La réforme des retraites qui a déclenché les mouvements sociaux que l’on sait, semble s’essouffler pour ne pas dire s’étouffer. Sous le regard perplexe des autres Européens, les Français avaient amorcé des grèves et leurs traditionnels cortèges de défilés dans les rues. Banderoles, drapeaux, porte-voix, slogans, chacun s’est essayé à rejouer Mai 68 dans sa ville ou son village. On a même vu les lycéens descendre dans la rue pour protester contre un départ à la retraite qu’ils estiment trop tardifs, eux qui ne sont même pas assurés de trouver un boulot à la sortie de leurs études. Un peu comme ceux qui veulent connaître la fin d’un bouquin qu’ils n’ont pas commencé à lire. D’ailleurs, est-ce qu’il y aura encore des retraites pour eux dans une cinquantaine d’années ? Rien n’est moins sûr.
Mais je suppose que l’important c’était surtout de participer, dans cet esprit très Coubertin où gagner importe peu du moment qu’on y est. Plus tard ils pourront dire « J’y étais ! » avec photos à l’appui de leurs dires ou vidéos misent en ligne sur YouTube.
Aujourd’hui quand je vois des reportages à la télé sur les manifs avec des « jeunes » – quelque en soit le motif – j’ai toujours la désagréable impression que la cause principale de leur présence dans les défilés n’est pas tant la contestation politique en elle-même, mais un bon moyen de se montrer. Se montrer à la télévision, sur les photos dans la presse, sur les vidéos diffusées sur le Web et les réseaux sociaux (Entre parenthèses, quand je lis réseaux sociaux, j’entends toujours « services sociaux » et ça me fait mal pour ces pauvres gens). Une bonne occasion d’utiliser les moyens de communication modernes, Twitter, SMS et autres merveilles de la technologie, enfin leur investissement dans un téléphone portable dernière génération trouve une noble finalité ! Et bien entendu quand j’écris « se montrer » c’est avec l’arrière-pensée de pouvoir se faire remarquer et pouvoir mettre un pied dans une carrière professionnelle liée aux médias, à la publicité ou au show-biz.
Je repensais à tout cela en consultant un livre d’art lorsque je suis tombé sur la reproduction du célèbre tableau de Delacroix « La liberté guidant le peuple ». Dans tous les défilés vous avez constaté que les filles ne sont pas les moins virulentes et qu’elles n’hésitent pas à donner de la voix, utilisant tous les artifices possibles pour se faire entendre au propre comme au figuré, slogans tatoués sur le visage ou les vêtements. Pourtant il est un moyen quasiment jamais employé dans ce genre de mouvements de foules, c’est le dépoitraillé héroïque, les nichons à l’air protestataires, les tétons fièrement dressés face à l’injustice. Imaginez le tableau – moderne pour le coup – d’une ribambelle d’amazones aux seins nus arrogants scandant leurs récriminations sous les feux des caméras du monde entier. Ca aurait de la gueule, à condition que Marie-Georges Buffet accepte de ne pas se mettre dans les premiers rangs du défilé bien entendu.
La liberté guidant le peuple Eugène Delacroix (1830) – huile sur toile 260 x 325 cm – Musée du Louvres