La Gaule et les barbares, hier et aujourd'hui

Par Amaury Piedfer
L’évolution dramatique de la société française, une fragmentation extrême qui se caractérise par un individualisme croissant auquel répond un communautarisme toujours plus affirmé, le tout agrémenté d’anarchisme libéral, mais surtout les recompositions imposées par une immigration de masse devenue permanente, entraîne une certaine prise de conscience chez une petite fraction des élites intellectuelles ; la catastrophe qui paraît nous tomber dessus donne lieu à certains discours d’un réalisme sans concession que l’on n’attendait plus chez les joyeux lurons des cabinets d’études parisiens. Écoutons donc Paul Veyne, professeur au Collège de France, l’un des spécialistes français les plus réputés de la civilisation gréco-romaine, nous parler des barbares [1]. Le texte est édifiant ; pour tout dire, il m’a pétrifié, tant les caractères de la fin du monde romain occidental ressemblent point par point à ce que nous vivons tous les jours ; la chute est imminente. Je ne peux croire que l’auteur n’ait pas fait exprès.

Après 400, l’effondrement politique de l’Occident, mal déguisé par la prétendue dépendance des royaumes germaniques, a entraîné un effondrement économique et une régression dans la vie quotidienne et culturelle. Dans un livre récent et équilibré, The Fall of Rome and the End of Civilization, Oxford, 2005, Ward Perkins a discerné les marques de cette régression : reculent ou disparaissent la maçonnerie avec mortier et pierres, les célèbres « tuiles romaines » à crochet et, pour trois siècles, les poteries faites au tour. Ajoutons qu’on ne frappe plus guère de monnaies divisionnaires (je suppose qu’on payait le barbier avec une douzaine d’œufs) et, signe frappant, la coutume épigraphique, la religion de la pierre inscrite, n’existe pratiquement plus : il n’y a plus guère d’inscriptions, c’est une pratique réservée au bénéfice d’une petite élite d’évêques.
Il est à croire que cette régression technique et économique se double d’une régression mentale, d’une perte de fierté. Les gens se laissent aller dans tous les domaines. Est-ce que les classes moyennes continuent d’aller à l’école ? Est-ce qu’on continue à lire et à écrire ou est-ce réservé au monde des clercs et à l’Eglise, ce qui a sauvé pour nous la littérature latine païenne, que le Moyen Age ne cessera de lire, sans attendre la Renaissance ?
Il nous manque à nous archéologues (ou du moins il manque à l’auteur de ces lignes) l’expérience vécue d’un effondrement politique et militaire qui entraînerait une régression dans tous les domaines. On voudrait pourtant comprendre le comment de cette clochardisation collective, clochardisation matérielle et sans doute aussi morale.
On sait bien que les « barbares » au Vème siècle viennent, non plus en ennemis et en pillards, mais en immigrés… Ce ne sont pas des agresseurs, ce sont des amis envahissants.
Cela dit, il ne faut pas oublier pour autant la part de violences individuelles d’une soldatesque toute puissante. Ces immigrés sont des amis brutaux et sans gêne. Ils viennent en immigrants qui s’installent de force ou que le pouvoir romain doit finir par accepter et par caser dans une province, parce qu’il ne peut s’en débarrasser. Cela dit qui a des armes à la main et a sous la main des villas et des domaines à prendre les prend. Tout ce qu’on peut dire est que cette violence n’entrait pas dans un plan prémédité et idéologique.
La victoire des Goths n’est pas due à une inondation démographique qui aurait submergé l’empire et ses armées, mais à la rencontre de deux stratégies différentes : la stratégie d’une armée en ligne – surpuissante pour l’époque – et une stratégie de semi-nomades. Les Goths ont 30 000 hommes avec eux, leurs troupeaux et le pillage facile des greniers de l’annone militaire ennemie. Tandis que l’armée puissante qui les poursuit est obligée de se déplacer lentement, car il faut que l’intendance suive.
Ces envahisseurs, les Goths, se sentent une identité ethnique (qu’ils confirment en restant ariens), mais veulent aussi avoir la dignité de la civilisation gréco-romaine, qui est la grande civilisation mondiale du temps. Ils veulent entrer dans la partie civilisée et moderne de la Terre, mais en restant eux-mêmes et, si possible, en maîtres. C’est pour cela qu’ils restent ariens et refusent les décisions de Nicée. Les Barbares veulent rester des non-Romains, des Germains, de même que les Romains ont voulu avoir la grande civilisation mondiale, la grecque, en restant romains.
Songeons à ce roi wisigoth de Toulouse qui regrettait que son grand-père Alaric ait saccagé Rome en 410. Un roi germanique à la haute culture impériale, mais, en même temps il tient à montrer qu’il reste le roi et il reste arien pour bien montrer que ce ne sont plus les Romains qui gouvernent.

Ben oui quoi, quand on change la population, on change la civilisation… Et encore, aux IVème et Vème siècles, c’étaient des « barbares » européens, des Germains qui cherchaient à s’intégrer au monde romain au contact duquel ils vivaient depuis des siècles, et dont les méfaits furent moins importants qu’on ne l’a longtemps cru ; il aura tout de même fallu deux ou trois siècles pour refonder une nouvelle civilisation, où se mêlaient héritages gallo-romains et germaniques.
Aujourd’hui, la civilisation qui confère la dignité, celle qui incarne la modernité et le « mieux », c’est la civilisation occidentale ; et ceux qui entrent, de force ou avec l’assentiment de l’Etat ou de l’Union Européenne, cette Rome moderne, exigent la dignité occidentale, mais s’accrochent à leur identité ethnique, notamment à travers l’islam…en espérant devenir les maîtres. Seulement, ils ne sont pas Européens, pour beaucoup d'entre eux se moquent pas mal de la civilisation française, et surtout ne sont pas 30 000 hommes, mais cent fois plus, bientôt mille fois plus…
Combien de temps faudra-t-il, dans ces conditions bien pires encore qu’il y 1500 ans, pour refonder une civilisation et une société solides et pacifiées ? Je crois qu’il faudra attendre longtemps, si les choses suivent leur cours actuel… Que ceux qui pensent encore que s’opposer à l’immigration de masse c’est être un « fasciste » ou un « raciste », que ceux qui croient encore que dénoncer le sens profond de l’islamisation c’est être un « intolérant », y songent un instant.
Arthur Lamarche.(merci à Pierre B. de m'avoir signalé l'article). [1] Propos publiés dans L'Histoire, n° 326, janvier 2008.