Nous nous étions momentanément quittés, souvenez-vous amis lecteurs, avant les vacances
de Toussaint, après avoir, à plusieurs reprises, eu l'opportunité d'ensemble visiter le tombeau d'Iufaa,
ce fonctionnaire aulique de la XXVIème dynastie, inhumé
dans le cimetière saïte aux confins sud-ouest de la nécropole d'Abousir que fouillent, depuis quelques décennies, les membres de l'Institut tchèque d'égyptologie.
Dans la chambre sépulcrale, à quelque 22 mètres sous le sable du désert, Ladislav Bares, l'inventeur de cette tombe, nous avait permis, le 2 octobre, d'admirer à ses côtés l'imposant sarcophage rectangulaire de calcaire blanc, le samedi 9 suivant, celui, anthropomorphe, en basalte sombre qu'il contenait et enfin, le 16, le troisième cercueil gigogne, en bois cette fois, dans lequel reposait le corps momifié d'Iufaa.
Ce n'est que lors de notre dernier rendez-vous, le 23 octobre, qu'il nous donna quelques indications supplémentaires sur cette momie avant de prendre congé de nous et ce, dans tous les sens de l'expression puisque nous en avions terminé de cette découverte.
Ou presque ...
Car s'il nous fut possible d'ainsi accompagner les membres de l'équipe de fouilleurs dans un espace aussi restreint (4, 90 x 3, 30 mètres) quasiment entièrement comblé par la présence de l'énorme premier sarcophage de pierre blanche, c'est parce qu'un long et important travail, au demeurant d'un très grand intérêt quant à ses résultats, avait été préalablement réalisé aux fins de dégager tout ce qui encombrait les seuls cinquante centimètres de couloir qui séparaient les quatre parois de la première bière de celles du caveau proprement dit.
On sait, depuis notamment la découverte de l'hypogée du jeune Toutankhamon par Howard Carter au début des années 20 du siècle dernier, combien l'étude du mobilier funéraire participe des interprétations éminemment pointues en égyptologie.
En effet, axe de recherche privilégié - quand, comme ici, la sépulture est retrouvée intacte ou pratiquement -, l'analyse du viatique dont aimaient s'entourer ceux qui en avaient les moyens en vue de continuer à être favorisés dans leur vie de l'Au-delà, permet d'affiner nos connaissances ressortissant tout à la fois au domaine des pratiques funéraires (quels sont les objets présents et en quelle quantité ?), à celui des techniques de fabrication (quels furent les matériaux employés ?) et aussi, peut-être aux yeux de certains le plus important pour l'histoire des relations humaines, à celui de la position sociale du défunt, tant il est vrai que toutes les pièces déposées là et destinées à l'accompagner pour l'éternité sont fondamentalement révélatrices de son statut au sein de la société de son temps.
C'est donc de ce trousseau funéraire particulièrement riche préalablement exhumé du caveau par les membres de l'équipe tchèque et actuellement exposé au Musée du Caire que j'aimerais, à partir de ce samedi, vous entretenir quelque peu.
L'étroit espace qui entourait le massif sarcophage de calcaire - 50 centimètres de part et d'autres, je l'ai souligné ci-avant -, était, quand les membres de l'équipe voulurent pénétrer dans la relativement petite chambre funéraire, partiellement rempli d'une épaisse couche de sable sur laquelle gisaient des morceaux pilés de briques de boue séchée, ainsi que quelques blocs de calcaire sur lesquels très probablement reposa le couvercle en attendant que soit définitivement refermée la cuve funéraire à la fin de la cérémonie d'inhumation.
Furent aussi retrouvés là un coffre de faïence, des vases en céramique sur la panse desquels
était précisé à l'encre noire le nom des huiles sacrées qu'ils avaient contenues ; des amulettes, aussi ; ce que l'humidité ambiante avait permis de conserver d'un rouleau de papyrus,
autant dire quelques lambeaux irrémédiablement indéchiffrables - (nous sommes, à plus de 20
mètres sous le sol, au niveau de la nappe phréatique) ; des poteries originaires de villes telles que Samos, Chios, Lesbos, en Grèce insulaire orientale et de Clazomènes, cité
grecque également mais d'Asie mineure ; un vase d'albâtre, un autre en calcaire rose, d'une petite cinquantaine de centimètres de hauteur, présentant une adresse à Anubis ainsi qu'une image de ce
dieu ; et ...
Et, une des pièces les plus intéressantes mises au jour, un coffre en forme de naos - naoforme, comme aiment à le définir les égyptologues -, surmonté d'une élégante statue de chien (chacal ?) représentant Anubis couché, semblant indubitablement se faire le gardien du contenu de ce meuble sur lequel, ce matin, il me siérait d'attirer votre attention.
Vous noterez tout de suite l'état de dégradation de ce monument de bois qui en réalité faisait partie d'une paire dont originellement l'un avait été entreposé le long du côté nord du sarcophage et l'autre, à l'opposé, du côté sud : tout comme sur le troisième cercueil gigogne, figurations et textes peints en ocre à même une couche de vernis noir ont maintenant partiellement disparu à cause de l'important degré d'humidité que j'évoquais à l'instant.
A l'intérieur de chacun des coffres, deux vases d'environ 30 cm de haut.
Les plus fidèles d'entre vous auront remarqué que ce n'est pas la première fois qu'à propos du mobilier funéraire d'Iufaa, au demeurant "simple" haut fonctionnaire de cour, je faisais allusion à celui de Toutankhamon, pharaon de la XVIIIème dynastie : déjà la présence de cercueils emboîtés pour préserver sa momie, trois, comme dans l'hypogée du jeune souverain, m'avait interpellé, même si, je dois à la vérité de reconnaître que la comparaison ne s'impose absolument pas quant au matériau utilisé et à la facture de réalisation .
Aujourd'hui, ce coffre destiné aux viscères m'invite derechef à évoquer un mobilier funéraire hors du commun. Certes, celui-ci, en bois, n'a aucune prétention à rivaliser avec l'élégance de celui du roi adolescent, ni pour ce qui concerne la matière, de la calcite veinée, ni du point de vue de l'esthétisme de l'ensemble avec, notamment, les quatre divinités protectrices sculptées en relief embrassant chacune de leurs bras étendus un angle spécifique du monument : Isis au sud-ouest, Nephthys au nord-ouest, Neith au sud-est et Selkis au nord-est.
Mais il appert qu'à bien des niveaux, un parallélisme existe entre les deux inhumations.
Ceci posé, j'aimerais en quelques mots retracer l'évolution de ces réceptacles avant de bientôt vous expliquer de manière détaillée la signification de la présence de semblables jarres dans les tombeaux égyptiens.
Il faut savoir que, dès le début de la civilisation et de ses pratiques de momification, à Saqqarah, certains viscères des défunts furent enveloppés à part, dans des étoffes, avant d'être posés à même une niche pratiquée à l'angle sud-est du mur sud de la chambre funéraire.
Pour ne pas alourdir mes propos, permettez-moi de n'évoquer que prochainement les raisons de ces gestes thanatopraxiques.
Après cette première étape à l'aube de l'Ancien Empire, des solutions multiples virent le jour à partir de la IIIème dynastie pour la conservation des entrailles : furent par exemple envisagés l'utilisation d'un second sarcophage placé à proximité de celui contenant la momie ; le creusement d'un deuxième caveau ; voire aussi celui d'un deuxième tombeau uniquement prévu pour les abriter ...
A la même époque, les paquets de viscères embaumés furent enfermés dans des coffres en bois ou en pierre placés dans l'alcôve creusée à cet effet ou, notamment à la IVème dynastie, au fond d'un puits sommé d'une dalle.
A la Vème dynastie, l'emploi de coffres se multiplie : ils sont alors souvent déposés près du sarcophage, du côté sud. Mais cela ne signifie nullement que la niche initiale disparaît complètement : les égyptologues en retrouvèrent encore dans des sépultures du Moyen Empire.
C'est précisément à cette époque que, protection supplémentaire, se développe l'usage de prévoir quatre vases pour contenir les paquets d'entrailles momifiées. Dès lors, à partir du moment où, comme nous le verrons bientôt, des bouchons particuliers refermeront ces vases, le format des coffres qui, initialement, n'étaient fabriqués que pour abriter des paquets de viscères, s'agrandit considérablement.
On les retrouvera désormais dans le mobilier funéraire égyptien jusqu'à l'époque gréco-romaine ; raison pour laquelle, aujourd'hui, nous avons pu nous pencher sur celui d'Iufaa, dignitaire de la XXVIème dynastie, et des vases qu'il contenait.
Pour ce qui les concerne, je vous propose un nouveau rendez-vous, le samedi 20
nomvembre.
Si tant est que la poursuite de ce sujet vous intéresse ...
(Bardinet : 1995, 79 ; Bares : non daté, passim ; Posener/ Sauneron/Yoyotte : 1959, 41-2 ; Reeves : 1995, 119-22 ; Rogouline : 1965, 237-54)