Surtout, n’allez pas partager ce billet en Chine et au gouvernement chinois. Ils n’en seraient pas heureux et seraient capable de nous fourger encore un boycott cinglant sur nos fromages et nos enseignes Carrefour. Pourtant, dans ce billet, il n’est pas totalement question de faire une critique acerbe et de tirer à boulets rouges sur le gouvernement chinois et sa propension à confondre “liberté d’expression” et “incitation à la subversion” comme aiment le dire les dirigeants chinois. Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix cette année, en a par exemple fait les frais. Pour 11 ans. Il est plutôt question du rôle que la France a joué durant ces quelques jours paradisiaques que Hu Jintao aura passé dans l’hexagone.
Secrétariat aux Droits de l’Homme ?
«Le colonel Kadhafi doit comprendre que notre pays n’est pas un paillasson, sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort.» Souvenez de cette phrase, c’était un lundi 10 décembre 2007, quelques mois après l’élection de Nicolas Sarkozy. À l’époque, il y avait un secrétariat aux Droits de l’Homme, secrétariat envoyé aux oubliettes, Rama Yade faisant trop d’ombre à Bernard Kouchner. Presque trois ans plus tard, la France fait encore office de paillasson, décidant cette fois-ci de se plier en quatre pour un dirigeant de taille, Hu Jintao, l’homme le plus puissant de la planète selon le magazine Forbes et son classement annuel de 2010. En ce vendredi 4 novembre, la France et son gouvernement décidait de mettre fin de manière symbolique à deux ans de brouilles, aidés par le VRP Jean-Pierre Raffarin qui se démena lors de plusieurs visites en Chine (quatre par an) pour ramener les deux pays au dialogue – avec l’aide de Bernard Acoyer et de Christine Lagarde. Il le fallait, Nicolas Sarkozy ayant serré la main du dalaï-lama et tenté de mettre en jeu sa venue aux jeux Olympiques de Pékin en 2008. En ce début de mois de novembre 2010, il fallait donc être propre sur soi et amener délicatement un tapis rouge tout en repoussant délicatement l’idée de parler des Droits de l’Homme. Le “je ferai de la défense des droits de l’homme et de la lutte contre le réchauffement climatique les priorités de l’action diplomatique de la France dans le monde” est bien loin. Vendredi dernier, une centaine de véhicules de protection du dirigeant chinois ont alors remplacé les nombreuses promesses de 2007 :
Des Champs-Elysées vidés de tout
Alors que Paris vient d’être classée ville la plus embouteillée d’Europe (notamment son périphérique), voilà que les Champs-Elysée ont été balayés de l’incessant tohubu de ses automobilistes pressés ainsi que de la majorité de ses piétons – et plus particulièrement des militants gênants – le vendredi 5 novembre. Lors du passage du cortège officiel de la voiture présidentielle, seuls des français d’origine chinoise étaient présents sur les bas-côtés, puisqu’étant les seuls à être au courant du passage de Hu Jintao (l’ambassade de Chine les ayant prévenu). Il fallait ainsi que l’homme le plus puissant du monde puisse voir la beauté mais surtout la discrétion de la France à l’égard des Droits de l’Homme. Bien que quelques militants de Reporters Sans Frontières étaient aussi présents et essayèrent de se faire remarquer en criant “Libérez Liu Xiabo” en brandissant des parapluie à son nom, ils furent vite maîtrisés par des policiers, n’ayant même pas le temps de crier deux fois le nom du nouveau prix Nobel de la paix. Comme il est dit dans l’interview de Dimanche +, lorsque le journaliste de Canal + interroge un français d’origine chinoise, “on en parle pas”. Dont acte. Aucune conférence de presse n’a été programmé lors du séjour de Hu Jintao.
Des contrats à la pelle
Il est clair qu’en ces temps de crise, le pragmatisme du gouvernement passe au dessus des Droits de l’Homme. La France reste ainsi l’une des seules puissances occidentales à ne pas avoir réagi face à l’internement de Liu Xiabo, la promesse de quelques contrats se chiffrant en milliards d’euro étant plus appétissante. Au delà du fait que ces contrats signés étaient prévus depuis longtemps, en gestation depuis des mois et que, par exemple pour Airbus, ce n’était que la confirmation pour certaines commandes de contrats signés il y a 3 ans, ce pragmatisme français, en réalité, ne reconnait qu’une seule et une seule chose : la légitimité de la montée en puissance de la Chine en Europe autant sur le plan économique (car certaines entreprises françaises vont par exemple entreprendre des transferts de technologies, ce qui, en comparaison des pauvres 16 milliards de contrats, va peser encore plus lourd sur la balance commerciale franco-chinoise) que sur le plan politique. En effet, la Chine, en achetant de la dette dans quelques pays européens, pourra désormais prétendre à imposer ses visions. En témoigne la mise en garde de Pékin le weekend dernier à l’ensemble des pays européens s’ils se décidaient à participer à la cérémonie du prix Nobel de la Paix à Oslo le 10 décembre prochain et les probables “conséquences” (économiques ?) que cela entraînerait. Une annonce particulièrement arrogante de la part d’un pays qui aura donné des leçons de liberté lors de l’Examen Périodique Universel vendredi dernier en demandant que “la liberté d’expression et l’accès à Internet ne soient pas restreints“. Le monde à l’envers pour résumer.
Cette volonté de la France de ne faire ressortir de ses relations avec la Chine que le côté commercial et économique, permettra t-il de faire s’ouvrir politiquement et de manière durable la Chine sur le monde et d’entrevoir une véritable garantie des Droits de l’Homme dans le pays le plus peuplé au monde ? En tout cas, ce que l’on retiendra de ce weekend, c’est que la France n’était pas à la fête.
Pour finir en humour, voici qu’Across The Days a retrouvé une improbable lettre de Bernard Kouchner destinée à ses collègues chinois :