsi que Bruno Blanckaert, président de la Chambre syndicale des cabarets et discothèques.
Une psychosociologue spécialiste des mobilités noctures. Je … Non. Rien. (overload)
Un philosophe !
Un censeur officiel d’une association antiraciste !
Mais WTF ?!?
En tout cas, la question de la baisse de branchitude de Paris taraude l’homo festivus qui ne sommeille absolument pas chez Bertrand Delanoë, et qui voit surtout que si Paris est moins attractive pour les grosses fêtes, c’est des revenus en moins pour sa mairie.
Une baisse de budget ! Saperlotte ! Il faut agir, vite ! Une loi, un décrêt, un arrêté municipal, n’importe quoi, je ne sais pas, … une armée de clowns, mettons, n’importe quoi vous dis-je, allez-y, lancez des idées !
…
Bon. Ce sera l’armée de clowns.
Autre dispositif annoncé par Bertrand Delanoë, qui sera testé à partir du printemps : le recours à des mimes et des clowns pour exhorter les fêtards à baisser d’un ton aux abords des établissements de nuit.
Je suppose qu’il s’agira de Clowns Officiellement Diplômés, comme le permet l’EdNat depuis quelques temps.
Cette cataracte de conneries boboïdes coûteuses donne un peu le tournis ; à ce point, je me dois de résumer un peu : le lobby des gens de quartiers (qui veulent dormir) et le lobby des professionnels de la nuit (qui ne veulent pas dormir) se retrouvent avec une brochette de pignoufs (qui digèrent bien vos subventions, merci) à la Mairie de Paris pour obtenir une solution totalement hallucinante à un problème qui ne relève en rien des compétences des uns et des autres.
Nous sommes bien en France.
Que le problème soit plutôt le manque de thunes des gens pour sortir, le manque de taxis à cause de numerus clausus stupides ou de prix inabordables, le manque de transports en commun passé une certaine heure dans la nuit, et, bien sûr, l’insécurité qui règne dans les rues et ces transports en commun ne semble même pas effleurer l’esprit de ces gens qui proposent donc de balancer du mime et du clown à la face des fêtards.
Cela promet lorsque Björn, en pleine soirée festive, citoyenne et barbecue d’une voiture quelconque, va se faire mimer la tête qu’il faut la jouer pianissimo : « Zyva un clown ! On va lui niquer sa mère ! » Les nuits parisiennes ne seront plus jamais les mêmes.
Tu veux faire la fête à Paris ? Toi aussi, pète un clown !