Écrit par Mutations
Vendredi, 12 Novembre 2010 09:49
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Quartier Ngousso à un jet de pierre de la chapelle éponyme, ce jeudi 19 août 2010. Une fine gelée tombe sur la ville. Caprice de mois d'août, le soleil se fait désirer. Dans le campus de «Sup de Co», tout est calme. A l'entrée, les vigiles filtrent les allées et venues. Personne dans les couloirs. Le bureau du patron est propre, rangé et sobre. Les persiennes vitrées sont continuellement fermées. Les murs sont
d'un blanc éclatant.
Ce qui augmente la luminosité de ce bureau faiblement éclairé. Sur les murs, une dizaine de tableaux et de photos sont accrochés. Malgré la fraîcheur externe, le climatiseur tourne dans le bureau de cet homme de 67 ans. «C'est ainsi tous les jours», confie un de ses collaborateurs. Ce dernier avoue s'être converti au costume cravate, pas seulement par convenance personnelle. Mais davantage à cause de la température ambiante de ce bureau qu'il est obligé de fréquenter régulièrement. Robert Nyangang lui-même confie qu'à son âge, ses ennuis de santé sont devenus «de plus en plus fréquents et préoccupants».
Qu'est ce qui peut donc le prémunir d'un éventuel accès de froid dans ce «Work office» qu'il ne quitte vraiment pas? Certainement pas ce léger boubou traditionnel aux motifs fleuris qu'il arbore fièrement. Encore moins cette chéchia, négligemment posée sur cette ronde tête aux cheveux grisonnants. Mieux vaut alors aller chercher explication dans sa force intérieure et sa capacité de concentration. «Il est capable de rester des heures durant la tête dans ses dossiers, complètement coupé de son environnement», commente son collaborateur suscité. Au fond, a-t-il vraiment le choix?
Car cette pièce ne semble tolérer que le joug des papiers. Sur le bureau, comme sur la table de travail, les dossiers le disputent aux ...dossiers: Certains sont relatifs à l'administration et au management de l'école, d'autres à son déploiement à travers notamment les partenariats internationaux, d'autres à l'offre académique, d'autres encore à la discipline des étudiants et même des enseignants...Mais une chose est sûre selon les témoignages recueillis, ce stakhanoviste des dossiers les maîtrise tous. Pour y parvenir, il se ménage 18 heurs de travail par jour, malgré les conseils de son médecin. Il s'impose aussi une grande discipline personnelle.
Dès lors, on met le doigt sur ce qui constitue, mieux que toute autre chose, l'écrin de son talent. D'ailleurs, il a imposé la discipline et l'ordre comme matrices de fonctionnement de «Sup de Co». Manifestations de l'omniprésence de ce couplé «gagnant», la propreté et la tenue impeccable des toilettes de cette école. Pour cet homme, par trop cérébral, ce tandem fonctionne comme une véritable valeur refuge: Tout ou presque est calculé, chronométré, planifié, organisé. Il n'hésite même pas à considérer la vie comme une simple recherche permanente d'un moyen terme arithmétique entre les ressources disponibles et les besoins. Du coup, il finit par apparaître comme un androïde.
Pour autant, cet homme policé, pudique, est affable. Lorsqu'il vous parle, il perd le sens de la mesure. La faute peut-être à sa vaste culture générale. Elle lui permet de parler sans discontinuer et ce dans un savant et logique enchaînement, de presque tout: de l'histoire du judaïsme, du christianisme, de l'ordre des templiers, des guerres de religion et d'expansion, de la France, du Cameroun; de la «phraséologie» des chansons de Richard Bona ou de Manu Dibango, des principes de la finance et de l'économie mondiale et nationale, des règles de management et des phases de l'évolution d'une entreprise, de la natation... Le tout en alignant chiffres et dates avec une précision chirurgicale.
«Bob la gâchette»
S'il parle autant, c'est dit-il, pour «partager avec les autres ce qu'il a de meilleur. Dire donc de lui qu'il est généreux apparaît à ses yeux et davantage à ceux de ses proches, comme la plus évidente des vérités. Boniface Mballa Mballa qui enseigne le commerce international à Sup de Co et qui revendique des rapports plus que professionnels avec son patron, raconte: «Lorsque vous le rencontrez dans un restaurant en ville, il n'est jamais à court d'une bonne bouteille de vin ou de champagne qu'il partage toujours avec un ami». Avant de préciser qu'il ne «faut pas non plus croire qu'il est plein aux as. C'est une de ses façons de vivre la générosité africaine». «Je l'ai surnommé Bob la gâchette, parce qu'il tire plus vite Lucky Luck sur tout ce qui bouge» ajoute un autre proche. «Il faut le voir, lorsqu'il est entre amis, vanter les délices de la vie et vous disant, les joues pleines d'un bon verre de champagne et un cigare calé entre les doigts, que c'est ici et maintenant qu'il faut vivre».
A cette étape, on appréhende mieux ce qui apparaît aux yeux de certains de ses proches comme de «véritables contradictions» chez cet homme: Il est géant (surtout au sens propre) et essaye très souvent de passer inaperçu. Il se dit chrétien catholique «pratiquant» pourtant il polygame. Il se revendique du Rdpc (Il accepterait même un poste au gouvernement) alors qu'il «abhorre» la politique qu'il considère comme un vaste fancy-dress party où, déguisés, les convives se permettent jusqu'aux parricides. Il se veut rationnel jusqu'aux ongles pourtant il est «plus que généreux» et plutôt «bon viveur». Il se passionne pour la modernité alors qu'il n'arrive à mettre en marche ce grand poste de télévision qui trône au milieu de son bureau. Il se dit en même temps impressionné et inquiet par la montée en puissance de la Chine...
Sa montée en puissance quant à elle, il l'a amorcée loin de «chez lui». Les racines de «l'arbre Nyangang» se nourrissent certes aujourd'hui dans le sous sol généreux de son Bangangté d'origine. Mais la tige elle-même est sortie de terre à Douala. Et c'est vers la France que son feuillage a d'abord porté son ombrage. Après le Baccalauréat en Sciences expérimentales obtenu au Lycée Joss de Douala, c'est à l'Ecole supérieure de Commerce de Clermont qu'il dépose ses valises Les «Classes préparatoires» aux grandes écoles précèdent cependant cette seconde étape. Et c'est là qu'il va construire les fondations et l'ossature de la vaste culture générale qui le distingue aujourd'hui. Nous sommes en 1964, Robert Nyangang a 21 ans.
Montée en régime
En 1971, il obtient son Master en management. Il entame immédiatement sa carrière professionnelle à Saga. A 28 ans, il rentre au bercail pour faire ses armes dans l'agence de Yaoundé de cette société française de gérance et d'armement maritime. Puis, il va diriger celle de Douala. Bientôt, le privé ne le passionne plus. En 1981, il rejoint la Société nationale d'investissement (Sni) comme inspecteur comptable stagiaire. Il gravit ensuite les marches de ce mastodonte quatre par quatre et rejoint très rapidement le sommet de son administration. Son secret? Etre toujours disponible et ne se permettre aucun «miss-management». Entre temps, il est détaché à la défunte Camsuco (Cameroon sugar company) comme directeur financier. C'est en décembre 2003 qu'il quitte définitivement la Sni, alors qu'il occupe les fonctions de directeur des études et des projets.
Commence alors une nouvelle vie pour ce chevalier de l'ordre de la valeur. Le «Motel Palace», hôtel de deux étoiles qu'il promeut depuis près de 10 ans, lui garanti une retraite moins «perturbée». Financièrement l'affaire marche. Le nouveau retraité peut même s'en contenter. Mais l'idée de s'investir intellectuellement creuse un sillon dans son esprit et finit par le convaincre de se lancer dans l'enseignement du commerce international et du management. D'abord parce que ce sont ces deux spécialités qui ont rendu possible cette trajectoire. Ensuite parce que «pour lutter contre la pauvreté, il faut créer des emplois. Ceci exige soit de créer des entreprises, soit de mieux gérer celles qui existent», explique t-il en substance D'ailleurs l'environnement monopolistique s'y prête. Car seul l'Etat dispose d'une structure qui offre ce type de formation, l'Esec de Douala.
Il décide de rompre cette donne et ne veut pas d'un projet au rabais. Sauf qu'il faut avoir les moyens de sa politique. Retour en France. Il négocie et obtient le partenariat académique de l'Esc de Clermont-Ferrand pour la formation au Master (Bacc+5). A partir de là, il peut engager des négociations avec le gouvernement camerounais, pour obtenir les autorisations nécessaires. L'université de Yaoundé II dont la tutelle académique est sollicitée, doit s'assurer de la capacité de la structure en gestation, d'offrir un cursus diplômant aussi ambitieux. L'exigüité du budget, entre autres raisons, amène ce «Bamiléké» (Comme il se définit lui-même, même s'il préfère l'appellation «Grassfield») à fermer le «Motel Palace». Il y aménage les bâtiments et bureaux de la nouvelle école. En 2007, le ministère de l'Enseignement supérieur valide les conventions tripartites de partenariat académique signées l'année précédente entre les trois institutions académiques sus citées. «A titre de régulation», précise Robert Nyangang, puisque l'établissement accueille ses étudiants depuis 2004.
Sup de Co, devenue entre temps «le groupe Esc Yaoundé» est aujourd'hui constituée de deux établissements : une pour le Commerce et l'autre dispensant des formations gestion des entreprises: l'Institut supérieur qui forme pendant deux ans au Bts ou Hnd, et l'Ecole supérieure qui débouche sur le diplôme de Master, souvent après deux ans de classes préparatoires. Chacun des mille étudiants qui s'y inscrivent chaque année doit débourser entre 410 mille et deux millions FCfa. Scandaleux pour un pays où une bonne partie de la population peine à se nourrir? Certainement pas, pour les responsables de cette institution. Ceux ci considèrent ces prix comme la juste contre partie de la qualité de la formation offerte. «En trois promotions, nous avons produits près de 50 Masters. Presque tous sont des hauts cadres dans des entreprises nationales et des multinationales», précise en substance Robert Nyangang. «Les autres, poursuit-il, ont choisi de poursuivre leurs études en s'inscrivant à un Master spécialisé». D'ailleurs, en 2008, le magazine Jeune Afrique classait cette structure à la 11ème position des meilleurs «Busness School» d'Afrique. «Un motif de fierté, mais davantage une exigence de plus de performance», reconnaît notre hôte.
Dans cette optique, de nombreux projets de partenariat avec des écoles de commerce mondiales sont en gestation. Et Robert Nyangang qui sait ce que va coûter cette nouvelle augmentation de régime, n'en dort plus de la nuit. Il sait qu'il ne faut faire l'économie d'aucune once de temps et d'aucun moyen. Et c'est avec acharnement qu'il travaille ces derniers mois. Même s'il n'a pas encore le tic du coup d'œil intempestif à la montre-bracelet, ce n'est que trop modérément qu'il s'accommode des jets lags.