Fixer le prix de la musique, c’est l’enjeu du moment entre tous les acteurs de l’industrie du disque. iTunes a imposé son 0,99 euros le titre. Aujourd’hui, comme dans le métro, on demande au consommateur de donner lui-même son prix. Avec les risques que ça comporte.
On appellera ça la préhistoire. Dans dix ans, on se souviendra que Radiohead et Nine Inch Nails étaient les premières stars à se lancer dans la e-distribution. Que Prince avait lancé le mouvement en s’isolant des circuits des majors. Que des centaines de groupes moins célèbres avaient testé le marché auparavant. Avec les stars dans l’engrenage, le moteur est vraiment enclenché. De plus en plus d’artistes adopteront le principe du « donne ce que tu veux ». Un concept bien connu des amateurs de free-parties, où l’on faisait déjà passer la bannette pour alimenter le soundsystem. Même Barbara Hendricks s’y est mise, c’est dire.
Ce lundi, l’album In Rainbows de Radiohead est entré à la première place des charts UK. Trois mois après la sortie digitale du disque, dont les ventes n’ont évidemment pas été comptabilisées. Thom Yorke a quand même lâché que le groupe avait fait plus de revenus numériques sur ce disque que sur tous les autres albums. Le leader du quatuor d’Oxford expliquait cette pratique comme « une réponse à une situation : on n’a plus de contrat, on a notre propre studio, on a un nouveau serveur : qu’est-ce qu’on allait faire d’autre ?”
Selon les rumeurs, Radiohead aurait écoulé environ 1,2 millions d’exemplaires pour un prix moyen de 4 à 6 euros. Et a passé un accord avec iTunes pour vendre le CD à 7,99, un peu moins que la moyenne du vendeur en ligne. Trent Reznor est moins bien loti. Sur le même principe du don volontaire, le disque de son protégé Saul Williams (produit par le leader de Nine Inch Nails) a été téléchargé par 155 000 personnes. « 28 000 ont payé 5 dollars, soit 18 %. Est-ce une bonne nouvelle de savoir qu’une personne sur cinq pense que ce disque vaut 5 dollars ? Je ne sais pas, c’est un peu décourageant, sachant que ce sont des fans. En même temps, la musique de Saul Wiliams est dans tous les baladeurs »
En tout cas, ce business-model se répand comme le vent. Mike Skinner, membre unique de The Streets, vient de célébrer les funérailles de son label, The Beats. « Je suis arrivé à la conclusion que le modèle de label traditionnel est mort. Maintenant, je cherche quelque chose qui attirera la nouvelle génération. Je vois tout ce qui se passe sur Internet, et je préfèrerais être au centre de tout ça. »
Avant d’être largué. Comme les maisons de disques, qui sentent le danger. Sony, Universal et Cie ont pris du retard au démarrage. A l’époque de Napster déjà, elles avaient pris l’affaire par le mauvais bout, préférant le tribunal au changement (surtout que le boss de Napster était prêt à négocier). Alors que la concentration bat son plein, on se demande ce qui restera des majors dans une décennie. Une Major unique peut-être, bornée, qui continuera à se battre pour chaque centime de chaque téléchargement. Sans comprendre qu’elle ne peut plus fixer unilatéralement le prix de la musique. Sans voir que son système de valeurs a complètement volé en éclats, et depuis longtemps déjà. A un moment, il faudra enlever ses œillères, se mettre autour d’une table et discuter. S’adapter. Autant s’y mettre dès maintenant.