C’était le bon temps. À l’époque du Grenelle de l’environnement, où l’on parlait d’une réduction de 50% de l’usage des pesticides. Autant dire : jadis. Mardi 8 janvier 2008, le ministère de l’Agriculture a décidé d’autoriser l’utilisation d’un nouveau pesticide, le Cruiser. Comme si les 489 pesticides autorisés sur le marché européen ne suffisaient pas.
Cette autorisation fait suite à un avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), qui avait été saisie par le gouvernement en septembre 2007 afin d’évaluer le Cruiser et le Poncho, deux pesticides utilisés en traitement de semence de maïs. Le Cruiser est produit par Syngenta, le Poncho par Bayer. Ils sont tous deux autorisés en Allemagne.
Dans son analyse, l’AFSSA s’est principalement soucié du sort des abeilles, dont les populations sont décimées depuis plusieurs années. Sur ces bases, l’AFSSA a émis un avis défavorable pour le Poncho, mais favorable pour le Cruiser. À certaines conditions. Le gouvernement a suivi. Exit le Poncho. Cruiser on the road, avec une petite caravane de mesures de précaution au derrière. Des “conditions de précaution maximales”, selon les mots du ministère.
– L’autorisation du Cruiser n’est valable qu’un an, et devra être suivie d’une nouvelle évaluation.
– Son usage sera limité dans la période qui précède le 15 mai “afin de réduire la période de floraison”.
– Il ne pourra être utilisé que pour le “maïs ensilage, le maïs grain et le maïs porte-graine femelle”. Ce que cela veut dire, c’est que le Cruiser ne servira pas pour le maïs destiné à la consommation humaine et aux lignées mâles vouées à la production de semences.
– Un suivi et une surveillance des ruchers sont imposés dans au moins trois régions. Une première réunion du comité scientifique et technique aura lieu le 30 janvier. Réunion à laquelle sont associés apiculteurs et associations de défense de l’environnement.
Le ministère de l’Agriculture profite de l’occasion pour annoncer qu’une mission sur la filière apicole va être “prochainement confiée à un parlementaire”. “Son objectif est la mise en place d’un plan d’action apicole portant sur l’organisation de la surveillance de l’état des ruchers, l’aménagement du territoire et sur l’accompagnement technique, scientifique et économique durable de la filière”.
Les organisations environnementales, de leur côté, sont totalement opposées au Cruiser. Dans un communiqué du 8 janvier, la Confédération paysanne dénonce “un insecticide de destruction massive d’abeilles”. Selon elle, il n’existe aucune garantie permettant de vérifier que les mesures de précaution seront bien appliquées. Elle rappelle que des mesures du même type – mises en place pour les OGM – n’avaient pas été une grande réussite.
Dans un communiqué commun, trois associations environnementales – les Amis de la terre, le Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (MDRGF) et le WWF, parlent de “récidive” des pouvoirs publics après les affaires du Gaucho et du Régent (1).
Selon elles, le principe actif du Cruiser – le Thiamethoxam – est très toxique pour les abeilles, même à de faibles doses. Elles expliquent qu’il faut seulement 5 nanogrammes (ng) de Cruiser pour tuer une abeille. Des doses tournant autour de 0,5 ng par abeilles peuvent entraîner de graves perturbations des colonies.
“Nous nous élevons contre cette autorisation qui permettrait à un insecticide qu’on sait être extrêmement dangereux pour les abeilles d’être répandu dans l’environnement au mépris du principe de précaution”, concluent-elles.
(1) Sur le Gaucho, le Régent, et l’étrange rapport de la France avec les pesticides, voir le livre de Fabrice Nicolino, journaliste, et François Veillerette, président du MDRGF : Pesticides, révélations sur un scandale français. Fayard, 2007.
Sources : Associated Press (8/01/2008), Confédération paysanne, MDRGF, ministère de l’Agriculture.
Photo : St.H.