Il faut dire que tous ces policiers, fictifs et réels, rivalisent entre eux en termes de personnalités et, souvent, d’originalité. Prenons par exemple Goron ? Marie-François Goron alias le Turbulent est un vrai flic. Il est né le 2 mars 1847 et ce gars là n’a rien d’un « banal emballeur de voyous ». Ce breton, un aventurier qui, à la fin du 19° siècle, a cherché la fortune en Argentine, est un « petit homme trapu au poil fauve » rétif à l’autorité, à la discipline et si anticlérical qu’il en choque « sa bigote de mère ». C’est en 1881 qu’il embrasse, après moult expériences professionnelles déçues, la carrière policière. L’homme dort très peu et passe son temps dans les rues de Paris et de ses communes environnantes. Il semble être partout à la fois et, dans une même journée, il participe « au repêchage des macchabées de la Seine », fouine du côté des « mystères du bois de Boulogne, se mêle « aux vagabonds, parmi les prostituées sans âge et les vieux messieurs décorés aux mœurs insolites ». Sa notoriété grandit très vite et Goron devient, aux yeux de sa hiérarchie et du public, une sorte de vedette. Mais le commissaire Goron ne ressemble pas aux autres flics de sa génération. En effet, et Charles Diaz nous le rapporte : « Lui, Goron, dont les arrestations conduiront nombre de criminels à la guillotine ne cesse de faire part de ses considérations sur la peine de mort. Des propos qui viennent plutôt à contre-courant des idées reçues de son époque, pour ne rien dire des discours de ses propres collègues policiers. « Non, affirme haut et fort, le commissaire Goron, l’exemplarité de la peine de mort n’existe pas ; non, la crainte du châtiment suprême n’a jamais arrêté un seul assassin ». Et à Goron d’écrire même ceci : « Le seul exemple de la guillotine, c’est le mépris de la vie humaine, c’est celui du sang versé ».
La « Fabuleuse histoire des grands flics de légende » compte un grand nombre de personnages hors normes mais bien réels. Il y a –autre exemple- l’inspecteur Belin. On le connaît très peu et pourtant il a marqué par sa sagacité, sa patience, sa détermination, l’histoire des plus grandes affaires criminelles du XX° siècle. Belin, l’inspecteur Jules Belin ? C’est lui qui a mis hors de nuire, l’homme de Gambay, l’inconnu « à la barbe noire bien soignée et aux yeux perçants surmontés d’épais sourcils », le tueur de femmes qui avait pour nom Landru.
Ce livre est véritable galerie de portraits. On y visite des flics aussi célèbres qu’Eliot Ness et ses « Incorruptibles », Célestin Hennion et ses « Brigades du tigre » ou encore le rigide et bourru commissaire Guillaume, l’égérie de Simenon pour son fameux « Maigret » etc. Mais il a aussi le pouvoir, presque magique, de nous faire apparaître sous un jour inhabituel tous les personnages nés de l’imaginaire des romanciers et des esprits, parfois très commerciaux, des auteurs de séries télévisées. Souvenons-nous de Kojak « le limier chauve de Manhattan » la « sucette ronde glissée dans la bouche, répondant à l’indicatif radio 7-23 et qui, dès qu’une mort suspecte est signalée, saute au volant du paquebot sur roues brunâtre qui lui sert de voiture banalisée (…) et qui actionne un gyrophare rouge vite accroché au-dessus du toit et rapplique sur la scène de crime, au fond d’une ruelle sale et sordide ou dans un appartement cossu du quartier financier ou derrière les quais d’East River. Charles Diaz nous le ressuscite, debout au milieu des années 70. Idem pour ce « cop » qui se nourrit mal et vite fait, qui ne boit que du café noir sans sucre et qui, après une mûre et profonde réflexion, nous assène sa pensée selon laquelle « les avis, c’est comme les trous du cul. Tout le monde en a un ». C’est, évidemment, Harry Callahan, monsieur 44 Magnum incarné au cinéma par Clint Eastwood. Mais l’auteur n’a pas oublié nos bons vieux poulets hexagonaux : l’inspecteur Bourrel qui, à la fin de ses enquêtes, toujours dans les cinq dernières minutes, conclut l’affaire criminelle la plus tordue par son « Bon dieu… mais c’est bien sûr !». On y retrouve encore le terrible Javert, inspecteur lui aussi, et qui à travers les pages des cinq tomes des Misérables poursuit l’ancien bagnard Jean Valjean. Quant à l’autre, Antoine pour les intimes, vous ne lui échapperez pas non plus. « De son bureau qui sent le papelard moisi, les pieds de Bérurier et le mégot fétide de Pinaud » il vous rappellera lui-même (mais sous la plume de Diaz) qu’il est « Cancer ascendant Sagittaire, qu’il est de la volaille, de la machinerie flicarde, de la cabane Poupoule, de chez Royco ou de chez Poulaga enfin bref qu’il est policier et que si un jour « votre grand-mère vous demande le nom du type le plus malin de la Terre, dites lui alors, sans hésiter une paire de minutes, que le gars en question s’appelle San-Antonio ».
Flics imaginaires, flic réels ? Ils ont tous répondu « présent » dans ce livre. On en découvre beaucoup, on en retrouve quelques uns : Broussard, Lecoq, Le Mouël, Bouvier, Canler, Jouin ,Valentin, Rossignol, Adamsberg, Morgan, Serpico, Lavardin, Derrick et même le très inquiétant flic du futur R. Daneel Olivaw qui « n’a nul besoin de repos, n’a jamais froid, jamais faim. Son cerveau positronique retient tout et analyse, en quelques secondes, des milliards d’informations. (…) Son visage est impassible, ses réflexes exceptionnels. C’est un super-flic ». C’est un robot. Vous trouvez ça rigolo ? Ne vous réjouissez pas trop : R. Daneel Olivaw sera, sans aucun doute, demain ou après-demain en bas de chez vous pour vous arrêter même si vous n’avez pas commis de crime mais parce que, simplement, durant une fraction de seconde, vous en avez eu l’intention. Cela est certain puisque c’est déjà dans « La fabuleuse histoire des grands flics de légende » de Charles Diaz.