Vous êtes amateur de hip-hop américain, en marge des sempiternelles stars incontournables de ce mouvement qui vous laissent souvent de marbre et dont vous n'appréciez pas la musique trop
marketée. Vos choix se portent le plus souvent vers des artistes indépendants dont l'audace plus marquée que leurs confrères vous fait préférer leurs créations que vous jugez plus originales et
pertinentes. Comme beaucoup vous êtes à l'affût des dernières productions de qualité et vous vous demandez encore comment certains rappeurs peuvent paraitre aussi monotones et ennuyeux face aux
possibilités d'évolution immenses offertes par le hip hop lorsqu'il est utilisé à bon escient. Si vous êtes en accord avec mes mots, et bien sachez que tout n'est pas perdu, car en fouillant bien
il est toujours possible de dénicher quelques trésors cachés parmi tout ce choix, comme cette très bonne compilation intitulée "Hip Hop Love Jazz" parue en 2005. Certes elle n'est plus toute
jeune, et en matière de nouveauté je pourrai toujours repasser. Elle recèle pourtant quelques très bons titres et mérite amplement cette chronique. Compilée par Nicci Cheeks, une
jeune américaine dont même internet manque d'infos (il semble qu'elle "manage" certains groupes), son titre évocateur situe d'emblée ses intentions. Comme son nom l'indique, "Hip Hop Love jazz"
regroupe une sélection de morceaux variés ayant pour principal point commun leurs rapports au jazz. Au même titre que la soul ou le funk, cette musique a toujours inspiré les producteurs de hip
hop, à commencer par les premiers grands représentants de ce courant, les membres du génial "Tribe Called Quest" qui, dès 1990 se sont engouffrés dans la brèche. Leurs albums ont marqué
toute une génération et auront fait de nombreux émules un peu partout à travers le monde, et jusqu'en France où à l'époque tout le monde s'en inspirait largement ("Afro Jazz",
"NTM", "Expression Direkt", "Les Sages Poètes De La Rue"). Chez nous les temps ont changé. Les jeunes groupes prometteurs, dignes représentants
de ce courant naissant ne sont plus, ou plutôt ont bien mal tourné (pour ceux qui sont encore présents). Les jeunes adolescents français de la génération 1995 pouvaient encore s'ennorgueillir
d'être le 2e territoire mondial à tenir la dragée haute face aux mastodontes américains, depuis le niveau a dramatiquement chutté et il n'est plus question de se comparer à qui que ce soit. Ceci
étant dit, le monde est vaste et plein de surprises, d'autant que de l'autre côté de l'Atlantique les choses continuent de bouger, avec chaque année l'arrivée régulière de nouveaux groupes plus
ou moins bons.
Je vais faire simple. "Hip Hop Love Jazz" est une très bonne compilation, grâce en partie aux choix de ses intervenants (Kev Brown, The Procussions,
Wordsworth, El Da Sensei). La plupart de ces artistes sont déjà reconnus aux Etats-Unis et jouissent d'une certaine notoriété, mais ils le sont nettement moins
en France où ils ne profitent pas vraiment de la même diffusion. Le 2e intérêt réside dans le choix des morceaux présents sur cette compilation. Autant le dire tout de suite, si vous aimez le
jazz vous devriez être servis et adhérer totalement au projet. Certains d'entre eux n'ont d'ailleurs plus grand chose de hip hop au sens classique du terme, et tiennent plus de l'instrumentation,
comme avec le titre légèrement drum'n bass "Quasimodo" du groupe Ed/Ge, produit et composé à la manière d'un Dj, très musical, faisant la part belle aux cuivres, le tout sur une
rythmique programmée un peu chancelante mais de très bonne facture.
Disque moderne aux pistes inspirées, ce condensé de hip hop éclairé contient 15 "tracks" réunissant tout un panel de sons à la diversité plaisante. C'est sûr, Nicci Cheeks a de l'oreille et a parfaitement réussi à négocier ses choix et son orientation. L'enchainement des titres se fait naturellement sans jamais perturber l'auditeur, et ce malgré la contrainte d'avoir à gérer des univers différents aux atmosphères bien distinctes. A titre d'exemple, on peut passer d'une ambiance doucement jazz/rock et très souple ("Mona Lisa" du rappeur Pudge) sur laquelle les guitares flirtent avec une mélodie de saxophone sortie d'on ne sait quel disque original, à un morceau de "spoken word" nettement plus péchu ("Let Go, Let Flow") aux attaques tranchantes, voire carrément plus électro ("Nutshell" de Kim Hill), le tout sans jamais s'ennuyer ni craindre la saturation. Un seul bémol à tout cela, le très creux et détonnant "Remember When" produit par J Rawls qui manque vraiment de chaleur. Le refrain de Tamika Law est faux, le chorus de sax proche de l'amateurisme, et la rythmique agrémentée de ses clochettes très pauvre. Passons pour cette faute de goût qui, s'agissant du titre de fermeture, ne dérange pas vraiment à l'écoute. A part cela, de nombreux interludes téléphoniques ponctuent l'ensemble et offrent quelques respirations supplémentaires. Adressés en guise de remerciements, ils proposent à certains artistes de se présenter rapidement et d'exprimer leur respect à l'égard de Nicci Cheeks pour le travail qu'elle a entrepris. A présent, et maintenant que vous savez la compagnie de ce disque agréable, délectez-vous donc de cette sélection très personnelle que j'ai choisie pour vous et qui, je l'espère, finira de vous persuader de la qualité qu'il contient.