Il y a quarante ans, le "chêne" est tombé. 2010 est une année De Gaulle : sa naissance, son appel du 18 juin et sa disparition sont l’occasion de commémorations. Que reste-t-il du gaullisme aujourd’hui ? Première partie.
Le 9 novembre 1970, le Général De Gaulle attendait le
journal télévisé de vingt heures en faisant comme d’habitude une partie de réussite. C’est là, dans sa retraite de Colombey-les-Deux-Églises, qu’il est mort. Après une vingtaine de minutes
d’agonie et avant l’arrivée du médecin, celui qui avait été "le premier des Français" entrait dans l’Histoire de France par la grande porte.
Quarante années de post-gaullisme. Comme le disait le 25 octobre 2010 sur LCP Jean-Louis Debré, Président du Conseil
Constitutionnel et fils du père de la Constitution, Michel
Debré, le gaullisme est mort ce 9 novembre 1970. Reprenant l’idée du début des années 1970 de Jean-Marcel Jeanneney : « Le gaullisme sans De Gaulle, je n’y crois
pas. »
De Gaulle fait partie des grands hommes d’État qui ont marqué la République et les dernières guerres avec le destin d’une "traversée du désert" et
d’un "retour au pouvoir" : avant lui, Adolphe Thiers et Georges Clemenceau pour les deux précédentes guerres (1870 et 1914-1918).
Mais De Gaulle est bien plus qu’un homme d’État car il est devenu une figure historique majeure, au même titre que Jeanne d’Arc, Napoléon
Ier, Louis XIV, Henri IV, Charlemagne ou même Vercingétorix (personnage remis
au goût du jour avec Jeanne d’Arc au début de la IIIe République pour avoir
des héros "républicains"). À ce titre, "tout le monde" est susceptible de le "récupérer". À gauche comme à droite en passant par le centre.
Essayons de faire le point sur le post-gaullisme. Je vais distinguer le post-gaullisme politique qui s’est traduit dans l’héritage d’une formation politique particulière (l’UDR) et qui a rejoint la tendance mondiale
de droite modérée du post-gaullisme de valeurs, qui, lui, pourrait
être repris par tous les responsables politiques.
Post-gaullisme politique
C’est peut-être le plus facile à analyser. C’est l’héritage politique pour ne pas dire partisan de De Gaulle, c’est-à-dire celui de l’UNR puis l’UDR,
puis RPR. Le parti gaulliste est actuellement décliné par l’UMP.
Très vite, cet héritage s’est scindé en deux.
D’une part, les "barons" de l’orthodoxie gaulliste, parmi lesquels on peut
mettre Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas, qui ont toujours
considéré De Gaulle comme un mythe fondateur et qui le placent au centre d’une sorte d’idéal de démocratie populaire (au sens réel du terme et pas au sens soviétique). Anticommuniste et
anticapitaliste, ce gaullisme historique rêve de l’inaccessible troisième voie sociale et économique où le dirigisme d’État reste un réflexe pour impulser les grands choix économiques de la
nation.
D’autre part, le post-gaullisme d’efficacité et d’action, plus politique que
philosophique. Il a été représenté dès le début par Georges Pompidou et s’est poursuivi par l’héritier du pompidolisme, Jacques Chirac (avec un avatar dans la candidature d’Édouard Balladur).
En soutenant la candidature de Valéry
Giscard d’Estaing dès le premier tour à l’élection présidentielle de 1974, Jacques Chirac n’a pas trahi le gaullisme politique mais a fait un choix politique visant à éviter tout
risque de victoire de la gauche (François Mitterrand avait bénéficié
d’une véritable dynamique de l’union de la gauche et Jacques
Chaban-Delmas avait conduit objectivement une mauvaise campagne électorale).
La démission spectaculaire (et inédite dans la VeRépublique) de Jacques Chirac de ses
fonctions de Premier Ministre en été 1976 a permis une certaine réunion des deux familles gaullistes avec quasiment une inversion des rôles entre 1976 et 1981 : les "barons" gaullistes favorables à Valéry Giscard d’Estaing (parmi lesquels Robert Boulin figurait en bonne place) et le soutenant même dès le premier
tour à l’élection présidentielle de 1981 (Alain Peyrefitte, Olivier
Guichard, Robert Galley etc. ; Jacques Chaban-Delmas était même
soutenu par Giscard d’Estaing pour retrouver son perchoir en mars 1978 alors que Jacques Chirac aurait voulu garder Edgar Faure) et les "chiraquiens" soutenant le dissident de la majorité, à savoir Jacques Chirac qui devint le
seul "maître" des familles gaullistes et centristes à partir de l’élection de François Mitterrand (notons qu’en 1981, la famille gaulliste était extrêmement divisée puisque si le RPR soutenait la candidature de Jacques Chirac, beaucoup de
"barons" ont soutenu celle de Valéry Giscard d’Estaing, Michel Debré et Marie-France Garaud ont, eux, été également candidats et des personnalités comme Jean-Marcel Jeanneney ou Michel Jobert ont soutenu la candidature de François
Mitterrand).
Malgré la mainmise de l’héritage gaulliste par Jacques Chirac, incontestée à partir de 1981, le gaullisme politique s’est fondu dans une sorte de
tendance libérale qui a abouti à la création de l’UMP regroupant en 2002
gaullistes, libéraux et démocrates-chrétiens dans un cartel électoral. Ce rassemblement aurait pu permettre le développement du courant porté par les résistants gaullistes démocrates-chrétiens
tels que Maurice Schumann ou Edmond Michelet à la fois centristes de
conviction et gaullistes de fidélité. En gros, la synthèse du MRP et du RPF. Il n’en a rien été.
Concrètement, le RPR puis l’UMP furent essentiellement une machine électorale à visées quasi-exclusivement présidentielles (en faveur de Jacques
Chirac puis de Nicolas Sarkozy), beaucoup plus qu’un parti dépositaire de la philosophie gaulliste.
Le post-gaullisme politique s’est traduit dans l’héritage de Jacques Chirac au travers de quatre personnalités :
1. Alain
Juppé qui représente en quelques sortes la synthèse entre Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing : excellence
technocratique et tendance modérée et pragmatique.
2. Philippe
Séguin, l’enfant terrible, qui a su faire resurgir un certain "gaullisme social" cher aux "barons" du début des années
1970. C’est une expression mal définie (et galvaudée) qui ne veut pas dire grand chose puisque De Gaulle était lui-même "social" et humaniste : « Il n’y a qu’une seule querelle qui vaille, celle de l’Homme. » qu’on peut rapprocher de
cette formule de Simone Weil : « Seul est éternel le devoir envers l’être humain comme tel. ». Le plus célèbre héritier
de ce gaullisme-là est François Fillon. Charles Pasqua pourrait aussi s’inspirer de ce type de gaullisme qu’il voulait plus populaire mais peut-être aussi plus populiste.
3. Dominique de
Villepin, représente le volontarisme en politique cher aux gaullistes, mais il a participé également à des secousses
institutionnelles bien dommageables (dissolution de 1997 et cohabitation de cinq ans).
4. Nicolas
Sarkozy, enfin, dont la vision politique est parfois contradictoire (entre déréglementation et volontarisme) mais qui
reste dans une optique très gaullienne de réforme de la société
française (reste à savoir quelles réformes). En ce sens, Nicolas Sarkozy est l’héritier à la fois de Jacques Chirac et d’Édouard Balladur. La pratique présidentielle depuis 2007 n’a cependant
plus rien de …"gaullien".
Bien entendu, ce "post-gaullisme politique" n’a plus beaucoup à voir avec le gaullisme des années 1960. Lentement, dès Pompidou, ce gaullisme est
devenu un parti "conservateur" traditionnel, favorable à la liberté d’entreprise, à la liberté des échanges commerciaux, à la circulation des biens et des personnes qui trouvent leur traduction
dans la construction de l’Union Européenne. L’homme exceptionnel
qu’incarnait De Gaulle a laissé place à des personnages politiques ordinaires de la République française. Avec leurs qualités et leurs défauts.
Dans la seconde partie, j’évoquerai un "gaullisme de valeurs" qui
demeure, à mon sens, universel.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (8 novembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
De Gaulle en 1958.
De Gaulle en 1959.
(Illustration ci-dessous : dessin de Jacques Faizant dans le "Figaro" du 10 novembre 1970)
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-gaullisme-en-2010-1-l-heritage-84097