Françafrique, encore et toujours
Le hasard fait bien les choses. Mercredi 10 novembre, le conseil des ministres adoptait deux projets de loi de ratification d'accords « françafricains ». Et la veille jour, la Cour de Cassation relançait l'enquête sur les « biens mal acquis » de trois chefs d'Etat africains. Depuis 2007, le parquet, c'est-à-dire le gouvernement, a multiplié les embuches procédurales. A l'origine, trois ONG, les associations Sherpa, Survie et la Fédération des Congolais de la diaspora avaient déposé plainte en mars 2007 pour recel de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de biens sociaux et abus de confiance. En novembre de la même année, le parquet classe sans suite, estimant que seuls les Etats étaient légitimes à se porter partie civile contre un éventuel détournement de fonds de ... leurs propres présidents (sic !). Aux G8 et G20, ce raisonnement spécieux a été défendu... par la Sarkofrance, si prompte à donner des leçons de morale et de régulation. La France est un paradis fiscal et immobilier historique pour quelques dirigeants autoritaires africains. En décembre 2008, Transparency International dépose une nouvelle plainte, plainte jugée recevable par une juge en mai 2009.
En cause, les familles Bongo (Gabon), Nguesso (Congo-Brazzaville) et Obiang (Guinée-Equatoriale) dont les biens mobiliers et immobiliers détenus en France sont estimés à 160 millions d'euros.
Mercredi, les deux projets de loi adoptés par le conseil des ministres, et qui seront donc proposés prochainement au Parlement, visent la ratification de deux accords de défense, l'un signé le 24 février avec le Gabon, l'autre le 8 avril avec République Centrafricaine. Ces nouveaux accords prévoient une coopération militaire plutôt qu'une assistance exclusive. Le premier accord avec le Gabon datait de 1960, tout comme celui avec la Centrafrique.
En 2008, Nicolas Sarkozy avait annoncé une refonte des accords militaires en Afrique, pour la plupart signée au moment des indépendances. On croyait y voir une volonté de transparence et une rupture avec l'ancienne Françafrique. Il n'en est rien. Les réseaux françafricains restent soutenus et entretenus, jusqu'à la récente nomination de Dov Zérah à la tête de l'Agence française de développement, un ancien conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine, et proche de l'avocat Robert Bourgui, ancien directeur de cabinet au ministère de la Coopération de Michel Roussin dans les années 1990. En Afrique, Sarkozy entend juste « redéployer » l'effort français. primo, la France est durement concurrencée par les Etats-Unis et surtout la Chine. Elle ne peut plus rester cantonnée dans son pré carré post-colonial. Il lui faut s'ouvrir à l'ensemble du continent. Secundo, le stationnement permanent de troupes françaises coûte cher, alors que l'Etat est fauché. La Défense doit réduire ses coûts de 3,6 milliards d'euros d'ici 2013. Tertio, d'autres installations ou interventions coûteuses, ont été décidées ou renforcées depuis 2007, comme l'Afghanistan (300 millions d'euros par an), la réintégration dans l'Otan (100 millions d'euros par an), ou la nouvelle base française aux Emirats Arabes Unis(75 millions d'euros).
11 novembre, de Paris à Séoul
Jeudi, Nicolas Sarkozy a rendu les hommages habituels du 11 novembre : pour le 92ème anniversaire de l’Armistice de 1918, il est allé présider une cérémonie du souvenir au pied de la statue de Georges Clemenceau, avant de se rendre à l’Arc de Triomphe pour raviver la Flamme du Soldat Inconnu. Sur place, il a également inauguré une plaque à la mémoire de quelques étudiants et lycéens, résistants, qui s'y étaient rassemblés le 11 novembre 1940 dans un Paris occupé. Cette année, on vit à l'heure de la mémoire, non pas tant celle des promesses présidentielles, mais plutôt du soixante-dixième anniversaire de la défaite de 1940 et des premiers actes - rarissimes - de résistance. A l'Arc de Triomphe, Nicolas Sarkozy a salué quelques militants UMP invités en famille. Il fallait des spectateurs souriants et enthousiastes pour les photos ensuite publiées sur Elysée.fr. Que le décalage est frappant, entre ces commémorations grandiloquentes et les célébrations franco-chinoises et la ratification d'accords militaires avec quelques régimes autoritaires africains.
En parallèle, les conseillers du président publiaient une déclaration de leur patron. Comme lors de l'hommage à de Gaulle mardi, Sarkozy n'hésita pas à récupérer ces hommages au profit de sa petite cause personnelle du moment : « Nous devons puiser dans ce symbole du 11 novembre la force de surmonter les difficultés du présent, les antagonismes et les divisions partisanes, pour mener ensemble, avec courage et détermination, les actions que réclame l'avenir de notre pays.»
Le soir, le monarque est parti pour la Corée du Sud, rejoindre tous ses collègues du G20. Il est en retard. Il n'a pas pu assister à l'hommage organisé à la Grande Mosquée de Paris en l'honneur des 100 000 soldats musulmans morts pour la France pendant la Grande Guerre. Le G20 a déjà commencé sans lui.
Mais Sarkozy a une consolation. Il vole enfin dans son nouvel Airbus A330 : 176 millions d'euros dépensés pour l'engin, auxquels s'ajoutent plusieurs milliers de kilomètres de kérosène brûlés pour le rodage. L'entretien annuel coutera 49 millions d'euros pour les 3 premières années, puis 10 millions d'euros annuels ensuite, nous promet-on. L'an dernier, près de 40% des vols gouvernementaux supportés par le ministère de la Défense ont été réalisés par Nicolas Sarkozy. L'aéroport de Villacoublay, près d'Orly, n'est pas équipé pour un tel appareil. Il sera fermé pour travaux pendant plusieurs mois. L'Air Sarko One, lui, sera hébergé à Evreux, à 88 km de la capitale. A chaque déplacement de Nicolas Sarkozy, on fera venir l'avion à Orly ou Roissy. Quelles économies !