Les peuples ne perdent la vie que quand ils perdent la mémoire. Maréchal Foch
Journée du souvenir, le 11 novembre nous remet en mémoire un passé que l'on serait souvent enclin à oublier. Les temps ont tellement changé, me direz-vous ! Quel jeune d'aujourd'hui partirait la fleur au fusil guerroyer pendant quatre ans dans le froid, la boue, l'horreur des tranchées ? Quelle guerre mérite qu'on lui sacrifie sa jeunesse, son armée, mais également ses appelés, et que l'on saigne à blanc une génération, se privant ainsi de ses cerveaux, de ses coeurs et de ses bras ? Aucune, bien entendu...si l'on considère qu'il n'y a pas de cause qui justifie un tel sacrifice. Néanmoins, n'est-ce pas ce qu'on fait, au cours des siècles, des millions de jeunes hommes, afin de sauver leur patrie forgée, au cours des âges, par le génie, la volonté, la ferveur, la compétence, le courage de leurs ancêtres ? Un pays a une âme, un visage à nul autre pareil. Une patrie a un sens, un rôle, une raison d'être. La terre est pour chacun de nous un lieu d'ancrage. Si nous nous exilons, c'est le plus souvent contraint et forcé et, à l'heure du soir, rares sont ceux qui ne souhaitent pas s'en retourner mourir au pays.
Pas question pour autant de figer un peuple dans la piété archéologique de son passé. La France a toujours préféré une tradition vivante, transmise par le moyen de la coutume qui synthétise les lents et constants apports du temps, à une tradition momifiée dans les formules ou raidie dans les systèmes. Les faiseurs de systèmes et les créateurs de constitutions théoriques ignorent trop souvent que la diversité des pays rend bien difficile l'adoption de plans politiques uniformes et absolus. Seuls demeurent constants les principes premiers de toute société basés sur l'immuabilité de l'essence des choses et de la nature humaine. En effet, cultiver des rêves de cité universelle dans un monde violemment divisé en groupements rivaux serait condamner notre pays à être dupe de ses voisins et à disparaître à plus ou moins brève échéance. Il est donc normal, et ce le fut de tout temps, de défendre la cité menacée. On a trop souvent tendance à mettre l'accent sur la seule amitié d'homme à homme, sur le contrat qui unit ensemble les membres d'un peuple et à exalter la nation au moment même où on lui prêche l'oubli des seules raisons permanentes de sa cohésion : celles que lui donne sa qualité d'héritière. " Car la patrie est l'héritage, la nation l'héritier ".
Nous savons à quels excès ont mené ces principes lorsqu'ils furent développés jusqu'en leurs extrêmes conséquences, aussi bien en France qu'en d'autres pays d'Europe. Les nations, qui ne doivent subsister que par l'effort volontaire de leurs membres, sont conduites vers les grandes simplifications mythiques de leur destin (qui n'est plus guère que matériel) et vers des images sublimées où s'accrochent les pires chimères et les pires erreurs, de même que s'exaltent dangereusement des engouements ou des haines irraisonnés envers d'autres peuples de notre vaste univers. Dégoûtés par ces excès, nombreux sont les citoyens qui se jettent alors dans la négation même de la patrie et dans l'utopie d'une cité universelle déjà évoquée par la Révolution. Mais cette notion, probablement valable dans le royaume des âmes, ne peut l'être dans l'ordre politique et on sait quelle dure réponse les guerres de 14/18 et de 39/45 apportèrent à ces rêveurs.
Aujourd'hui, le monde s'épouvante de voir se former de gigantesques empires, devant lesquels le destin des frontières anciennes ressemble à celui fugitif des jardins enfantins. Et le doute se saisit des hommes. Les patries sont-elle condamnées ? Toutes ces vies ont-elles été sacrifiées pour rien ? Non, car la notion de patrie n'est pas une sclérose de l'être dans la piété de temps révolus, elle n'a en elle-même aucun caractère d'immobilisme, elle ne commande pas à l'homme le ressassement sentimental et vain de thèmes désuets. Elle murmure simplement à l'oreille de chacun de ceux qui, debouts, face aux monuments aux morts qu'ils honorent en ce 11 novembre : " Je vous désigne ce qui a duré. Je vous rappelle ce qui a réussi. Mais je vous l'enseigne, pour qu'à une longue suite de labeurs et de luttes, vous apportiez votre part, car vous êtes des continuateurs. C'est pourquoi l'idée de patrie donne à l'homme sa place, en appuyant son humble action à celle de millions de morts impérieux, en même temps qu'elle l'enchaîne aux mystères exigeants de l'avenir".
Car, ne nous leurrons pas : ce qui nous menace aujourd'hui n'est autre que le désamour. Le désamour de nous-mêmes et de notre pays. Or, ceux qui ne s'aiment pas ne savent pas aimer les autres. Rien ne se bâtit dans la désillusion et la désespérance. A ces jeunes gens, que la mort a ensevelis dans son suaire, les arrachant à l'aube de leur vie à une actualité dont ils se sont consciemment privés pour permettre à la nôtre de perdurer, demandons qu'ils nous rendent l'amour de la FRANCE.
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