Andrée Chedid est certes la gentille maman et grand-maman des chanteurs Louis et Matthieu Chedid. Mais il s’agit ici de la grande artiste, poète et romancière, qu’est cette vénérable dame (qui donna naissance à Louis en 1948 à Ismaïlia, à l’époque de mes 10 ans où je vins vivre en cette belle ville !). Andrée, d’origine libanaise, est née au Caire en 1920, mais vit en France depuis plus de 60 ans. Elle crée une œuvre prolifique, magnifique, dont je n’ai lu qu’une petite dizaine d’ouvrages, au plus… Dans le domaine du roman, son livre le plus célèbre est ‘Néfertiti et le rêve d’Akhenaton’, très beau. Dans celui de la poésie, beaucoup de recueils, dont ce surprenant ‘Textes pour un poème’, qui, en 1987, reprend et surtout enrichit un recueil plus ancien qui avait le même titre : elle est têtue, la dame !
Entre roman, théâtre et poésie, citons un recueil (paru en 1988, chez Flammarion, comme la plupart de ses œuvres), de nouvelles organisées autour des 3 thèmes du titre : ‘Mondes, Miroirs, Magies’. Magnifique ! Elle écrit quelque part ceci, à propos de son écriture : « J’étais impressionnée par le tumulte intérieur que je portais en moi. J’ai découvert que les mots de l’ordinaire, si banalisés, reprenaient en poésie une force extraordinaire. J’aime depuis les fracasser les uns contre les autres ».
Il y a si longtemps que je connais cette artiste des mots (40 ans ?) que je ne sais plus si c’est après lecture de ce recueil de nouvelles, ou celui du recueil de poèmes mis en titre, que j’eus l’audace d’écrire, via son éditeur, à Andrée Chedid. Pour lui parler d’une autre vieille dame, ma mère, de 12 ans son aînée, ayant longtemps vécu en Egypte, et à qui je tentais de dédier un essai, avant sa mort. J’avais oublié cette lettre lorsque, bien des mois plus tard, je reçus une longue réponse manuscrite d’Andrée ! Elle m’expliquait que l’éditeur avait fait suivre mon courrier… au Canada, et de là en Haïti où séjournait alors cette intrépide !… Elle m’indiquait sobrement s’y être très dévouée à la création de bibliothèques, etc., mais postait sa lettre (hélas perdue !) de Floride, étape suivante de son voyage, pour être sûre qu’elle me parvienne ! : elle m’a tant encouragé à écrire pour ma mère que j’y suis parvenu ensuite, pour le seul de mes essais qui fut publié par un (petit) éditeur, merci Andrée ! …
Si la poésie n’a pas bouleversé notre vie, c’est qu’elle ne nous est rien. Apaisante ou traumatisante, elle doit marquer de son signe : autrement, nous n’avons connu que l’imposture. Cette citation figure en 4° de couverture du beau petit livre sur Andrée Chedid, de Jacques Izoard, dans la collection ‘poètes d’aujourd’hui’ aux éditions Seghers (1977). Et l’éditeur rajoute après la citation : « Rejetant toute jonglerie verbale, tout étalage d’émotions inutiles, Andrée Chedid s’interroge sur la vie et le destin de l’homme. ». En voici quelques exemples, toutes tirées de ‘Textes pour un poème’ :
(…) Près des fontaines où boivent les chevaux
Aux crinières des maïs
Des filles aux noms de jardins
Dansaient en cercles
Sur leurs jambes de chair
Autour des barques endormies
Entre leurs résilles bleues
Un enfant nu comme le sabl
Chante que la vie est ronde
Et son cœur de cristal (…)
( extrait de ‘Loin des ruelles exactes’).
Nos mains sont légères
Comme ailes sur un pré
Le grain est dans mon sang
Nos regards sont fertiles
Je traverse le miroir déchirant
Mais je n’ai rien trouvé
Que je ne cherche encore. (‘Il n’y a pas d’épilogue’).
(…) Qu’elle gronde la menace ! Qu’elle se plante en nous !
Nos vies surgiront de cette halte soudaine, toujours plus éprises du grand soleil perdu.
Légers ou noirs, les jeux s’oublient.
Seule demeure l’eau jaillissante accordée aux saisons ;
Et de cette eau, même la douleur est saine.
Il est temps de croire.
Temps d’accepter notre terre trop concise ;
Temps de se tourner, sans oraison, vers le cœur qui nous réserve tout.
(extrait de ‘Terre aimée’).
J’ai défait la solitude.
Il n’y a pas de chevet où je ne puisse m’asseoir,
Reconnaître en chacun le gisant superbe
Qui outrepasse les tombes et confond nos mémoires.
Les ténèbres de l’autre sont nos propres ténèbres
C’est notre œil qui rompt la durée.
Nous créons des sentences,
Nous nous livrons aux pièges,
quand l’épreuve est d’ENTENDRE :
Car tout nous est dicté.
(‘Face à l’enjeu’).
Voilà, ce sera tout et bien peu : J’aurais pu citer encore beaucoup de poèmes que j’aime, notamment du recueil plus récent (1999) ‘Territoires du souffle’, titre qui est déjà tout un programme poétique ! Mais j’espère que cela vous aura donné envie d’y aller voir de plus près : cette grande dame de la poésie, électron libre d’entre diverses étiquettes, le mérite…
Qu’importent les jugements subjectifs de ‘choisir’ entre les 3 talentueux Chedid, selon sa génération ou son goût. Il m’importe que ses talentueux fils et petits-fils reconnaissent néanmoins ce qu’ils doivent à Andrée ! – moi aussi… !