Le poète américain Michael Gizzi vient de disparaître. Poezibao a reçu de Julien Ségura ces traductions d’Auxeméry.
Amérique, on liquide
La clé du courage, c’est la honte.
Kerouac
La plupart savent très tôt
que la fraternité à la Tom Paine n’est pas pour eux
c’est la jungle on s’ignore l’un l’autre
Mais nous
les Braves Joe nous la majorité
les coincés les allumés les hystéros
on voit bien que ça fait foule
Tous ces paumés
mais holà pas de panique réveillez pas les morts moi
je me sirote mon jus de fruit les pieds en éventail
m’en branle de tout ça
et voilà Nous Autres
les Affamés à faire les poubelles pour des clopinettes
on est D’Attaque
crève-la-faim et toujours en maraude
y a plus rien à partager à part l’eau du caniveau
Pas la peine de s’exciter sur les tournedos on n’a
qu’à se refaire à l’ordinaire
Pas de quoi se refiler des beignes
pour s’étouffer vite fait un morceau du gâteau
on est au dessus de ça bagarre et douleur et chagrin
Fait faim sous la paillasse y’a mal de bouche
faut boire et boire à en crever
restau du cœur mon œil du vent à se mettre sous la dent
pas d’astrakan la vie
ça n’a pas de prix
pour les kamikazes pas de taxi pour la vie de château
T’étais donc où Trop-Plein toi
Qui verses le vin A contre-goutte
soupe à l’encan pour
caler des joues creuses
Et voilà tout ce qui me reste de cette
Fric-cassée
délestage au revers de la marée
Quand on crève à petit feu
faut se rappeler le bon vieux temps
dans la dèche dormir à la belle étoile
sacré film noir — c’est le pied sous la pluie
au Franklin Club t’as pas de liquide et va te faire voir
alors le cœur parlons-en du béton
d’un côté les finauds qui s’en tirent
et de l’autre les malins qui rigolent
Allez vous en faites pas
ils ont des bons tuyaux
pour sûr qu’ils en ont
se ramassent pas eux
en ces Temps de Gros Temps
A quoi ça sert de vouloir se planquer
y a du vent dans les voiles tout partout
Chantez-nous la chanson des plaies ouvertes
Chantez-nous la chanson des Bouffis Pleins de Soupe
*
SECONDE ÉLÉGIE EXTRÊME
Oisel menu a vaste cuer
anecdote : l’aigle —
son œil narratif, accoutumé
et moi je sais des hommes, dans ce pays, des maisons
d’hommes enfin
mieux vaudrait dire truands
que citoyens
respirer, respirer ! plénitude
pour peu que n’importe quel citoyen lambda passe
du rien à l’être
petit à petit sédiments du marais deviennent
forment prairie
pâture aux marches du pays profond avec
clair de lune sur fond de viole et ombres enchi
noisées hautes fûtaies
ciel de lit
sens
enfin érigé
de sorte que
cette nation de forêts
en ces temps de chien fasse pièce aux vents
qui attisent cette terrible
faim qui court
sur ses rails
*
SONNET
à Rosemarie
Le mieux est de tout entendre en même temps
nourriture de l’instant provende
être musicien de l’impulsion qui soudain
sort jaillit hors du filon (l’autre-soi)
Deux ou trois fautes de touche et puis
quelque chose comme une mesure ancienne
on écoute les petits ressauts d’intensité
et alors notes de venir en foule une à une
nuit vagues de sons qui s’enroulent
blanche barricade sans lumière
et j’ai dit dans un souffle tout en moi
là gisait la sève des fourrés
là derrière au fond de ma caboche
après quoi moi le jobard j’ai su
Michael Gizzi, Vers d’Aigrefin, traduit de l’américain par Auxeméry, Les Cahiers de Royaumont, 1991, p. 23-24, 31, 33.
par Julien Segura
bio-bibliographie de Michael Gizzi
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