Il est évident que je rame là, mais on m’a suggéré « fais en sorte que la croisière s’amuse », « fais nous le tacon taquin », « arrête avec le vieil homme et la merde ! ».
D’une expression populaire, « travail d’arabe », Christian Philibert a imaginé un film d’une richesse et d’une truculence jubilatoires. Inutile de vous précipiter dans le Pariscope local, ça date comme dirait Anouar. Sorti en salles en Juillet 2003, cette aventure bucolique fleure le rustique, voire l’authentique tant on navigue entre documentaire et fiction.
Momo aime le chichon mais sa vie n’est pas vraiment rose, il sort de zonzon comme on sort d’une rame de métro aux heures de pointe, fracassé et hagard. Tombé pour trafic mineur, il décide de repartir du bon pied en laissant de côté le mauvais oeil qui n’a de cesse de le mater. Sous le soleil Provençal, les mots chantent comme des cigales foudroyées par le soleil. La chaleur dégagée par Momo donne soif de vivre et de partager l’envers de l’amitié, faut dire qu’ici on n’est pas des chameaux quand il s’agit de boire certaines paroles ! Justement, la chaleur parlons en, puisque c’est la branche qui intéresse notre protagoniste. Dans sa reconquête de ne plus être à l’ouest, Momo atterrit dans une boite de chauffagistes. Et pour chauffer, ça va chauffer. A la tête de cette entreprise familiale, ayant pognon sur rue, gravitent les frères Gutti dont on se demande bien s’ils ont inventé l’eau chaude ou le fil à couper le Beur. Chez les Gutti, il y a du Laurel et Hardy, le gros et le petit. Quand Momo débarque, à l’insue de leur plein gré, on sait que tout est désormais réuni pour que ça parte en vrille.
Philibert, le réalisateur, n’invente rien si je puis dire. La vie de chantier y est d’une justesse éclatante, ici la fiction a parfois bien du mal à dépasser la réalité ! Autour de Momo se démènent des personnages haut en couleurs, tous incarnent un pan de la nature humaine. La gouaille de ces bras cassés donne de l’épaisseur aux thèmes dénoncés par cette fable douce amère, à savoir le racisme en Provence, et ailleurs, ne soyons pas sectaires pour si peu, la cupidité, la bêtise humaine, l’individualisme. On pourrait se dire qu’on va s’emmerder ferme tant ces thèmes sont éculés et maintes fois rabâchés, mais c’est là que Philibert est d’un talent remarquable, sa dénonciation est festive, hilarante, emplie d’humour, servie par des acteurs au diapason dont l’authenticité est à faire rougir un Roger Hanin dans le rôle de Raimu. Qu’on aime ou pas l’accent du Sud, on se laisse submerger par cette équipée de sauvages roulant des mécaniques , jurant comme des charretiers, insultant la terre entière, truandant le commun des mortels.
Bien qu’il s’agisse d’un film militant s’il en est, on n’en oublie assurément pas que c’est, avant tout, une formidable comédie. On rit de bon coeur d’autant plus quand on a connu ce genre de galère professionnelle, qu’on a eu à insulter sa mère, et celle des autres, pour peu qu’un écrou refusa le filetage qu’on lui présentait. Des petits patrons peu scrupuleux on en a tous côtoyés, prendre le pognon au mépris du boulot bien fait, gruger la petite vieille en lui faisant croire au miracle des temps modernes. Entre un Momo, cueilli et mis à l’ombre pour des bricoles, et des patrons voyous agissant en toute impunité, on est en droit parfois de se poser l’affligeante question, mais de qui se fout-on ??!!??
Pourtant, travail d’arabe ne serait pas aussi abouti s’il n’y avait cette rencontre entre ce vieux réac et Momo. Mais attention, il y a le bon réac et le méchant réac. Ici, Momo est veinard puisqu’il a frappé à la bonne porte. Des explications de texte entre les deux hommes, naît une complicité inattendue, et une amitié insoupçonnée. Comme quoi, rien n’est rédhibitoire, enfin presque… Et le racisme dans tout ça me diriez-vous ? Il est là, présent mais non prégnant, ce n’est pas un accouchement dans la douleur mais plutôt dans la couleur locale. En Provence, et je suis bien placé pour en parler, tout semble passer avec la chanson des mots, parfois on se laisse bercer par la mélodie et on en oublierait presque les paroles. Philibert en joue à merveille, certaines scènes valent du Pagnol ou du Giono.
Quid de l’identité nationale ??!!?? La Marine, comme dirait Escartefigue, nous emmerde. Certes, de nos jours il est plus aisé de taper sur la tronche de pauvres bougres, servant de bouc-émissaire providentiel, dès lors qu’il soit question de se faire une réputation électorale, ainsi qu’une virginité nationale. Alors on cogne sur l’arabe de préférence. Le facho guignolesque est un et indivisible, une identité remarquable en somme qui, comme chacun le sait, est une façon de simplifier les écritures tout en accélérant les calculs électoraux, bref, vaine tentative de nous faire croire que cette idéologie est capable de résoudre des équations même lorsqu’elles sont de l’ordre du second degré !
Malgré tout, les Momo sont là pour nettoyer notre merde, et certains apôtres de la France blanche discourent allègrement, et gentiment, sur les désagréments soi-disant occasionnés par une mosquée de-ci de-là, un voile qui leur fait sortir la vapeur par les nasaux, une religion qu’ils méconnaissent mais néanmoins qu’ils condamnent de toutes leurs forces. Ces croisés des temps modernes répandent l’évangile, et leurs saintes écritures, quasi quotidiennement dans un français à vous couper le souffle tout en n’omettant point d’aduler Houellebecq. Fâcheux Goncourt de circonstances, parce que le lire m’est d’un insupportable ennui, drôle d’enfant terrible de la littérature. Je vais plutôt reprendre ce bon vieux régime Carné et déambuler avec les visiteurs du soir.
fabuleux moment et tellement vrai, à voir absolument