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Déjà, de nombreux papiers ont salué le dernier ouvrage de Siri Hustvedt, La femme qui tremble, sous-titré Une histoire de mes nerfs. Point besoin donc de refaire la démonstration d’un livre original où références scientifiques se mêlent intelligemment à l’émotion. L’auteur elle-même exprime à un moment l’importance capitale de l’émotion dans la qualité du raisonnement. La femme qui tremble n’est pas un roman. On pense tout de même aux Yeux bandés (1993) qui posait la question crue de l’identité (qui suis-je ?) au travers de l’histoire d’une jeune femme qui se travestit : changeant de sexe pour quelques heures, n’en est-ce pas moins elle ? Dans son dernier ouvrage, la question se pose pareillement du point de vue de la douleur et de la maladie : sont-elles miennes ? Siri Hustvedt a tremblé une première fois alors qu’elle entamait un discours préparé en l’honneur de son père disparu deux ans plus tôt. Cet épisode va se répéter. Depuis petite, elle a connu différents troubles, migraines et autres maux psychosomatiques, sans que jamais elle ne trouve leur raison. Son tremblement va être l’opportunité d’une nouvelle quête intérieure. L’Occident, depuis Platon, a fondé la dichotomie entre corps et esprit. Il en provient des questionnements insensés qui pourrait se résumer dans cette unique question : qui suis-je ? Suis-je plus mon corps ou mon esprit ? L’un ou l’autre est-il plus significatif, plus essentiel à mon identité ? L’enquête que constitue l’histoire de la femme qui tremble s’engouffre dans ces questions fortes et abordent tant d’explications, d’ordre biologique, scientifique, psychanalytique, philosophique ou mystique. Ce questionnement existentiel pose évidemment la problématique du langage. Et pour cause, n’est-il pas le lien même entre corps et esprit, entre matière et pensée. C’est le medium de la psychanalyse, verbaliser un intérieur, pouvoir le posséder et non l’inverse. Pourtant, tout commence sans le langage, le lien entre la mère et son enfant pose les termes d’une confiance : « Nos vies commencent par un dialogue muet et, sans lui, nous ne grandirions pas » (p.109). Plus tard, le transitivisme se définit comme un impossible qu’il n’y ait pas un autre qui ne soit pas soi-même. Reste alors le phantasme d’un lien sans communication, d’un sentiment religieux, océanique dirait Freud, de faire un avec le monde. Mais il faut faire le deuil de cette mystique : « on ne peut retrouver la prime enfance » (p.181) et reconnaître en même temps l’existence d’un non dicible. Ludwig Wittgenstein le dit : « Il y a assurément de l’inexprimable. Celui-ci se montre, il est l’élément mystique », et par conséquent : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». A rebours de ce miroir aux alouettes (le même que celui de Lacan), il s’agit de s’identifier à soi-même. Siri Hustvedt, au terme de sa quête, admet que la femme qui tremble fait partie d’elle. Grandir est peut-être comprendre cela, adopter une autre perspective : « Je souffre moins parce que perception de la douleur et la signification que j’y attache ont changé » (p.202). Il n’est pas question d’accéder à un moi tout puissant qui avance sans doute dans l’existence. En conclusion, il faudrait citer D.W. Winnicott que reprend Siri Hustvedt : « Se réfugier dans la normalité, ce n’est pas la santé (…). A un moment ou à un autre, il nous arrive à tous de tomber en morceaux et ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose » (p.96). C’est exactement la raison pour laquelle, aucun spécialiste de biologie ou psychologie, aucune mystique ne peut lui révéler qui est la femme qui tremble, personne ne détient la réalité de son identité, mieux qu’elle et même si bien sûr elle ne sait pas encore : « Il me semble que parfois retourner en arrière signifie aller de l’avant. La quête de la femme qui tremble me fait tourner en rond, car, tout compte fait, c’est aussi une quête de perspectives pouvant éclairer qui et ce qu’elle est. » (p.88). La Femme qui tremble, Une histoire de mes nerfs. (The Shaking Woman or A History of My Nerves), de Siri Hustvedt. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christine Le Boeuf, Actes Sud, 22 €