« Rendre la ville plus ludique« .
J’avais pour idée de faire une courte introduction sur cette notion et ses limites, mais le hasard a fait qu’un très bon article a déjà largement balayé le sujet sur pop-up urbain (toujours lui!). Dans cet article, une phrase parmi tant d’autres m’a cependant plu, et va me permettre de faire le lien avec mon sujet initial (et donc justifier un énième test de jeu vidéo pour parler « urbanisme »).
celles-ci [les pratiques ludiques] possèdent, dans leur essence même, de nombreuses vertus. Elles agissent ainsi comme révélateurs d’une autre manière de consommer la ville, favorisant l’intégration à la trame urbaine des “vides” de la ville
De fait, à quoi pense t-on lorsqu’on évoque les usages ludiques offerts par les espaces urbains, sinon à des pratiques détournant leurs usages théoriques ? Le fait même de parler d’une « offre » d’usages ludiques dans ville me semble à ce propos peu pertinent. L’intérêt de jouer avec la ville, c’est justement de prendre en son sein ce qui se destine à la base autre chose.
Les cultures urbaines ne s’y sont d’ailleurs pas trompées, et quelle que soit la taille d’un skate parc, c’est toujours sur le perron des voisins que l’on s’amuse le plus. C’est d’ailleurs la base même du jeu : n’est drôle que ce qui l’est effectivement, pas nécessairement (et peut être même : justement pas) ce qui est destiné à l’être. Si un emballage peut être plus marrant que son contenu, pourquoi une rue ne pourrait être un meilleur lieu pour jouer qu’un parc ?
Derrière cette question de la ville ludique se cache aussi la question de la sectorisation croissante des espaces urbains. Dans cette recherche de productions de lieux à vivre, de lieux où consommer (sans doute à lier avec les malls et la disparition des rues commerçantes dans les projets urbains), de lieux où travailler et de lieux où jouer, c’est toute la thématique du contrôle de l’infrastructure sur l’humain qui pourrait être développée. « Ne joue pas au ballon sur la route ». Au delà du bon sens, on retrouve derrière cette injonction la base d’une structuration sectorielle de la ville basée sur la destination et l’usage (déterminé) des espaces : la route n’est pas faite pour jouer, c’est un lieu de déplacement pour les voitures; tu n’es donc pas à ta place dessus; tu n’es pas légitime à utiliser cet espace; tout manquement à cette règle aboutira à une sanction « justifiée » : te faire renverser.
Dans un tel contexte, rendre la ville ludique prend d’autant plus de sens si le jeu se fait dans la transgression et non dans l’aménagement « en dur ». Dicter où jouer, c’est déjà ôter du plaisir. Glisser ou sauter par dessus une barrière, au delà du « fun » que cela procure, c’est aussi acter symboliquement sa non-appartenance à un système qui cherche à séparer un espace entier pour en créer plusieurs, amputés les uns des autres.
Ce « fun urbain », lié au choix que possède chaque utilisateur de la ville à dicter ses propres usages, est prégnant dans un certain nombre « d’events » temporaires et très localisés (je vous renvoie pour ça à mon article sur l’interactivité urbaine, ou encore à l’article cité plus haut qui dévoile un intéressant toboggan installé dans un métro).
Le rapport avec Zombie, run! ?
Zombies, run! est un jeu très marqué « pop culture » disponible gratuitement aux mobinautes sous android.
Son concept se nourrit largement des faits développés précédemment, et participe selon moi à enrichir la réflexion sur les déplacements piétons dans les villes.
Bien souvent, se déplacer en ville se résume à aller d’un point A à un point B dans un but précis (travail, achats, loisir) pour ensuite revenir au point de départ une fois son objectif accompli. Le trajet, lui, n’est qu’un « mal nécessaire » à l’accomplissement de nos désirs, et sa durée tant que sa longueur va influer sur notre choix de moyen de transport. Peut-on parler d’effet tunnel dans les déplacements piétons urbains ? Pas complètement (de nombreux stimulus nous attirent et donnent aux espace traversés une existence), mais la question mérite d’être posée tant l’objectif visé prime sur la manière dont on va le rejoindre. Comme si ce qui se passait sur notre trajet n’était qu’une parenthèse, un éléments perturbateur dans une planification bien pensée.
Le jeu Zombie, run! permet justement de s’affranchir de la contrainte engendrée par le trajet pour la transformer en une expérience de jeu en milieu urbain qui utilise les rues comme autant de trajectoires possibles.
Le but, très simple, est d’arriver à survivre à une horde de zombies qui cherche à nous empêcher d’arriver à destination (et nous manger la cervelle). (Les photos suivantes sont tirées de fr.androlib.com).
Choix de la difficulté... quand je vous disais que le jeu est marqué pop culture !
4 niveaux de difficulté s’offrent donc à vous (avec un niveau croissant de zombies qui vont tenter de vous manger) ainsi que 3 types de zombies au choix, classés selon leur vitesse de déplacement (et les films dont ils sont tirés : Night of the living dead (2mph), Resident Evil (5mph) et 28 Days later (8mph)).
Capture d'écran d'une partie : vous êtes le point bleu, le drapeau est votre objectif, et les zombies en rouge sont ceux qui vous ont repéré. Courrez !
Les Zombies à mesure des années sont devenus de véritables mythes urbains. Êtres imaginaires, ils nous effrayent d’autant plus qu’ils peuplent nos lieux de vies quotidiens : maisons, centres commerciaux, hôpitaux… Le film de zombie par essence soumet à des contraintes inédites un espace qui nous est familier. C’est exactement ce que fait Zombie, run! en détournant la trame urbaine pour en fait non plus un simple vecteur de déplacement ou de commerce, mais également un piège ou une échappatoire potentielle.
Sans aucune construction d’infrastructure, fonctionnel où que l’on soit, le jeu permet qu’aucune partie ne se ressemble, et qu’aucun déplacement ne devienne routinier. Au contraire des aménagement de loisirs, où les utilisateurs sont identifiés (donc exclus de l’espace public, lieu d’anonymat ?), les jeux géo-référencés en réalité augmentée permettent de se soustraire aux contraintes physiques et/ou spatiales : on peut jouer où on le souhaite sans que son statut de joueur prenne le pas sur celui de passant; les deux sont de fait liés et c’est cette coexistence de statuts qui rend cette activité ludique si intéressante. Les déplacements induits par Zombie, run! ne sont ni les plus courts ni plus rapides (quoique le fait de courir la plupart du temps a largement diminué mes temps de trajet); le seul paramètre à prendre en compte est de choisir l’itinéraire qui nous permet d’arriver à bon port … vivant !
Pour illustrer mon propos et conclure cet article, voici le déroulement habituel d’une partie
Je lance ma partie
Ok jusque là, tout-va-bien
Ha, voici quelques zombies de l’autre côté de ce parc, je vais faire attention et courir pour prendre les devants
Ok je les ai dépassé, pas très futés ceux-là !Aie, d’autres sont en face, je dois traverser la rue
Pourquoi ce feu est aussi long…*le téléphone se met à vibrer* Mince ils s’approchent là !
Peut-être que si je passe à côté … bon d’accord, tant pis pour l’image que je donne de moi : je vais courir et zigzaguer entre eux !
Passé ! Je suis passé ! Je suis p…. arrr mais non ils ont fait demi tour !! Perdu !! Je déteste ce jeu !Nouvelle partie,
Bis repetita
Hmmm, Braiiiiinnnns !