Devant l'embarras de choix téléphagiques en ce dernier trimestre 2010, j'ai l'impression d'avoir des problèmes de riche pour remplir mon mercredi asiatique. Ce qui, pour un téléphage, ne peut jamais être objectivement qualifié de "problème". Tant de nouveautés aux synopsis aguicheurs, aux genres complètement différents, aux castings retenant mille et une attentions... Sur quels critères objectifs (ou non) donner la priorité à telle ou telle série ? Avant un retour probable en Corée du Sud, où les nouvelles séries m'appellent, ce week-end, après de nombreuses tergiversations, j'ai finalement jeté mon dévolu sur un drama, diffusé depuis le 12 octobre 2010 au Japon, Guilty Akuma to Keiyakushita Onna.
Parce que les histoires de vengeance exercent toujours une certaine fascination chez moi. Parce que même si je n'imagine pas Fuji tv porter à l'écran une série aussi sombre que ce dont je pourrais rêver à partir de la seule lecture du résumé, j'avais bon espoir que la mise en scène d'un flou moral troublant, dépassant tout caractère manichéen, soit plus réussie que l'un des principaux ratés de mes expériences estivales, JOKER Yurusarezaru Sosakan. Finalement, Guilty Akuma to Keiyakushita Onna ne s'est pas révélé exempte de défauts, et il serait excessif d'en faire un coup de coeur automnal. Pour autant, la série a su si bien accrocher mon intérêt que j'ai visionné les trois premiers épisodes d'affilée, tout en conservant le secret espoir que le drama saura grandir et mûrir au fil de la saison. Ainsi, même si elle est loin d'être parfaite, la série n'en demeure pas moins digne d'attention.
Guilty Akuma to Keiyakushita Onna, c'est une histoire de revanche implacable, mais pas seulement. Au cours des deux premiers épisodes, s'esquisse également une rencontre, de deux êtres à une intersection de leur vie, à un croisement incertain où les dérives et choix qui s'offrent à eux vont rapprocher ces deux adultes qui n'auraient jamais rien dû avoir en commun.
En apparence, Nogami Meiko incarne la jeune femme sans histoire, menant une existence paisible en occupant un emploi dans un salon dédié aux animaux domestiques. Appliquée et enthousiaste dans son travail, personne ne pourrait se douter que lorsque les regards se détournent, le sourire qui illumine habituellement son visage se fige et disparaît. Car Meiko cache des blessures plus profondes. A l'âge de 19 ans, elle a été accusée et condamnée pour les meurtres par empoisonnement de son beau-frère et son beau-fils, cette tragédie aboutissant au suicide de sa soeur. Elle a toujours clamé son innocence, mais en vain. Désormais libérée, elle utilise son emploi du temps flexible et ses sorties pour organiser un autre plan autrement plus sombre : orchestrer une vengeance implacable contre les personnes, dont les actions ont, des années plus tôt, brisé sa vie. Si le téléspectateur ignore quel secret unit toutes les cibles de Meiko, il assiste à l'inarrêtable progression des plans de la jeune femme. Si pour le moment, elle est toujours parvenue, à la suite de chantage impliquant des êtres qu'elles aiment, à pousser ses victimes au suicide, jusqu'où peut-elle aller dans cette spirale de vengeance ? Pourra-t-elle vraiment, si la situation l'y oblige, prendre une vie de sang-froid ?
Sa perspective va peut-être changer en raison d'une rencontre fortuite pour son travail, se liant avec l'ami d'un client ayant laissé son chien : Mashima Takuro. Les états d'âme de Meiko semble se refléter comme dans un miroir chez cet homme dont elle ne connaît quasiment rien. C'est du point de vue de ce dernier que l'histoire nous est contée. Car Takuro, ayant ses propres préoccupations et problèmes, va lui cacher sa qualité de policier. Depuis une erreur de jugement qui a coûté la vie à la recrue qu'il avait sous ses ordres, Takuro n'est que l'ombre de lui-même. En plus d'un lourd poids sur la conscience qui lui fait trouver refuge dans l'alcool, il doit supporter les brimades continuelles de ses collègues pour poursuivre sur les ruines d'une carrière policière qui aurait pu être brillante. S'ajoute à tous ces soucis déstabilisants la disparition récente de son ancien mentor, accusé de corruption. Si tout le monde a vite fait de classer ce cas en suicide, Takuro découvre que c'est sur une affaire glissante que le vieil homme s'est lancé : l'affaire d'empoisonnement qui vit condamner Meiko. Rapidement, Takuro établit un lien entre d'étranges suicides qui ont lieu depuis plusieurs semaines et la jeune femme... Alors que le meurtrier de son ancien partenaire échappe à la condamnation pour insanité, Takuro poursuit ses visites auprès de Meiko, sans rien reporter de ses soupçons à des supérieurs qui préfèrent tant l'ignorer. Jusqu'où le conduira cette fréquentation ?
Guilty Akuma to Keiyakushita Onna laisse une première impression ambiguë, qui apparaît finalement comme un reflet fidèle au flou ambiant que réserve la tonalité de la série. Appliquée, la série flirte avec une ambivalence morale jamais complètement assumée, mais où pointe une volonté scénaristique évidente de dépasser tout cadre manichéen, afin de remettre en cause la dichotomie traditionnelle du bien et du mal. C'est dans le personnage de Meiko que s'incarnent toutes les nuances de gris composant l'univers de ce drama : son projet de vengeance fait distinctement transparaître les deux faces dissociées d'une même personne, sans que le téléspectateur puisse deviner quelle est la réelle personnalité qui se cache sous ces masques. Est-ce cette face enjouée et ouverte aux autres ? Ou bien est-ce celle qui se referme et laisse entrevoir une détermination ayant banni toute émotion humaine ? Si la non-culpabilité de Meiko, pour l'empoisonnement à l'origine de tout, ne semble faire aucun doute de la perspective du téléspectateur (avec le peu d'éléments dont il dispose), en revanche, l'image qu'elle renvoie à l'occasion, d'une froideur déconnectée de toute contingence morale apparaît presque en accord avec le portrait terrifiant que sa mère en dresse.
Pourtant, si Guilty Akuma to Keiyakushita Onna entretient une volontaire ambivalence quasi-schizophrénique construite autour de son personnage central, la série ne franchit jamais un certain seuil, comme prisonnière d'un restant d'inhibitions. Ainsi, lorsque Meiko menacera de lâcher le bébé du haut du toit d'un immeuble, on découvrira a posteriori qu'il ne s'agissait que d'une poupée... Invariablement, elle utilise toujours le bluff pour fonder son chantage fatal, et n'a pour le moment jamais eu à mettre à exécution ses menaces. Certes, elle apparaît implacable à l'encontre de ses cibles, n'hésitant pas à détruire leur famille par leur mort ; mais si elle se ré-invente des codes moraux, elle ne s'en affranchit jamais complètement. S'attachant à ne pas dépasser ce point de non-retour virtuel, pour le moment, la série semble ménager à Meiko une porte de sortie. Pour autant, cette prudence permet aussi à Guilty Akuma to Keiyakushita Onna de laisser subsister un certain non-dit, autrement plus inquiétant, puisque résonne en arrière-plan une question lancinante : jusqu'où Meiko peut-elle se laisser emporter dans cette spirale de vengeance ?
Le personnage de Takuro suit un schéma similaire ; le cumul de sa faillite personnelle et de la faillite du système judiciaire qui relâche le meurtrier de son partenaire achève de détruire ses dernières certitudes qui sont emportées par la disparition de son mentor. Sa rencontre, puis la relation qui s'esquisse entre lui et Meiko, interpellent immédiatement le téléspectateur. Non seulement par cet effet de miroir que l'on perçoit entre les deux dans leurs échanges, pareillement tiraillés, mais aussi en raison du fait que le policier sait ce que représente la jeune femme, sans que cela l'empêche de ressentir une étrange fascination pour elle. Or, consciemment ou non, le rapprochement qu'il encourage avec Meiko, et le silence dans lequel il s'enferme vis-à-vis de ses supérieures, apparaît un premier pas vers un glissement plus sombre, qui anéantirait ses derniers repères.
Outre l'attraction qu'exercent ces figures troublées, si la série bénéficie pleinement de la force des thèmes abordés, un des reproches principaux qui peut être adressé à son écriture, est sans doute son relatif manque de subtilité, auquel s'ajoutent quelques problèmes de crédibilité - le personnage du journaliste excentrique à l'excès, aux motivations floues, et vaguement omnipotent, représentant l'incarnation de certaines caractéristiques des fictions japonaises auxquelles je ne me suis jamais habituée. Pourtant, que ce soit dans les rapports qu'entretiennent les personnages, ou bien dans la façon dont l'histoire progresse, le drama sait maintenir une tension constante dans la narration qui ne prend jamais l 'intérêt du téléspectateur en défaut. Il offre une consistance d'ensemble apportant une solide homogénéité dans la narration, qui vient ainsi compenser certains de ses travers récurrents.
Presque logiquement pourrait-on dire, la forme s'inscrit dans une certaine continuité par rapport au fond de la série. En effet, d'apparence classique et sans valeur ajoutée particulière dans ses premières scènes, c'est finalement par une frustrante intermittence que la série laisse entrevoir un réel potentiel esthétique et une certaine maîtrise des tonalités colorées qui mérite d'être soulignée. Elle adopte ainsi à l'occasion une photographie plus soignée et recherchée, s'attachant avec beaucoup de réussite, et une certaine poésie de la mise en scène - consacrée par le générique de fin -, à refléter l'ambiance trouble du passage concerné. L'exercice est appréciable à l'écran ; mais ne nous donne que plus de regret sur l'identité visuelle que Guilty Akuma to Keiyakushita Onna aurait pu se construire si elle en avait eu l'ambition.
Pour supporter cette difficile histoire, le casting se révèle à la hauteur. Je confesse cependant que ma mémoire m'a (encore une fois) fait défaut. Il aura fallu attendre que je me plonge dans la filmographie du casting en rédigeant cette review, pour me rendre compte que cette série marque en fait un retour aux sources, par des retrouvailles avec un des premiers acteurs de séries asiatiques croisé au cours de mes débuts téléphagiques sur ce continent : Tamaki Hiroshi. Puisque Nodame Cantabile fut, avec Nobuta wo Produce, mon premier drama asiatique (il est plus récemment apparu dans Love Shuffle). Cette parenthèse de nostalgie téléphagique refermée, il convient de saluer Kanno Miho (Ai no Uta, Magerarenai Onna ou encore Niji wo Kakeru Ouhi), qui n'a sans doute pas un rôle facile en raison des hésitations des scénaristes, mais qui s'en sort de façon convaincante. Par ailleurs, retrouver Kichise Michiko (Mousou Shimai, BOSS) suffit à m'offrir quelques petits instants de bonheur à l'écran. Enfin, on croise également dans la série des têtes familières du petit écran japonais, comme Mikami Kensei (GOLD, Tsuki no Koibito), Yoshida Kotaro, Karasawa Toshiaki (Fumo Chitai), Rikiya, Moro Morooka, Takizawa Saori (Jotei), Yokoyama Megumi ou encore Iwamoto Masuyo.
Bilan : A l'image de ses personnages,Guilty Akuma to Keiyakushita Onna est un drama sombre qui flirte avec ses propres inhibitions narratives, à la croisée des chemins, et auquel il manque peut-être une construction scénaristique plus subtile et rigoureuse pour pleinement exploiter son potentiel. C'est ce que ses deux personnages principaux feront de leur rencontre et jusqu'où les conduiront leurs réflexions et états d'âme qui déterminera la valeur et la portée de cette série. Pour autant, au terme de ces premiers épisodes, on ne peut que constater la capacité étonnante de cette fiction à savoir se jouer de ses limites pour cultiver une ambiguïté au sein de son univers qui interpelle, transcendant toute classification. En dépit de certaines réserves, et sans adhérer à tout, il se révèle très difficile de décrocher de cette intrigante histoire, une fois que l'on est immergé dans ces mystères. Téléphages amateurs d'histoire de vengeance, laissez-vous tenter sans hésiter.
NOTE : 6,5/10
Le générique très sombre et esthétique :