Quand la rumeur a commencé à circuler sur l’écriture de ses mémoires par Keith Richards j’avoue ne pas y avoir cru, mais lorsqu’au début de l’année une date prévisionnelle de sortie en octobre est tombée, je me suis incliné devant la réalité. Inutile de vous dire que je n’ai pas attendu les critiques de Pierre, Paul ou Jacques (Mettez les noms que vous voulez) pour acheter le bouquin et m’y plonger quasiment sans interruption durant quelques jours et aujourd’hui alors que je referme l’ouvrage je viens témoigner, c’est GEANT !
Le livre en tant qu’objet est déjà très bien foutu. Sur la couverture intérieure, un court texte manuscrit et signé de l’auteur, comme une dédicace particulière au lecteur. Sympa ! Intercalés à l’intérieur du texte de 640 pages, deux cahiers de huit pages de photos chacun dont certaines inédites pour moi. Le bouquin est découpé en treize chapitres et chacun est sous-titré par un court texte de présentation, comme dans les vieux livres de mon enfance, commençant ainsi par exemple « Où je découvre l’open tuning et l’héroïne à la fin des années 60 ». En fin de livre, la très bonne initiative c’est l’index des noms cités dans le texte, noms propres et titres de chansons, qui permet d’aller piocher selon son envie. Enfin dernière satisfaction (!!), bien entendu le bouquin n’a pas été « écrit » réellement par Keith Richards, du moins pas entièrement, il s’est adjoint les services de son ami l’écrivain et journaliste James Fox et je dois dire que le style et l’humour rendent la lecture de ces mémoires absolument passionnantes et plaisantes.
Venons en au texte et aux révélations proprement dites. D’abord, il s’agit de mémoires, donc de faits racontés par un type qui y était, ce qui n’exclut pas la partialité mais reste largement aussi crédible qu’une biographie écrite par quelqu’un qui n’a pas vu ou vécu l’histoire. Pourquoi irai-je croire le bouquin écrit sur les Rolling Stones par Untel plutôt que ce qu’en dit Keith Richards leur guitariste fondateur ?
Keith Richards – mon héros – est né le 18 décembre 1943 à Dartford dans l’est de Londres. Guitariste, chanteur, compositeur et cofondateur des Rolling Stones, il a aussi enregistré des albums solo avec son groupe les X-Pensive Winos et participé à de nombreux disques d’autres artistes. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut avec sa femme Patti Hansen.
On peut résumer ainsi la carrière du musicien mais ce qui nous intéresse c’est tout le reste et justement ce livre est là pour tout (ou presque) nous dire. Et Keith ne tait rien. D’abord sur ses collègues Stones, s’il leur reconnaît à tous des talents d’instrumentistes il n’hésite pas à les critiquer ou casser sur d’autres points. Brian Jones le guitariste décédé tragiquement « Un vrai enfoiré Brian, mauvais comme la gale », Mick Taylor le guitariste remplaçant, excellent musicien mais qui ne s’intégrera jamais au groupe, son remplaçant Ron Wood « Si tout baigne avec Ronnie, s’il ne pense à rien d’autre, s’il est concentré comme il faut, c’est un musicien incroyablement en phase », peu de choses sur Bill Wyman (bassiste) sinon qu’il n’a pas aimé qu’il quitte le groupe « Quand Bill Wyman a quitté le groupe en 1991, ça m’a mis d’une humeur noire. Je lui ai passé un savon vraiment terrible » et Charlie Watts est le seul qui ne soit pas égratigné. Quant à Mick Jagger … un long fil rouge durant toute la seconde partie du bouquin digne des plus belles histoires d’amour viril entre hommes. De leur complicité totale d’adolescents, les années qui passent les ont fait divergés, si Keith est resté un pur et dur rock’n’roller, Mick a été attiré par les néons de la gloire et du fric tentant de s’annexer les Stones comme son groupe, alors qu’ils sont tous le groupe. Keith ne lui pardonnera jamais même s’il reconnaît que Mick reste son frère et il lâche quelques vacheries que la presse ne manquera pas de vous rapporter en se léchant les babines. « J’aime sincèrement ce type, mais l’époque où nous étions vraiment proches est finie depuis longtemps ».
Tous ces passages sont réellement émouvants et on sent que Keith en souffre particulièrement, car pour lui l’amitié est un sentiment qu’il place au-dessus de tout. A égalité avec l’amour, Ronnie Spector, Marianne Faithfull, Anita Pallenberg (une folle passion entre camés déjantés) et Patti Hansen. S’il ne drague jamais, il laisse les femmes faire le premier pas, il est capable d’écrire des lettres d’amour, le dur à cuire à un cœur.
Je ne vais pas réécrire ici le bouquin, disons aussi que Keith ne nous épargne aucun détails, même sordides, sur sa consommation de drogues de toutes sortes et ses cures de désintoxication. C’est une grosse partie de son autobiographie mais plusieurs fois il répète qu’il ne conseille à personne de faire comme lui et il affirme que depuis une dizaine d’années il a arrêté. Enfin et surtout, ce qui se dégage de cette vie, c’est son amour total pour la musique. Dieu est amour, Keith est musique. De sa découverte du blues dans sa jeunesse à ses techniques d’accordage de cordes de ses guitares tout y passe, de la manière dont Mick et lui ont composé leurs titres les plus célèbres, de ses rencontres avec d’autres musiciens (Gram Parsons par exemple). Et puis tout le reste, la folie des tournées, ses démêlés perpétuels avec les flics et la justice, son amour des armes à feu et des couteaux, les tarés croisés tout au long d’une vie qui n’est pas encore terminée mais qui est sacrément remplie.
Un livre réellement passionnant, pour tous les fans des Rolling Stones cela va de soi, mais plus encore pour ceux qui sont intéressés par des vies exceptionnelles faites de « bruits et de fureur ». J’ai littéralement dévoré le livre, cette vie de Keith c’est aussi – dans une moindre mesure bien sûr – la mienne, comme un ami que j’ai toujours connu et dont j’ai suivi les péripéties dans la presse. Précipitez-vous chez votre libraire, placez un CD dans la platine et ouvrez ce Life, le bonheur ça tient à peu de choses.
« Mick et moi on n’est peut-être pas des amis – trop de frottements et d’usure pour ça – mais on est proches comme des frères, et c’est quelque chose qui ne peut être brisé. Comment peut-on décrire une relation qui remonte si loin ? Les meilleurs amis restent des amis. Mais les frères se battent entre eux. Je me suis senti trahi, Mick le sait très bien, même s’il ne mesure pas bien la profondeur de ce sentiment. Mais c’est du passé, tout ça s’est produit il y a très longtemps. Je peux dire tout cela, parce que ça vient du cœur. En même temps, je ne laisserai jamais personne dire quoi que ce soit contre Mick en ma présence. Je lui trancherais la gorge. »
Keith Richards Life Robert Laffont