Il est plus facile pour un Chrétien …

Publié le 12 novembre 2010 par Variae

Le tintamarre médiatique organisé autour de l'accueil de réfugiés irakiens chrétiens, largement commenté et accompagné par Eric Besson, ne peut qu'attiser la curiosité de l'observateur attentif de la vie publique française. Depuis 2007, le discours de l'Elysée et des deux emblématiques ministres de l'immigration et de l'identité nationale - Brice Hortefeux puis Eric Besson - a été tout aussi clair que leurs pratiques : affirmation d'une part, d'un besoin de rigueur et de maîtrise sur les flux migratoires (d'où la gestion avec une poigne de fer des affaires de sans-papiers), et d'autre part d'une générosité parallèle sur les demandes d'asile ; politique de durcissement et de fermeture des frontières, dans les faits, pour une catégorie de migrants comme pour l'autre. Si on peine à se souvenir d'épisodes valant preuve de la " générosité " vantée par Eric Besson, il n'y a pas besoin de faire un gros effort de mémoire pour retrouver pléthore de cas médiatisés d'intransigeance féroce et d'arguties juridiques à l'encontre de demandeurs d'asile, sans parler de tous les dossiers anonymes sur lesquels se battent les associations spécialisées. Ni de la loi Besson.

Dans ce contexte et avec ce passif, la grande attention portée à la situation des Chrétiens d'Irak (d)étonne. On ne peut évidemment que se réjouir du zèle dont ils bénéficient ; ce qui est plus questionnant rétrospectivement, en revanche, est la froideur (litote) avec laquelle ont été traitées d'autres demandes antérieures, relatives à des Afghans ou à des Kurdes notamment.

Il faut donc écouter très attentivement les explications données par Besson. " Avec cette décision, la France est fidèle à sa tradition républicaine de l'asile, et à son héritage de solidarité avec les minorités religieuses présentes en Orient depuis deux millénaires ". Le ministre de l'identité nationale est tout à fait explicite : ce n'est pas simplement la tradition du droit d'asile qui joue en faveur des malheureux Irakiens - et heureusement pour eux, au vu de la manière dont ladite tradition est respectée sous l'ère Sarkozy - mais également une tradition de solidarité avec des minorités religieuses. En l'occurrence, le pluriel est bien exagéré ; chacun a bien compris que c'est de minorités chrétiennes qu'il s'agit, et que cette caractéristique n'est sans doute pas étrangère à la qualité de leur accueil et à sa mise en scène.

Si l'on accepte par ailleurs comme hypothèse que Nicolas Sarkozy est désormais entré en pré-campagne pour sa réélection et que toutes les décisions prises et abondamment relayées par ses ministres sont pensées dans cette perspective, cette séquence peut se comprendre sous un jour nouveau. Quel est le message passé à l'opinion ? Tout d'abord, qu'une certaine humanité est possible dans le traitement sarkozien des étrangers, dans le cadre très particulier du droit d'asile ; ceci pour rattraper le traitement estival des Roms qui avaient pour seul bagage, il est vrai, leur réputation de voleurs et de mendiants, et échappaient donc plus facilement au statut de victimes. Parallèlement, c'est un message qui est envoyé aux Chrétiens, électorat que l'on dit très ébranlé à la fois par la dérive bling-bling et par l'épisode des Roms : le couple Sarkozy-Besson est capable de charité, ou mieux encore, de charité envers les Chrétiens. Mais cette sorte d'exclusivité de la charité peut aussi se comprendre de façon plus large.

Car il ne faut jamais oublier que depuis 2007, immigration et identité nationale sont intimement liées dans l'idéologie sarkozyste et dans le fonctionnement même du ministère dédié. Le grand débat sur l'identité nationale avait pour but de révéler celle de la France, notamment en s'appuyant sur l'histoire du pays, histoire qui doit, aux yeux du candidat comme du président de la République, assumer complètement sa part religieuse. Nicolas Sarkozy est même allé plus loin, reprenant à plusieurs reprises à son compte l'idée de racines chrétiennes de la France : " Ce fut une erreur de tourner le dos à notre passé et de renier d'une certaine façon des racines qui sont évidentes [...] il suffit de survoler la France pour voir ce long manteau d'églises " ; " Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes [...] La laïcité n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes ".

Alors qu'Eric Besson met au cœur de son ministère la transformation des immigrés en bons Français , et que les polémiques à répétition sur la burqa, la polygamie ou les violences ont démontré combien on attend de ceux-ci qu'ils donnent sans cesse des preuves de leur bonne intégration ( sous peine d'être expulsés du corps national), le fait que l'on s'apprête à accueillir sans difficulté les malheureux Irakiens non pas au titre de leur malheur en soi, mais à celui de leur condition de minorité chrétienne conduit à la déduction suivante : dignes d'être accueillis parce que bons Français en puissance, bons Français parce que Chrétiens, et donc compatibles avec notre identité nationale, qui ne se limite pas à des lois mais intègre des valeurs et une histoire, et en son sein - on le suppose - les fameuses racines chrétiennes.

D'un côté, les polygames musulmans dont on étudie la dénaturalisation, de l'autre les Chrétiens martyrs dont on favorise l'acceptation. La distinction tacite est claire et à même de séduire tous ceux, au-delà de l'électorat chrétien, qui aiment penser la nation en termes substantialistes : les Chrétiens du Moyen-Orient ont beaucoup en commun avec nous, les Kurdes un peu moins, les Afghans encore moins, surtout quand l'actualité de leur pays se complexifie et qu'il n'est plus si évident que l'on puisse opposer gentils Afghans opprimés et méchants oppresseurs talibans.

Donner des gages d'humanité, rassurer les Chrétiens et illustrer de façon subliminale une conception de l'identité nationale qui a fait ses preuves, électoralement parlant : charité bien ordonnée, après tout, commence par soi-même. Une maxime biblique légèrement modifiée pourrait peut-être être ajoutée au frontispice du ministère de l'immigration : il est plus facile pour un Chrétien de passer par le chas d'une aiguille - nos frontières bien étanches - que pour tout autre demandeur d'asile.

Romain Pigenel

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