Les diamants de l'Histoire

Par Apollinee

  

Le duo Jean-Pierre Guéno - Jérôme Pecnard a encore frappé.

Après La somptueuse Mémoire du Petit Prince publiée l'an passé (voir chronique sur ce blog), le passeur de joyaux et le maquettiste signent un ouvrage en tous points remarquable: à partir de documents manuscrits ou tapuscrits originaux, méconnus de la Grande Histoire, Jean-Pierre Guéno, retrace cette dernière , situant avec précision le contexte de leur existence: la dernière lettre écrite par Louis XVI à la Convention, le 20 janvier 1793, veille de son exécution, celle de Marie-Antoinette, soucieuse du sort de ses enfants, le matin qui la verra passer sous la guillotine, l'appel à l'insurrection tâché du sang de Maximilien Robespierre, les fragments autographes d'un Victor Hugo et tant d'illustres personnages rendent particulièrement tangible- et émouvant - l'éclairage historique donné.

"Chacun des 100 documents rassemblés dans cet ouvrage rend à l'Histoire sa part de vie et d'humanité. Chacun d'entre eux fait le pont entre la petite histoire, celle de la vie quotidienne, et la grande Histoire vulgarisée, celle dont on ne retient parfois que les faits majeurs et les dates essentielles."

Des documents particulièrement mis en valeur par les illustrations choisies par l’auteur et une mise en page, signée Jérôme Pecnard, qui relève, elle aussi de la haute joaillerie.

Apolline Elter

 Les diamants de l'Histoire, Jean-Pierre Guéno, mise en images de Jérôme Pecnard, beau livre, Editions Jacob Duvernet, octobre 2010, 200 pp, 29,9€.

Billet de faveur

AE: Jean-Pierre Guéno, vous êtes, selon vos propres termes un "passeur de mémoire". Les documents que vous glanez offrent un éclairage renouvelé sur l'Histoire. Avez-vous été dérouté par la découverte  ou du moins le ton de certaines archives? Je songe notamment à la lettre -pathétique - par laquelle Joséphine de Beauharnais entérine la dissolution de son mariage, incapable d'assurer la descendance de Napoléon.

Jean-Pierre Guéno: à force de vouloir que les sciences dites douces, je veux parler des sciences humaines, singent les sciences exactes, à force de tuer l’émotion que recèle l’histoire, on finit par vider les sciences humaines de leur part d’humanité, et par transformer l’histoire en compte rendu d’autopsie… Il n’y a pas de petite et de grande histoire. Il y a des instants de vie qui font ou ne font pas vibrer et basculer l’histoire. J’ai voulu réintroduire la vie dans l’histoire, en partant d’une « pièce à conviction » chargée d’émotion : une toile, une photographie, un manuscrit, un objet, ou la mise en résonnance de deux pièces à conviction. La seule adoption de celle logique a des effets magiques. Dans le cas des relations qui unissent Napoléon à Joséphine, le diamant combine plusieurs facettes : la lettre de renoncement de Joséphine, le pastel  du début de leur idylle, où l’on voit Bonaparte et Joséphine en Italie dans une posture digne d’un film intimiste, la toile de la fin de leur idylle où « l’empereur » va opter pour la voie de la descendance et chercher un ventre pour son Aiglon. Le couple est incroyablement moderne. L’histoire ferait aujourd’hui les bonnes pages de Match. Par définition les archives sont troublantes. Il suffit de leur donner l’éclairage qui les « réactualise » et les fait parler au présent, sans pour autant verser dans l’anachronisme. A cet égard, un document fascinant : les petits dessins obsessionnels que réalisait Dreyfus sur l’Ile du Diable, pour essayer de ne pas sombrer dans la folie, pour canaliser son esprit, pour essayer de ne pas « sortir de la piste » et de ne pas être totalement broyé par l’isolement et par l’incarcération.

 AE: Le rassemblement, la sélection judicieuse de pareils "diamants", leur confrontation historique et la recherche d'illustrations représentent un travail d'envergure.  Comment avez-vous procédé, Jérôme Pecnard et vous pour mener à bien cette tâche colossale?

Jean-Pierre Guéno: J’ai choisi chaque diamant, et par ailleurs chaque illustration de ce livre. C’est le fruit d’un travail de fouine insomniaque, d’un orpailleur qui guette depuis plus de 20 ans au cœur de ses nuits blanches et de ses passions,  les traces croisées de l’histoire et de la vie. Jérôme intervient ensuite avec toute sa sensibilité et son talent pour peupler l’espace vierge de chaque double page avec les mots et les images que j’ai choisies et pour que l’œil et l’imagination du lecteur y trouvent leur compte. Une mise en page qui se voudrait toujours plus lisible, vivante, fluide et percutante. A fleur de peau et d’émotion. Jérôme n’agit pas en maquettiste ordinaire. Je ne travaille à présent qu’avec des éditeurs de beaux livres qui acceptent de le considérer comme un co-auteur et non comme un maquettiste mercenaire qui serait payé à la pièce usinée, à la double page.  Il s’agit de livrer au lecteur du sur mesure et non du prêt à porter.  

AE: Certaines confrontations de documents suscitent une interprétation graphologique, telle la signature enfantine de Louis-Charles de France as Louis XVII apposée sous la dénonciation forcée de sa mère en regard de celle tracée en début de captivité. L'accès aux documents manuscrits  a-t-elle suscité une meilleure compréhension psychologique, sorte d'intuition graphologique au regard que vous portiez sur leurs scripteurs?

Jean-Pierre Guéno: les manuscrits ne cessent de révéler les ressorts de l’âme et de l’esprit. Vous citez le diamant sur Louis XVII, la comparaison de deux manuscrits qui révèlent tant de chose sur l’évolution de la psychologie d’un enfant martyrisé: ce « diamant » a un point commun avec le projet de communiqué de presse écrit par Eisenhower la veille du débarquement « en cas d’échec ». « Ike » sait très bien que le Jour J n’est que le premier épisode d’un match sanglant qui va porter d’autres épisodes, d’autres prolongations. (La bataille de Normandie qui a suivi le débarquement a été beaucoup plus longue et sanglante). Il voudrait donc se projeter dans l’avenir pour y trouver le réconfort moral qu’il souhaite pour pallier ses angoisses. Et il se trompe !!! Au lieu d’écrire « June 5 » il écrit « July 5 ». Les manuscrits de ce livre sont comme les photos, les gravures, les objets présents dans ce livre. Ils révèlent et font de l’histoire un outil précieux pour mieux comprendre notre présent et pour mieux piloter notre avenir. On a souvent dit du Général de Gaulle qu’il était une sorte de devin, qu’il avait des intuitions de génie. C’est faux : il est une incroyable « déducteur » un véritable historien. Chacune de ses « prophéties » n’est en fait que le fruit d’une analyse de l’histoire et de la vie des hommes qui l’ont précédé.  Mon allégorie, ma muse dans ce livre, la petite Clio, celle qui m’aide à  chuchoter mes histoires dans l’oreille du lecteur m’aide en fait à valoriser le couple réconcilié de l’histoire et de la vie : son union éclaire notre route ! L’histoire n’est rien d’autre que la mémoire de notre avenir.

AE: Ces Diamants ne composent-ils qu’un épisode éphémère où inaugurent-ils une série. Pourquoi attendez-vous tant de cette démarche, de cette voie que vous ouvrez ?

Jean-Pierre Guéno: Il va de soi que « Les diamants de l’histoire » généreront un tome 2, et ainsi de suite. J’ai déjà rédigé 50% d’un second ouvrage. Les diamants sont là, à l’état brut. Aussi nombreux que les étoiles qui font scintiller nos nuits. Il suffit de les extraire, de les tailler, de les polir. Le livre se termine par un appel au peuple qui va m’aider à extraire les diamants futurs. C’est aussi avec cette mémoire du peuple que je veux tailler ces diamants qu’il génère. Car ce sont surtout les humbles qui font l’histoire ; ces obscurs qu’étaient nos parents, nos grands-parents et nos ancêtres. J’essaye de le démontrer depuis 14 ans, depuis « Paroles de poilus », avec la collection « Paroles de », en rappelant que l’histoire ne se résume pas à des listes de dates ou de têtes d’affiche. Et j’ai un rêve : que la future « Maison de l’histoire » préméditée et rêvée pour la France par Nicolas Sarkozy soit alimentée avec cette mémoire des humbles, ne faisant ainsi pas double emploi avec de magnifiques lieux de mémoire déjà mis à la disposition du plus grand nombre. Les musées du futur seront en bonne partie virtuels. Ils réserveront leurs expositions temporaires à la mise en valeur des pièces à conviction, des preuves vécues de l’histoire, sur des thèmes choisis et qualitatifs.  Pour valoriser leurs richesses permanentes, inépuisables, ils réaliseront les noces du pixel et du papier. Nous pourrons les visiter au cœur de nos nuits, depuis chez nous. A condition d’utiliser les outils modernes de transmission de la mémoire et de l’émotion originelle qui lui donne son pouvoir de rayonnement. A l’aube du troisième millénaire, un musée doit être un observatoire permettant de mieux comprendre le passé pour mieux analyser et comprendre le présent et pour mieux piloter notre avenir. Il doit projeter notre mémoire et nos racines dans l’avenir : c’est ainsi que nous transmettrons à nos enfants l’héritage et les points de repère qu’ils méritent et dont ils ont tant besoin, dans un monde de plus en plus formaté, planétaire et standardisé qui doit se méfier de l’amnésie comme de la peste.