Voeux de François Bayrou : "La politique du tournis, c'est le contraire d'une vraie politique de réforme"

Publié le 09 janvier 2008 par Willy


Bayrou-Voeux à la presse




Par http://www.mouvementdemocrate.fr/




Pouvoir d'achat, politique économique, institutions, politique de la santé, méthode de la réforme ce sont quelques uns des thèmes abordés par François Bayrou lors de ses voeux à la presse, le 9 janvier 2008. Le président du Mouvement démocrate a, en particulier, souligné la confusion, l'absence de sens dans l'action du gouvernement, : "On a une impression d?improvisation, d'influences contradictoires, de foucades, toujours assénées sur le même ton volontariste, mais où est la logique, où est la cohérence, où est la préparation, où est la négociation préalable."

Vœux de François Bayrou
(seul le prononcé fait foi)


Mes chers amis,

Je pense à chacun d’entre vous, journalistes qui êtes nos compagnons et nos interlocuteurs de tous les instants, élus (j’y tiens ces temps-ci plus que d’habitude), adhérents, militants et responsables de notre nouveau mouvement, sympathisants si nombreux parmi les Français de ce grand courant politique. Pour chacun d’entre vous je forme des vœux de bonheur personnel, de réussite, de courage, si vous traversez des épreuves, d’enthousiasme pour l’avenir, de fermeté dans vos choix.

Pour notre pays, je forme le vœu qu’il trouve son chemin, rassemblé, dans les temps troublés que nous traversons.

Le nouveau pouvoir est en place depuis huit mois.

Comme vous le savez, j’ai refusé, nous avons refusé d’appartenir à la majorité nouvelle, et cela n’a pas été sans conséquences. Si je l’ai fait, c’est pour des raisons lourdes, qui tiennent à l’essentiel, au projet politique et aux choix d’attitude personnelle qui sont ceux de Nicolas Sarkozy. J’ai fait ce choix sans rien ignorer de la dureté du chemin que je choisissais, ni de ce qu’il faudrait de fermeté d’âme –fermeté prometteuse- à ceux qui accepteraient ou choisiraient de faire ce chemin avec moi.

Tous les jours qui passent, je vérifie ce que cette intuition avait de fondé. Tous les jours qui passent, je vérifie, en tout cas, que les craintes qui étaient les miennes se réalisent les unes après les autres.


Quand on doit juger ces premiers mois, le premier mot qui vient, c’est confusion.

Je veux prendre le sujet qu’on nous disait principal, celui du travail et du pouvoir d’achat.

Les six premiers mois de ce mandat, les six premiers mois de gouvernement, on a dit aux Français, au fond, quelque chose de simple : « si vous voulez gagner plus, vous allez pouvoir le faire en travaillant plus, en faisant des heures supplémentaires, en faisant racheter vos journées accumulées de RTT ». Et on a présenté cela « travailler plus pour gagner plus » comme la résolution des problèmes principaux du pays.

Il y a eu certes deux désillusions assez lourdes l’une et l’autre : la première, c’est que les Français ont découvert (l’ignoraient-ils vraiment ?) que les heures supplémentaires, cela ne se décrète pas, en tout cas que cela ne se décrète pas sur décision du salarié, que ce qui fait les heures supplémentaires, c’est le carnet de commandes de l’entreprise. Et la deuxième, c’est que pouvoir politique et pouvoir administratif, sans s’en rendre compte, ou au contraire sachant parfaitement ce qu’ils faisaient, ont fait du texte « libérant » les heures supplémentaires, une incroyable usine à gaz, absolument incompréhensible, même pour les DRH des entreprises, même pour les experts comptables.

Mais enfin, dans tous les bilans de fin d’année 2007, chaque fois qu’un parlementaire de la majorité devait s’exprimer, il soulignait à l’envi, le plus, la chance qu’avait représentée pour beaucoup de salariés cet apport des heures supplémentaires. Souvenez-vous : « pour un salarié au Smic qui accepte de travailler quatre heures de plus, cela représente ce mois-ci, une augmentation de 15 %... », et tout le monde disait cela partout, sur tous les plateaux…

Et voilà que sans rien nous dire, presque sans qu’on le remarque, sans qu’on le souligne, sans nous avertir en quoi que ce soit d’un changement d’orientation du gouvernement, en fait, on a assisté ces derniers jours à un changement de cap à 180° ! Puisqu’on a découvert dans la lettre d’orientation du gouvernement, puis de la manière la plus explicite dans les déclarations de Nicolas Sarkozy hier que le but était désormais la disparition du repère des 35 heures dès cette l’année. J’imagine que si l’on supprime les 35 heures, c’est pour allonger la durée du travail. Et donc il n’y aura plus d’heures supplémentaires payées 25 % de plus, non chargées et non imposées, car elles seront remplacées par des heures normales, payées 25 % de moins, chargées et imposées ! Si je compte bien, c’est donc travailler plus pour gagner moins : un changement complet de politique du travail. Et s’il n’y a plus cette référence à la durée légale, alors il n’y aura plus d’heures supplémentaires et plus de RTT à récupérer ou à racheter.

L’impression de confusion est donc réelle et va être très lourde dès l’instant que les salariés, et notamment les cadres vont découvrir qu’on leur a dit en six mois deux choses absolument contradictoires et dont la seconde annule la première.

On a une impression à écouter les déclarations successives d’improvisation, d’influences contradictoires, de foucades, toujours assénées sur le même ton volontariste, mais où est la logique, où est la cohérence, où est la préparation, où est la négociation préalable? Une nouvelle fois, il va falloir, dans les entreprises, défaire ce qu’on a fait avant de refaire ce qu’on avait défait…

Tant d’annonces, de dossiers ouverts, la plupart du temps oubliés sans avoir avancé, tout cela pose le problème de la méthode choisie pour « réformer ».

Cette méthode nous dit-on, c’est « Tout changer en même temps ».

C’est la stratégie annoncée. Si l’on ouvre les yeux, alors on aperçoit ce qu’il y a de leurre dans cette stratégie.

Il n’y a pas un pays, pas une société, contemporaine, complexe, où l’on puisse annoncer vouloir tout changer en même temps.

Les changements qui comptent sont peu nombreux mais ils demandent de gros efforts d’explication, une réflexion approfondie, de grands et durables efforts de pédagogie. Ils demandent un calendrier pour qu’un pays les programme, y réfléchisse, les accepte et les adopte.

La politique du tournis, pour nous, c’est le contraire d’une vraie politique de réforme. Le tournis ne conduit pas le pays à la volonté durable d’adopter une nouvelle architecture sur quelques points essentiels. Et lorsqu’on s’y risque, alors la réalité se venge : elle revient en boomerang.

On l’a vu avec le pouvoir d’achat ! Entre « tout est possible » du printemps, ce qui était évidemment un leurre, et « les caisses sont vides » d’hier, ce qui est la vengeance de la réalité, entre « heures supplémentaires » et « fin des heures supplémentaires », il ne s’est pas écoulé huit mois, huit mois avec tous les pouvoirs entre les mêmes mains.

On le verra à l’hôpital : les précédentes réformes ont mis des mois et des années de travail acharné avant d’être plus ou moins mises en place. On annonce aujourd’hui une fois de plus qu’on va tout changer alors que, je vous le rappelle, la précédente réforme n’est toujours pas en application !

Il y a un côté comment dirais-je puéril, enfantin, dans cette idée qu’on va tout mettre par terre et tout reconstruire, sans réflexion préalable, sans concertation. Au bout du compte, c’est la démocratie qui en souffrira, c’est l’image que nos concitoyens ont de l’action publique.

Et cela repose sur l’idée fausse que dans un pays comme le nôtre on puisse décider de tout au sommet. Que le pouvoir d’un seul homme (c’est bien cela qu’on appelle monarchie, pouvoir d’un seul, et pas hérédité, simplement il y a des monarchies héréditaires et des monarchies électives…) peut être assez informé, omnipotent, pour être capable de décider de tout. Là encore, il y a du puéril, et du puéril qui n’est pas régressif que pour un seul, c’est régressif aussi pour la société car c’est un mal français de croire « qu’en haut » on peut décider de tout. Alors quand « en haut », on fait comme si c’était vrai, on aggrave cette faiblesse, cette névrose nationale. Toutes les institutions de la société, la démocratie sociale en particulier, au lieu de les déshabiller, au lieu de les dépouiller de leur pouvoir, il faut au contraire les responsabiliser.

Il faut non pas se précipiter dans une fuite sans fin, mais prendre le temps, de penser, d’expliquer, de convaincre.

Alors, au-delà de la méthode qui est la première différence que nous ressentons sur la politique suivie, quel est le sens profond de tout cela, s’il y en a un ?

J’ai été très intéressé par une analyse parue récemment dans le journal Challenge, signée par Denis Kessler, l’ancien numéro 2 du Medef, analyse brève, percutante, et donc d’autant plus intéressante. L’analyse est celle-ci : « La liste des réformes du gouvernement peut donner une impression de patchwork, on ne s’y retrouve pas, personne n’arrive à en voir la logique. Mais en réalité la logique existe, il s’agit de défaire méthodiquement tout ce qui a été fait en France, après la guerre, à partir du programme du Conseil national de la résistance. »

Et il me semble que là, en effet, nous sommes au cœur du sujet.

Est-ce que le modèle de société de la France républicaine, laïque, démocratique et sociale, ce modèle de société qui fait de la France un môle de résistance, en particulier dans la mondialisation est-ce que ce modèle est un modèle d’avenir ou un modèle du passé ? Est-ce qu’il faut corriger ses usures et ses dérives, qui sont inévitables en soixante ans, ou le déclarer nul et non avenu, le jeter comme un chiffon de papier pour adorer de nouveaux dieux ?

Je veux le dire au nom de beaucoup de Français : ces idéaux que nous avons contribuer à construire, nous qui étions, comme famille de pensée, partie prenante et piliers du conseil national de la résistance, ces idéaux, ce sont des idéaux d’avenir.

Résister à une société des rapports de force. Résister à une société qui considère les femmes et les hommes non pas comme des citoyens, mais uniquement comme des cibles de communication, des éléments de production et de consommation. Résister en réclamant d’y voir clair, d’être informés en temps utile, quand les décisions se préparent, en exigeant la responsabilité du citoyen qui seule permet l’épanouissement. Résister par l’éducation, par la culture. Résister par la démarche de coopération, de mutualisme. Dans le monde comme il est, dans la mondialisation dominée par un modèle unique, résister au nom de ses valeurs, c’est un projet de société et c’est un projet de civilisation.

Derrière ce grand rideau de fumée, il y a en effet une confrontation, une alternative, qui va je le crois recomposer la vie politique française.

Et c’est en effet une question de civilisation, c’est-à-dire si l’on cesse de se payer de mots pour produire un grand rideau de fumée, c’est une question de valeurs. Et c’est précisément sur la question des valeurs que nous sommes en désaccord la manière dont se comporte la politique de la France de Nicolas Sarkozy, et que j’en suis persuadé, la France, la France éternelle, est en désaccord avec celui qui la gouverne.

La France, la France éternelle, elle a besoin qu’on lui dise la vérité, elle aurait eu besoin d’une politique de vérité notamment sur la dette et la dépense publique.

La France, la France éternelle, elle veut la laïcité, dans tous les domaines -et ce n’est pas un hasard si j’évoque ce point aujourd’hui- la France, elle veut aussi bien la distinction entre religion et État qui est mise à mal aujourd’hui, qu’entre vie publique et vie privée. C’est le même genre de distinction qui fonde l’idée que nous nous faisons de la république et de la France.

La France, la France éternelle, elle veut qu’il y ait dans la vie sociale des règles simples, qui protègent le faible contre l’abus, contre la position dominante du fort, et que le reste soit pris en charge par une démocratie sociale réelle exerçant sa pleine responsabilité.

La France, la France éternelle, la France républicaine, elle veut que le monde des affaires et le monde de l’action publique soient clairement distingués, que l’un ne déborde pas sur l’autre. C’est pourquoi, par exemple, à mes yeux, le président de la République française ne doit pas être l’obligé, pour ses déplacements ou ses vacances, ou son confort, de l’une ou l’autre des puissances financières ou étrangères qui peuvent avoir intérêt à ces liens d’obligation.

La France, la France éternelle, elle veut une diplomatie de résistance et non pas une diplomatie de complaisance, à l’égard de quelque puissance que ce soit. Ainsi la voix de la France sera pondérée, originale et entendue. Pardonnez moi de le dire ainsi, et cela me peine de le dire : je vois plus d’indépendance aujourd’hui, indépendance nationale et indépendance européenne, chez Angela Merkel que chez Nicolas Sarkozy, qui donne des gages à tous ceux qui ont la puissance, la plus impressionnante, comme les Etats-Unis, la Russie ou la Chine, ou la plus frelatée, comme Kadhafi.

C’est sur la question des valeurs, en effet, des valeurs de civilisation, que peu à peu se concentrera le débat sur l’avenir de la France.

En même temps, se posera inéluctablement, devant les résultats constatés et les dérives toujours plus nombreuses, la question même de notre démocratie.

Tous les jours on ajoute des commissions aux commissions pour récrire, prétend-on, notre constitution, en vérité pour que rien de décisif ne change. Or, un jour viendra où la question se posera aux Français la seule question qui vaille : savoir s’il est bon et s’il est juste pour notre pays, seul dans le monde, qu’un homme seul puisse s’arroger autant de pouvoirs sans aucun contre-pouvoir effectif.

Ma conviction est que la cinquième république était écrite pour des présidents sages.

C’est la sagesse qui aujourd’hui manque le plus. La sagesse manque partout.

Les mots utilisés comme rideau de fumée pour dire le contraire de la réalité, comme George Orwell l’avait prédit lorsqu’il dessinait ou annonçait. On dit politique de civilisation, or il s’agit de l’abandon de la civilisation au profit de la société de la force, de l’argent et de la « pipolisation ».

Les réformes abandonnées aussitôt que décidées, tout nouvel événement donnant lieu à l’annonce d’un nouveau texte alors que le précédent n’est pas encore appliqué, on le voit par exemple, en matière de justice, de droit pénal…

Les annonces précédant toujours la réflexion, dans une fuite en avant éperdue, où le lendemain perd de vue ce qui a été dit la veille. Autrement dit, non pas une politique du durable, mais une politique de l’éphémère, entièrement concentrée non pas sur la conscience des citoyens, mais sur la communication.

Le jour viendra où les Français comprendront qu’ils sont de ce perpétuel abus de pouvoir, de cette fuite en avant, les premières victimes. La question de la démocratie, la question de nos institutions, elle n’est pas derrière nous, elle est devant nous. Le jour vient où la République et les citoyens français exigeront des institutions démocratiques : les équilibres nécessaires pour imposer la sagesse même à ceux qui en manquent le plus.

Ces deux enjeux, valeurs qui construisent un projet de société, aussi bien que d’authentique civilisation, et institutions qui font la démocratie, ces deux enjeux sont si grands, si cruciaux, l’attaque est si rude contre ses valeurs, qu’ils supposent des rassemblements nouveaux. Je vois bien, et je trouve que c’est heureux même si on n’en parle pas encore que des Républicains, des démocrates, des citoyens de toutes opinions s’interrogent, y compris parmi ceux qui avaient fait une confiance sans mesure au candidat Nicolas Sarkozy. Ces interrogations préludent à une demande, à l’attente d’une alternative, d’une proposition politique pour que la France retrouve ses valeurs, une méthode calme et de fond pour la réforme, des institutions qui la rassurent et lui permettent de choisir son chemin. Je forme le vœu que l’année qui vient, après les échéances électorales locales qui vont voir proposer de notre part une démarche nouvelle, et des équipes nouvelles elles aussi, cette proposition politique, nouvelle, alternative, se forme et s’affirme. En tous les cas pour vous nous serons au rendez-vous.

Je vous remercie, très bonne année à tous !