C'est
La Tribune qui nous apprend que selon Milliyet, journal turc comme son nom
l’indique, lors des deux dernières semaines, l'UE et la Turquie ont mené des
négociations secrètes visant à mettre en pratique le Protocole d'Ankara de 2005
qui rappelons prévoyait que la Turquie ouvre ses frontières aux marchandises de
la République de Chypre.
Le sujet est important, puisqu’il s’agit avant tout, de remettre le
processus d’adhésion sur les rails après son blocage en 2006*, par l’Union
Européenne pour cause de tensions avec Chypre.
Tout cela nous rappelle que la question de l’adhésion de la Turquie à
l’Union européenne, même si elle se fait discrète, est toujours bien ouverte et
que le processus poursuit son petit bonhomme de chemin, certes laborieusement
mais néanmoins surement.
Petit rappel :
En 1999, le Conseil européen d’Helsinki a formellement reconnu la Turquie
comme candidate à l’Union européenne au même titre que plusieurs autres pays
européens, précisant même que : « (…) La Turquie est un pays
candidat, qui a vocation à rejoindre l’Union sur la base des mêmes critères que
ceux qui s’appliquent aux autres pays candidats. »
En 2004, considérant que la Turquie satisfaisait suffisamment aux critères
politiques de Copenhague, le Conseil européen décida de l'ouverture des
négociations d'adhésion qui débutèrent effectivement le 3 octobre
2005.
Il y eut ensuite quelques petits ratés, mais le processus est bel et bien
lancé.
Pour des raisons que je précise plus bas, je ne suis pas pour l’intégration
de la Turquie dans l’Union Européenne, je considère donc comme une erreur que
d’avoir engagé un processus avec l’adhésion comme finalité affichée.
C’est même toute la question de l’élargissement qui doit-être remise en
cause ou devrais-je dire qui aurait du être remise en cause depuis longtemps
!
L’Union Européenne agit comme si l’élargissement se devait d’être un
mouvement perpétuel, comme si la politique d'élargissement devait se poursuivre
coûte que coûte. Comme l’a très bien dit
Xerbias, « Le commissaire européen à l'élargissement a un rôle
malsain, car il est voué à faire s'élargir l'Union, sans vraiment se poser la
question de savoir si c'est une bonne chose en soi. ».
Il est effectivement temps de s’interroger sur le principe de
l’élargissement et de se demander si c'est une bonne chose en soi.
Derrière la question de l’élargissement, et plus spécialement derrière
l’adhésion de la Turquie, ce sont 2 visions de l’Europe qui se confrontent
!
La première consiste à voir l’Europe uniquement comme une zone de stabilité
politique et monétaire qui, dans cette optique, gagne effectivement à être la
plus large possible. La stabilité étant plus ou moins garantie par le fait que
tous ces pays, proches géographiquement, discutent entre eux au sein des mêmes
instances internationales, sont partiellement régis par une législation commune
minimum, s’échangent à peu près librement des biens, des services et des
personnes et pour certains d’entre eux ont la même monnaie.
Les tenants de cette Europe là, ne veulent pas d’une Europe fédérale qui
empièterait de manière trop conséquente sur les prérogatives des Etats et plus
spécialement de leur Etat. Ils craignent qu’une telle Europe n’impose une
standardisation qui balaye sur son passage leurs us et coutumes, qui remette en
cause leurs fromages au lait cru, leur modèle social ou qui leur impose
l’avortement, de rouler à droite ou des plombiers polonais.
Il existe évidemment des niveaux très variés dans ce nationalisme qui, je le
précise, n’a pas dans mon esprit nécessairement une connotation péjorative,
même si en son nom, beaucoup de contrevérités voire de gros mensonges sont
diffusés.
La seconde vision de l’Europe, c’est la mienne, c’est une Europe
politiquement et économiquement forte !
Une Europe qui puisse rivaliser avec la chine, les Etats-Unis et bientôt
l’Inde et le Brésil voire plus tard la Russie !
Une Europe qui parle d’une seule voix et qui avance dans la même direction,
seuls moyens pour qu'elle soit entendue et respectée !
Comment peut-on encore penser que face aux 2 maitres du Monde que sont la
Chine et les Etats-Unis, qui font absolument ce qu’ils veulent à tous les
niveaux : politique étrangère, politique monétaire, législation
financière, règles commerciales…, le joyeux brouhaha qui émane de l’Europe
puisse peser plus qu’une cacahuète texane ou qu’un grain de riz du Yunnan
!
Je suis persuadé que cette Europe politique ne pourra exister sans une
organisation fédérale, avec un parlement aux pouvoirs étendus qui désignerait
un président et un exécutif complet et qui aura le pouvoir légiférer sur tout
ce qui concerne la politique extérieur, la politique monétaire, la défense,
l’immigration et la Justice et surtout un vrai budget via l’impôt qu’elle aura
la capacité de collecter au regard d’un périmètre d’intervention clairement
établi.
Cette organisation ne peut se construire qu’autour des pays
« européens » qui, d'une part, sont réellement convaincus qu’ils ont
tout intérêt à s’allier au sein d’une communauté pour être plus fort
économiquement et politiquement par rapport au reste du monde, et surtout, qui
acceptent les nécessaires compromis et pertes de prérogatives qu’exigent une
telle instance supranationale.
Inutile de préciser qu’avec notre Europe sans âme, sans ambition, tiraillée
de tous les côtés par des intérêts divergents, on en est loin, très loin
!
L’intégration de la Turquie constituerait pour moi la mort de cette vision
de l’Europe pour 2 raisons.
La première c’est que mon Europe qui avait déjà très peu de chances
d’aboutir à 16 pays, en a encore moins à 27 et en aura encore beaucoup moins
sinon plus du tout avec la Turquie en son sein.
L’Europe, dans son périmètre actuel, n’est pas, et très loin de là,
suffisamment homogène et organisée pour intégrer un pays de plus de 70 millions
d’habitants sans déséquilibrer ses institutions et sans risquer de la bloquer
ou de la laisser s’enliser dans des consensus mous.
Le préalable indispensable à tout élargissement est pour moi la constitution
d’une véritable Europe politique !
La seconde, est très liée à la première, c’est que cette Europe politique
que j’appelle de mes vœux, même si elle n’a qu’une maigre chance d’aboutir et
d’obtenir l’adhésion des populations, ne pourra se construire qu’autour de pays
géographiquement proches et qui se sentent …européens de par leur culture, leur
histoire, leurs traditions voire leur religion !
Ce n’est pas le fait que la Turquie ne soit pas géographiquement en Europe
(à l’exception d’un petit morceau) qui me pose problème mais….tout le reste
!
Je crois donc fondamentalement que la question de l’adhésion de la Turquie
dépend à la fois de l’idée que l’on se fait de l’Europe et de l’espoir que l’on
y met. Si, comme le souhaitent certains, l’Europe n’est destinée à rester qu’un
conglomérat de pays formant une vaste zone d’échanges privilégiés, alors
pourquoi ne pas y intégrer la Turquie comme d’ailleurs l’Ukraine, Israël ou le
Maroc s’ils le souhaitent !
De même, si comme Michel Rocard, partisan affiché de l’adhésion de la
Turquie, on considère qu’une Europe fédérale serait une bonne chose mais
qu’elle n’est malheureusement qu’une illusion, alors effectivement, il faut se
contenter d’une Europe sans autre ambition que de constituer une zone de
stabilité la plus large possible et à laquelle on peut arrimer la Turquie
!
Par contre, si on veut aller beaucoup plus loin vers une Europe fédérale qui
s’organise autour d’un vrai projet, dans ce cas, cela exige une capacité et une
volonté d’intégration de chaque pays extrêmement forte et nécessairement de
donner à cette Europe une limite. Or on le voit, il est déjà extrêmement
difficile de s’entendre sur ce que doit être l’Europe, avec des Tchèques, des
Polonais ou des Anglais, alors si on rajoute les Turcs par-dessus c’est, au
mieux, l’immobilisme assuré et au pire les crises permanentes !
Mais n’est-il pas hélas trop tard pour retoquer la Turquie ?
En effet, je vois mal comment l’Union Européenne, pour peu qu’elle en ait
l’envie, pourrait justifier auprès de la Turquie, la remise en cause de
l'adhésion promise. Il est trop tard, même pour proposer un « partenariat
privilégié » qui ne pourrait-être considéré que comme une rebuffade par
les Turcs.
Ainsi, sauf à risquer de se mettre à dos ce pays pour un bon bout de temps, et
à le jeter dans des bras moins démocratiques et plus islamistes, ce qui aurait
l’effet exactement inverse de celui attendu d’une intégration, l’adhésion de la
Turquie à l’Union Européenne semble inéluctable et avec elle, la fin de ce que
je considère comme une belle idée de l' Europe…à laquelle j'aurais voulu encore
croire.
.
- * En Décembre 2006, l’Union Européenne avait stoppé les pourparlers autour de 8 chapitres de l’acquis communautaire c'est-à-dire à la somme des droits et obligations juridiques qui lient les États-membres et que chaque candidat à l’adhésion doit nécessairement transposer dans sa propre législation nationale.