La Cour administrative d'appel de Marseille vient, par arrêt du 21 octobre 2010, de préciser les conditions d'application de la loi "montagne" à la création de parcs éoliens. Analyse.
"On se souvient que le Conseil d'Etat, par arrêt du 16 juin 2010, avait jugé opposables aux demande de permis de construire des parcs éoliens, les dispositions de la loi Montagne, notamment codifiées à l'article L.145-3 du code de l'urbanisme.
La Cour administrative d'appel de Marseille vient de rendre, ce 21 octobre 2010, un arrêt qui contribue à la clarification des conditions d'application de cette législation qui tend à la protection des zones de montagne.
L'arrêt précise ici :
"Sur l'article L.145-3.III du code de l'urbanisme :
Considérant qu'aux termes du premier alinéa du III de l'article L.145-3 du code de l'urbanisme : Sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants. ; que le c) de ce III, combiné avec le 4° de l'article L. 111-1-2 du même code, définit les cas où, d'une part, dans les communes ou parties de commune qui ne sont pas couvertes par un plan local d'urbanisme ou une carte communale, et d'autre part, eu égard à la nature de certains ouvrages, peuvent néanmoins être autorisées des constructions qui ne sont pas situées en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants ; que dans les circonstances de l'espèce, eu égard d'une part à la nature du projet de production d'électricité à partir de l'énergie éolienne sur le territoire des communes intéressées, en partie sur des parcelles appartenant à deux sections de commune, projet à l'initiative duquel se trouvent ces communes dans un but de développement local, et d'autre part, à l'intérêt général qui impose leur implantation isolée, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le projet ne pouvait bénéficier de la dérogation prévue par le premier alinéa du III de l'article L.145-3 du code de l'urbanisme et relative aux installations et équipements publics, incompatibles avec le voisinage des zones habitées"
En conséquence, la Cour administrative d'appel de Marseille annule le jugement par lequel le Tribunal administratif de Nîmes avait annulé les permis de construire délivrés le 4 avril 2005 par le préfet de Lozère pour l'installation d'aérogénérateurs sur le territoire des communes de La Fage de Montivernoux et de Fau de Peyre.
Ainsi, au cas présent, la Cour juge que les éoliennes peuvent être édifiées de manière isolée et déroger à l'interdiction définie par la loi montagne destinée à prévenir l'articialisation des sols en zone montagne. On notera que la Cour juge que sont satisfaites les conditions d'application de cette dérogation pour les motifs suivants :
- la nature du projet de production d'électricité éolienne
- les communes sont à l'origine de ce ce projet dans "un but de développement local"
- il est d'intérêt général que ces éoliennes soient l'objet d'une "implantation isolée".
Il est donc patent que la Cour a accordé une importante toute particulière à l'appréciation concrète et non générale - du caractère d'intérêt général du projet d'éoliennes. On soulignera notamment le fait que la Cour relève que ce sont les communes qui sont à l'origine du projet. Cette analyse de la Cour administrative d'appel de Marseille doit être mise en perspective avec celle sur le développement de l'éolien participatif.
La Cour va, par ailleurs, rejeter tous les autres moyens d'annulation des permis de construire querellés.
Sur l'étude d'impact
L'arrêt précise ici :
"Sur l'étude d'impact :
Considérant que le pétitionnaire a fait procéder à une étude d'impact qui aborde tous les points mentionnés par le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 alors opposable ; qu'elle contient notamment une étude hydrogéologique qui évalue l'incidence de la réalisation du projet sur les eaux souterraines dont la vulnérabilité est signalée, une évaluation des risques naturels ou industriels d'incendie, de leur éventualité d'accroissement du fait de la réalisation et du fonctionnement de l'installation et de la façon de les combattre et de les contenir ; qu'elle prend en considération la présence sur le sites de zones naturelles (ZNIEFF) faisant l'objet d'une protection spécifique ; qu'elle comporte une étude et un recensement de la faune, notamment des types d'oiseaux et de chiroptères observés sur le site, et une évaluation des conséquences de la présence des éoliennes sur leur mode de vie, notamment en ce qui concerne les couloirs migratoires ; que dans ces conditions, l'étude d'impact, qui n'avait pas, à sa date de réalisation, l'obligation de se prononcer sur les effets du démantèlement du site et sa remise en état, donne des informations complètes, objectives et suffisantes sur le projet soumis à autorisation pour permettre notamment à l'autorité administrative de se prononcer en toute connaissance de cause"
On remarquera que la Cour juge que l'étude d'impact n'avait pas, à sa date de réalisation, l'obligation de se prononcer sur les effets du démantèlement du site et sa remise en état". Cela signifie concrètement qu'avec l'entrée en vigueur prochaine des nouvelles dispositons relatives à l'étude d'impact, celle-ci devra, non seulement décrire les conditions de démantèlement et de remise en état du site mais aussi évaluer et exposer les effets de ces travaux de démantèlement et de remise en état pour l'environnement et la santé humaine. De manière générale, la question de la fin des installations de production d'énergie renouvelable est en train de devenir tout à fait prégnante tant pour les éoliennes que pour le solaire.
Sur l'avis du commissaire enquêteur
L'arrêt précise ici :
"Sur l'enquête publique :
Considérant que si le commissaire enquêteur a clairement exprimé son avis favorable et sa position personnelle, il a pris cette position argumentée, après avoir relaté le déroulement de l'enquête de façon objective en se faisant l'écho des observations recueillies qu'il a commentées et évaluées en fonction des caractéristiques du projet ; que son avis ne peut dans ces conditions être qualifié de partial et l'enquête qu'il a conduite d'irrégulière ;"
Cette analyse est particulièrement intéressante. A titre personnel, lorsque j'accompagne des opérateurs au cours des enquêtes publiques, j'pobserve que tous ne sont pas sufissament conscients de l'importance à accorder au rôle, aux questions, aux conclusions et à l'avis du Commissaire enquêteur. Pourtant, la fonction de ce dernier voit son importance considérablement renforcée à la suite de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. Au cas présent, la Cour contrôle la régularité de l'avis du Commissaire enquêteur pour conclure à la régularité de l'enquête publique.
Sur le respect du règlement national d'urbanisme :
L'arrêt précise ici :
"Considérant, en premier lieu, que les dispositions codifiées au code de l'urbanisme précitées de la loi du 9 janvier 1985 régissent de façon exclusive les conditions dans lesquelles le développement de l'urbanisation est autorisé dans les zones de montagne, en faisant notamment application d'un principe de prohibition générale de l'urbanisation isolée ; que ces dispositions spéciales ont ainsi seules vocation à réglementer l'urbanisation dérogatoire des espaces naturels de ces secteurs ; que M. B et autres ne peuvent ainsi utilement se prévaloir des dispositions de l'article R.111-14-1 du code de l'urbanisme alors applicable qui permettent de façon générale à l'administration de s'opposer à un projet qui favoriserait une urbanisation dispersée incompatible avec les espaces naturels l'environnant ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R.111-2 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors en vigueur : Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation ou leurs dimensions, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Il en est de même si les constructions projetées, par leur implantation à proximité d'autres installations, leurs caractéristiques ou leur situation, sont de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le présence d'éoliennes sur le site retenu serait de nature a compromettre la qualité des eaux et altérer notamment la sécurité sanitaire des captages faisant l'objet de périmètres de protection, repérés et signalés dans l'étude d'impact, ou à accroitre les risques d'incendie dans un environnement boisé ; que si des risques de bris et de chute d'éléments des installations ne peuvent être exclus, la configuration des lieux et l'isolement du parc éolien permettaient, sans erreur manifeste d'appréciation, d'autoriser les projets"
De nouveau, s'agissant du contrôle du respect du réglement national d'urbanisme, le Juge opère une analyse in concreto. Celle-ci procède souvent d'une lecture attentive des avis émis par les autorités administratives en charge de l'instruction de la demande d'autorisation. On remarquera aussi que ce Juge n'exige pas le risque zéro pourtant exigé des parcs éoliens : "que si des risques de bris et de chute d'éléments des installations ne peuvent être exclus"
Sur l'article R.111.21 du code de l'urbanisme :
L'arrêt précise ici :
"Considérant, en troisième lieu, que dans sa rédaction alors applicable, l'article R.111-21 dispose que Le permis de construire peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. ; que le projet doit conduire à la réalisation d'un ensemble de 7 aérogénérateurs implantés au sein du massif du Truc de l'Homme situé entre le plateau de l'Aubrac et la Margeride , dans un paysage dont il ressort des consultations recueillies et des études menées lors de l'étude du projet qu'il ne présente pas un intérêt patrimonial ou esthétique remarquable ; que par ailleurs, il ressort des simulations graphiques au dossier que la visibilité des éléments du parc éolien de points proches ou éloignés, est réduite compte tenu notamment de l'orientation des pentes et qu'ainsi les conséquences inévitables de la présence des éoliennes dans leur environnement ne sont pas excessivement dommageables, au regard de la nature même de ce type d'installation et à l'intérêt général qui s'attache à leur implantation dans des zones naturelles éloignées des parties habitées ; que la présence de zones naturelles de protection privilégiée, repérées en raison de la nature de la faune et de la flore, qui sont limitrophes ou incluses dans le périmètre du parc éolien, ne suffit pas, en l'absence d'atteintes démontrées aux objectifs de délimitation de telles zones ou de contrariété avec eux, à établir leur incompatibilité avec le projet autorisé ; qu'enfin, la réalisation du parc ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt particulier et reconnu des divers itinéraires de randonnée présents dans ce secteur, dont la qualité et la vocation ne sont pas gravement compromises par la création de points de vue ponctuels sur le site ; que les demandeurs ne sont en conséquence pas fondés à soutenir que le préfet s'est livré à une appréciation manifestement erronée des conditions de l'insertion du projet dans son environnement naturel proche et lointain"
A l'instar de l'ensemble des termes de cet arrêt, il est remarquable que la Cour opère ici une balance de l'intérêt général et de l'intérêt particulier. Elle relève que l'implantation isolée des éoliennes relève de l'intérêt et ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt particulier qui s'attache notamment à la préservation des itinéraires de randonnée. La Cour écarte finalement toute erreur manifeste d'appréciation de la part de l'autorité administrative qui a délivré le permis entrepris.