Du Tea Party au Réseau Liberté Québec, 9 novembre 2010, Stéphane Nicolas

Publié le 11 novembre 2010 par Hugo Jolly

Joanne Marcotte, la fondatrice du Réseau Liberté Québec (RLQ), l’affirme à qui veut l’entendre, le « Réseau Liberté Québec » est un « mouvement populaire », « grassroots » composé de citoyens préoccupés par les idéaux de « liberté et de responsabilités individuelles ». Éric Duhaime, un autre fondateur du RLQ, ne se cache pas de vouloir implanter un Tea Party québécois1. Comme nous le verrons, la comparaison est juste à plus d’un titre puisque le RLQ, tout comme le Tea Party, est largement appuyé par les mêmes think tanks et les mêmes bailleurs de fonds issus de grands lobbys privés.

Tea party, think tanks et Koch Industries

Le Tea Party, cet autre « mouvement grassroots », est notamment commandité par le think tank Freedom Works2. Ce groupe de pression est très actif ; il assure avoir « formé » plus de 150 000 personnes à sa doctrine ultralibérale, une copie conforme du discours officiel du RLQ : «Moins d’impôts, moins de gouvernement, plus de liberté».

Freedom Works dispose d’un budget annuel de « 10 millions de dollars », auquel contribuent largement les frères Koch3. Charles et David Koch ont en effet donné, via leurs fondations ou des dons privés, environ 8 millions de dollars au groupe Citizens for a Sound Economy, lequel deviendra Freedom Works.

Il faut dire que le groupe Koch Indutries, un puissant groupe pétrolier du Kansas, a largement les moyens d’investir dans ces mouvements avec 98 milliards de dollars de revenus en 2009, dont 40 milliards pour les seuls frères Koch (180 000 $ par minute)4, on est loin des classes populaires…

Les mêmes frères Koch financent plus d’une trentaine de groupes de pression qui démentent tous en bloc le réchauffement climatique. De 1997 à 2008, leurs généreuses contributions à ces groupes se sont élevées à plus de 48,5 millions de dollars5.

Le but de l’opération est simple : utiliser les influences intellectuelle et médiatique de ces think tanks afin de mettre en scène une « expertise » et convaincre l’opinion publique que le réchauffement climatique n’existe pas, ou que l’Homme n’en est pas responsable ou encore qu’il ne sert à rien d’agir… et surtout éviter d’inclure les coûts environnementaux dans la production du pétrole, ou d’en demander un contrôle démocratique.

Koch au Canada : RLQ, l’Institut Fraser et l’Institut économique de Montréal
Au Canada, l’Institut Fraser a reçu plus de 175 000$ de la famille Koch de 2005 à 20086. Et l’investissement est rentable puisque le think tank assure une bonne diffusion des idées « climato-sceptiques » par la publication d’articles, d’entrevues, de films qui dénoncent « l’alarmisme des environnementalistes »7,et sa participation au « climate-gate ».

C’est ce même Institut Fraser qui appuie le RLQ. Présent par un kiosque à l’entrée de sa conférence publique du 23 octobre dernier. C’est aussi l’Institut Fraser qui jalonne la carrière de Éric Duhaime, co-fondateur du RLQ, depuis son stage de maîtrise à l’Institut jusqu’à ses plus récents écrits8.

Éric Duhaime travaille également pour l’Institut Economique de Montréal (IEDM) fondé par la même personne que l’Institut Fraser : Michaël Walker. Son directeur, Michel Kelly-Gagnon était présent le 23 octobre dernier, tout comme celle de l’institut Fraser (et ex-directrice de l’IEDM), Tasha Keiriddine, une conférencière du RLQ, comme Maxime Bernier, le vice-président de l’IEDM, conférencier du RLQ également, tout comme Adam Daifallah, un autre étudiant boursier de l’Institut fraser 9 et fellow de l’IEDM.

Ezra Levant, un autre invité du RLQ, vient de publier un livre sur les vertus morales des sables bitumineux albertains : « Ethical oil ». Et précisément, Koch Industries est l’une des compagnies pétrolières qui dominent l’exploitation polluante du pétrole albertain. Ezra Levant a d’ailleurs brillamment débuté sa carrière conservatrice en étant Summer Fellow à la Koch Foundation, puis en travaillant pour l’Institut Fraser10.

Si l’argent du groupe Koch, via Americans for Prosperity a contribué à organiser plus de 1 000 Tea Party aux USA11,12… il en a aussi organisé un, le 23 octobre dernier, au Québec, via l’Institut Fraser.

Lorsque le « mouvement populaire » du RLQ assure la promotion du « climato-scepticisme », ce n’est que le discours de ces 2 des think tanks ultra-libéraux et conservateurs13 qu’il reprend, et ce sont bien les intérêts de la famille Koch qui s’expriment à travers eux. Moins d’État pour des sociétés pétrolières comme Koch c’est moins d’impôts, c’est avant tout plus de bénéfices, et un droit de polluer jamais remis en question.

Défier l’establisment médiatique

Le Tea Party a également reçu l’appui du magnat de la presse, Rupert Murdoch, directeur de Fox News14. Glenn Beck, un de ses « journalistes », mormon born-again, conservateur, sioniste radical assumé, y joue un rôle important.

Au Québec, le RLQ entend, lui aussi, tout comme le Tea Party « défier l’establishment médiatique », et son Rupert Murdoch québécois s’appelle Pierre Karl Péladeau, à la tête de son empire médiatique.

Quebecor était présent par un stand lors de la conférence du RLQ, distribuant gratuitement le Journal de Québec. Quant à savoir qui jouera le rôle de Glenn Beck, le choix est large entre ses chroniqueurs et journalistes : Richard Martineau, Joseph Facal, Nathalie Elgaraby (de l’IEDM, ex directrice de l’Institut Fraser), Éric Duhaime, etc.

Notons également que Quebecor imprime la revue « Perspectives » de l’institut Fraser. C’est également l’ex-employeur de Tony Teneycke, le premier invité d’honneur du RLQ, remplacé finalement par Ezra Levant, lui aussi employé du groupe par le biais de SUN TV.

Lorsque le RLQ parle de « défier l’establishment », il faut donc entendre la défense des intérêts de Quebecor et sa volonté de prendre un virage ultra-conservateur. Moins d’État ici, signifie surtout moins de réglementations, plus de revenus, moins de syndicats, moins de CRTC.

« Réformer » le « modèle québécois », développer les gaz de schistes

Et le RLQ, quand il se fait l’avocat d’une coupe à blanc dans le « modèle québécois » tient également le même discours que l’Institut Fraser ou l’IEDM. Il défend également les intérêts de firmes d’assurance privées comme par exemple toutes celles que détient Paul Desmarais, dont la femme, Hélène, préside également le conseil d’administration de l’IEDM.

La famille Desmarais possède aussi des parts importantes dans le gaz naturel via le groupe Suez, et l’IEDM, tout comme l’institut Fraser, prépare leur ruée vers l’Est et le gaz de schiste du Québec.

Il donne la parole au patronat15 de ce secteur pourtant largement déréglementé16 qui plaide pour encore moins de taxe, de contrôle et de permis. C’est d’ailleurs aussi la position de Jacques Brassard et Reynald du Berger, deux autres invités du RLQ.

Loin d’être réformiste, cette droite assumée fait l’apologie d’une véritable révolution dans laquelle les plus riches refusent toute redistribution de la richesse, et la monopolisent, en toute liberté… pour eux !

Une organisation partisane et ses hommes politiques

Alors que le RLQ est enregistré, comme tous les think tanks, comme une « organisation de rencontres politiques (sic) non-partisanes », le réseau semble pourtant largement orienté vers l’ADQ sur la scène provinciale et par le parti conservateur sur la scène fédérale.

Les fondateurs sont tous adéquistes ou conservateurs presque sans la moindre exception. L’attrait d’un électorat mobilisé par les radios de droite de la région17 est grand pour certains hommes politiques.

Qui raflera ce pactole politique et sera la Sarah Palin du RLQ ? Éric Caire, Maxime Bernier18, Gérard Deltell se proposent, on attend avec impatience leur photo en Bikini.

Conclusion

Si le RLQ se décrit comme un mouvement populaire de droite, ce n’est pourtant encore vrai que de façon très embryonnaire. En revanche, son ascension correspond exactement à la convergence de groupes puissants qui font valoir leurs intérêts aussi fort que leurs journaux, leurs think tanks et leur argent le leur permettent.

Les différents thèmes politiques abordés par le RLQ ne sont que la juxtaposition de ces intérêts. Si la droite libérale est maintenant connue pour ses relations affairistes avec la construction, les garderies, la mafia, etc. la droite ultra-libérale et la droite conservatrice portent aux affaires des grands lobbys du pétrole, du gaz, de la presse et des assurances.

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1 Quebec’s’Tea Party’ is born, Andrew Chung, Toronto Sun, 5 septembre 2010. Disponible sur http://www.thestar.com/news/canada/article/856919–quebec-s-tea-party-is-born

2 http://blog.lefigaro.fr/transamÉrica/2010/10/la-face-cachee-des-tea-party.html

3 Le Freedom Works compte 34 collaborateurs et revendique 800 000 membres aux USA. http://crooksandliars.com/taxonomy/term/7833,7762,5883

4 http://network.nationalpost.com/NP/blogs/fullcomment/archive/2010/05/11/tim-mak-the-men-behind-the-money-behind-u-s-conservatism.aspx

5 Selon un rapport public de Greenpeace, la prodigue famille pétrolière finance notamment les groupes conservateurs AmÉricans for Prosperity, le Heritage Foundation, le Mercatus Center et le Cato Institute. : http://www.greenpeace.org/international/en/news/features/dirty-money-climate-30032010/ voir le dossier complet sur http://www.greenpeace.org/usa/en/media-center/reports/koch-industries-secretly-fund/

6 http://www.straight.com/article-300619/vancouver/fraser-institute-among-dozens-climate-denial-groups-funded-oil-company-report-says

7 http://www.fraserinstitute.org/fr/research-news/news/display.aspx?id=12085 ou encore Fraser Institute, “Understanding Climate Change: Lesson Plans for the Classroom,” Holly Lippke Fretwell and Brandon Scarborough, 30 June 2009 http://www.fraserinstitute.org/researchandpublications/publications/6819.aspx

8 “Liberté de choix et transparence s’imposent”, Éric Duhaime Le Devoir 14-15 mars 2009.

9 Il a reçu en novembre 2001 une bourse de 10 000$ de la part de l’institut et a codirigé sa revue étudiante : Canadian Student Review, Octobre/Novembre 2001, p 2.

10 http://en.wikipedia.org/wiki/Ezra_Levant

11 http://thetyee.ca/News/2010/11/01/TeaPartyTies/

12 http://pourquedemainsoit.wordpress.com/2010/09/18/tea-party-un-masochisme-a-l%E2%80%99amÉricaine/

13 Dans la rubrique « l’iedm dans les médias » de son site web, l’institut fait une revue de presse des articles portant sur le RLQ… http://www.iedm.org/main/media_fr.php

14 http://blogues.cyberpresse.ca/hetu/2010/09/03/les-milliardaires-du-tea-party/

15 Voir notamment l’article « En tête à tête avec Robert Bédard », Perspectives, Printemps 2009, volume 2. Robert Bédard est le directeur de Athéna Energies Marketing, il y fait valoir l’importance de ne pas taxer les compagnies minières qui veulent exploiter le gaz de schistes au Québec. Entrevue réalisée par Tacha Keiriddine, directrice régionale de l’Institut Fraser, invitée du RLQ.

16 Ezra Levant a d’ailleurs lui aussi brillamment débuté sa carrière conservatrice en étant Summer Fellow à la Koch Foundation, puis en travaillant pour l’Institut Fraser.

17 Dont CHOI-FM qui semble jouer un rôle prépondérant dans la promotion du RLQ. Une radio qui emploie notamment Éric Duhaime, et propriété de RNC Média dont le directeur est Raynald Brière, l’ancien directeur de TVA, groupe Québécor. http://www.ledevoir.com/culture/62275/raynald-briere-passe-a-radio-nord

18 Maxime Bernier est vice-président de l’IEDM et promet le pactole : l’abolition de l’impôts sur les entreprises.

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