En inventant un réseau social qui « fiche » 500 millions d’êtres (soit la population entière de la Chine au début du XXème siècle), le geek génial qu’est Mark Zuckerberg aurait-il joué à l’apprenti sorcier ? Ou pire : a-t-il engendré consciemment un monstre, une hydre qui nous contrôle dont il est (déjà) impossible de se dépêtrer une fois pris ? Il y a pourtant du bon dans Facebook, mais tellement de dangers potentiels…
Mark Zuckerberg, 26 ans, 1 milliard de dollars... et apprenti sorcier
L’ancien d’Harvard qui, à 26 ans, pèse plusieurs milliards de dollars, se fiche de son image comme de l’argent. Royalement. Il passe 16h par jour sur son MacBook, est décrit comme la tête pensante d’un réseau planétaire, au quotient intellectuel proche du maximum et au quotient émotionnel inversement proportionnel, et enfin, obsédé par une seule chose : faire de Facebook le lien ultime entre les habitants de la planète, « tisser une toile qui contrôlera toute la structure sociale et l’identité de ses membres » selon David Kirkpatrick, auteur du livre The Facebook effect.
Rien que cette description donne froid dans le dos. On la croirait sortie tout droit de 1984, le livre inquiétant et terriblement prophétique d’Orwell. Contrôler la structure sociale et l’identité des membres de FB : quel dictateur n’a pas rêvé d’un tel outil de contrôle des masses ? Le froid Zuckerberg a-t-il mué sa frustration et ses déceptions amoureuses en désir de puissance et de pouvoir ? L’argent même ne le corrompt pas, le chiffre de 500 millions d’inscrits ne l’éblouit pas. Il rêve du 7 milliards d’individus. Soit l’intégralité de l’humanité. Stupide mégalo ? Faites gaffe, ce sont les plus dangereux.
Abrutissement généralisé
Visez un peu l’outil parfait : avec Facebook, il n’y a même plus besoin de police de la pensée, de surveillance extérieure. La modification de la structure cérébrale se fait toute seule, insidieusement, et surtout volontairement. Presque avec joie. On est heureux de déballer sa vie sur Facebook, de montrer qu’on aime ou déteste tel ou tel livre, film, groupe. On aime appeler à la débilité et épier son voisin, son ancienne connaissance, son ex, son futur mari. Plus besoin de penser à être pucé un jour, comme les écoliers au Japon : Facebook a développé l’application « Places » qui vous suit à la trace comme un GPS (bientôt en France sur vos iPhone). « Facebook », le trombinoscope en anglais, est la plus gigantesque base de données jamais imaginée sur un demi-milliard d’individus.
Première victoire : Facebook s’est insinué quotidiennement dans nos vies. Une vingtaine d’adeptes interrogés aux Etats-Unis et en France ces derniers mois admettaient laisser une fenêtre ouverte de Facebook sur leur navigateur toute la journée, sans discontinuer. Histoire de ne rien rater d’un flux d’actualités parfois intéressant, globalement sans intérêt. (source : le Monde.fr).
Deuxième victoire : l’addiction est chronophage. Le temps que vous passez, même par dérision, à écrire sur votre Wall « ce soir j’ai fait un bon caca, et j’ai gobé un flan », c’est autant de temps en moins passé à faire quelque chose de plus intelligent : lire, faire de la musique, écrire, faire du sport, sortir boire des coups avec des potes, faire l’amour avec votre copine. Penser en solitaire, tout simplement.
On a fait les mêmes reproches à la télé, certes. Reproches toujours valables, d’ailleurs ! Et aujourd’hui déclinables en de multiples avatars. On s’étonne que la production intellectuelle et artistique ait dégringolé depuis une vingtaine d’années ? Mais c’est bien à cause de telles inventions, qui ne favorisent en aucune façon l’originalité, ou toute pensée profonde.
Un Américain du nom de Nicholas Carr, présenté comme l’un des plus fins observateurs des comportements découlant de l’usage d’Internet (auteur d’ailleurs d’un article paru dans le mensuel The Atlantic, intitulé « Google nous rend-il stupides ? », va même plus loin : pour lui, le flot d’informations ininterrompu d’Internet, générateur de stimuli qui produisent finalement un stress (n’avez-vous pas une petite poussée intérieure qui vous dit « tiens, tu n’as pas checké ce qui se passe sur Facebook, et si tu avais raté des trucs ? »), modifie carrément notre structure cérébrale :
« Les réseaux sociaux provoquent la dispersion, expliquait-il à un journaliste du Monde.fr. Ils créent un besoin compulsif de vérifier constamment ce qui s’y passe, même si c’est sans intérêt, dans un détournement constant de notre attention visuelle et mentale. »
Quoi de mieux qu’un déficit d’attention chronique et le nivellement par le bas pour endormir les masses et gouverner à sa guise ?
« Facebook est un bon exemple de technologie tirant le discours vers le bas. Depuis ses origines, il encourage la trivialité du propos […] On perd tout simplement l’idée que parfois, une approche contemplative et solitaire puisse contribuer à la profondeur de la pensée. » Emules de Victor Hugo ou Châteaubriand, passez votre chemin. Le sens critique est éradiqué, les mêmes idées, les mêmes goûts tournent en rond. Nous n’avançons plus, nous acceptons de devenir des moutons, et de bon gré en plus.
Surveillance généralisée
A la minute près pour les plus cinglés, au jour ou à la semaine près pour les plus raisonnables, on sait tout de votre agenda. Ou de vos pensées, de vos humeurs, de vos goûts. Et pourquoi pas, de vos opinions politiques, de vos soutiens, de votre orientation sexuelle, de votre religion. On peut tout déduire du moindre élément insignifiant. Pour tout le monde. Vous. Moi. Même si, conscients du danger, nous avons tenté de verrouiller au maximum la visibilité de nos comptes et mis un minimum sur nous-mêmes, c’est peut-être déjà trop. Ce qui était dévolu aux Etats est maintenant entre les mains d’un seul outil, d’un seul réseau, d’un seul homme.
Ca se passe de commentaires...
Un côté pas si obscur
Pourtant, tout n’est pas inutile dans Facebook. On s’en sert pour promouvoir un mouvement, une association, un site web, un livre, un film. On peut réunir des gens (de la manifestation à caractère révolutionnaire à l’apéro géant sur le Champ-de-Mars), partager très vite des informations (un article, une vidéo, une chanson). On peut retrouver des membres de sa famille perdus de vue, des anciens camarades, des amis. Enfin… « amis ». Parmi les nombreux contacts que vous avez peut-être, vous avez sûrement, vous aussi, d’anciens camarades de classe perdus de vue pendant des années, soudainement revenus à la vie grâce à Facebook. Leur avez-vous parlé, les avez-vous revu après avoir accepté leur « demande d’ami » sur le réseau ? Pour ma part, je sais que non (pour certains). Sans doute parce que si le temps avait fait son œuvre en nous séparant, c’est sans doute parce qu’il y avait une bonne raison.
Facebook me fait l’effet d’une épée à double tranchant. Tout dépend de qui la brandit. En de mauvaises mains, elle pourrait devenir un outil plus asservissant que tous les sévices jamais imaginés par l’être humain.
Mark Zuckerberg chope t-il plus depuis qu'il est PDG de Facebook ? Grande question...
Alors, Mark Zuckerberg est-il un fou dangereux ou un gamin immature qui ne sait pas ce qu’il a déclenché ? Peut-être un peu des deux. Le film The Social Network peint un sombre portrait du geek enfin vengé des filles, qui s’étalent toutes plus dénudées les unes que les autres sur son réseau social. Quelle jouissance ça doit être pour lui.
Un extrait de 1984 m’a frappée à la relecture :
« En comparaison de ce qui existe aujourd’hui, toutes les tyrannies du passé s’exerçaient sans entrain et étaient inefficientes. Les groupes dirigeants étaient toujours, dans une certaine mesure, contaminés par les idées libérales, et étaient heureux de lâcher partout la bride, de ne considérer que l’acte patent, de se désintéresser de ce que pensaient leurs sujets. L’Eglise catholique du Moyen-Age elle-même, se montrait tolérante, comparée aux standards modernes (je rappelle qu’on est là dans un monde d’anticipation totalitaire, et non de nos jours, quoique, ndlr). La raison en est en partie que, dans le passé, aucun gouvernement n’avait le pouvoir de maintenir ses citoyens sous surveillance constante. L’invention de l’imprimerie, cependant, permit de diriger plus facilement l’opinion publique. Le film et la radio y aidèrent encore plus. Avec le développement de la télévision et le perfectionnement technique qui rendit possibles, sur le même instrument, la réception et la transmission simultanées, ce fut la fin de la vie privée. »
Sur ce, je m’en vais fermer mon compte Facebook. Si encore j’arrive à passer par-delà tous les obstacles dressés, sciemment, sur mon chemin, par les concepteurs du jeu (cela a tout d’un jeu de plateaux).
Ce qui en soi est déjà une aliénation de ma relative liberté et absolument anormal !