Jeanne Moreau & Étienne Daho – Le condamné à mort (de Jean Genet)
sorti le 8 novembre 2010 chez Radical Pop Music/Naïve
C’est une curiosité amusée et sceptique qui m’a poussée à m’intéresser à cette réalisation inattendue portée par un duo tout aussi surprenant. Étienne Daho d’abord, un artiste dont je n’ai plus croisé la route depuis que ses chansons pop agrémentaient les boums de mon adolescence. Il retrouve ici Jeanne Moreau monstre sacré et comédienne de légende. Déjà la rencontre n’était pas des plus évidentes. C’est surtout ce qui les unit qui retient l’attention : l’interprétation de l’un des écrits les plus sulfureux du siècle dernier : Le condamné à mort (de Jean Genet). En 1942 l’écrivain Jean Genet est incarcéré à Fresnes, c’est là qu’il croise un beau voyou : Maurice Pilorge. Le jeune prisonnier va fasciner et obséder le poète au point de lui inspirer par écrit les fantasmes les plus crus. Ce texte, véritable manifeste érotico-punk, fut jugé pornographique lors de sa parution. Aujourd’hui encore, il n’est pas forcément aisé d’écouter de manière désinvolte des propos qui transpirent l’érotisme et traduisent le désir urgent de l’écrivain pour son beau prisonnier. A cela s’ajoute une trame dramatique : la pénible incarcération avec la sentence de mort qui plane sur la tête du bel éphèbe, jeune assassin. La Mort et l’ Amour. Nombreux sont ceux qui furent marqués par ces écrits de Jean Genet. Mouloudji dès les années 50 puis Hélène Martin qui les mit en musique en 1961 (la version actuelle s’inspire d’ailleurs de son travail). C’est en 1997 qu’Étienne Daho commence à interpréter sur scène, avec Hélène Martin justement, l’extrait “Sur mon cou”. Le chanteur le proposera régulièrement lors de ses futurs concerts. Un jour, l’entendant sur scène, Jeanne Moreau qui a connu et côtoyé Jean Genet, rencontre Étienne Daho et ensemble les deux artistes décident de rendre un hommage vibrant au poète qui aurait eu 100 ans le mois prochain.
C’est avec une virginité toute relative qu’il convient de se plonger dans ce travail de réinterprétation du Condamné à mort. Oublions le Daho et la Moreau portés par notre pensée collective. Écoutons là un homme dont le chant n’a jamais été aussi juste. Etienne Daho interprète tout en délicatesse et avec une grande finesse les élans amoureux et physiques d’un homme tourmenté par son désir obsessionnel. On croirait entendre un jeune homme chanter tant ses interprétations semblent légères et innocentes. Jeanne Moreau par sa voix sombre et rocailleuse rappelle la teinte dramatique de la réalité historique. C’est plus en sombre témoin que la comédienne se pose alors qu’Étienne Daho s’offre à l’auditeur comme Genet aurait aimé que Maurice Pilorge s’offre à lui.
Le condamné à mort reste, les temps passant, une déclaration d’amour d’homme à homme magnifique, engagée et poignante comme il en existe peu. L’audace et la passion de deux artistes pour la poésie noire de Jean Genet ont permis de porter ce projet ambitieux et d’aboutir à une réalisation-hommage délicatement émouvante.
Sur scène :
Les 23 et 24 novembre 2010 : au théâtre de l’Odéon, Paris (Ve)
Le spectacle est précédé d’extraits de Saint Genet, comédien et martyr, de Jean-Paul Sartre, lus par Jeanne Moreau.