Notation & ministres

Publié le 08 janvier 2008 par Jb
Que faut-il penser de la possibilité de noter les ministres ? Comme toujours, je ne prétends pas ici trancher ce débat, dans la mesure où les plus grands "analystes" et autres "commentateurs" sont déjà sur le coup. Je me contenterai de quelques remarques.
1/ Certains nous disent que noter les ministres est infantilisant, qu’ "on n’est plus à l’école". Pourquoi pas, mais savent-ils que tous les fonctionnaires de France et de Navarre font l’objet d’une notation ? Et cela depuis des décennies ? Cela ne touche pas que les enseignants (qui ont l’habitude des notes et qui sont eux, de fait, toujours à l’école) mais tous les corps de la fonction publique. Un ministre n’est-il pas lui aussi au service de l’Etat ? Par conséquent, si le principe d’être noté est admis pour un inspecteur des finances, pour un instituteur, pour un conservateur, etc. pourquoi pas pour un ministre ? Sauf à penser qu’un ministre est plus responsable et moins infantile qu’un fonctionnaire "lambda".
Soit dit en passant, puisqu’on parle de notation, peut-être tout le monde ne sait-il pas que dans la fonction publique, celle-ci a été récemment revue dans plusieurs administrations, et qu’elle n’est pas sans susciter, à l’occasion, quelques controverses.
Ainsi, pendant longtemps, chaque fonctionnaire a été noté de façon relativement uniforme : une note sur 20. En début de carrière, une note forcément au moins équivalente à 16 ou 17 ; au fur et à mesure des années, une augmentation de quelques dixièmes pour atteindre relativement rapidement la note de 20/20 puis ensuite, fatalement, plafonner jusqu’à la retraite.
On voit bien la relative absurdité de ce système : la logique du cumul d’abord (impossible de régresser, la pire sanction serait de stagner pendant quelques temps), la logique de l’indistinction ensuite (chacun étant très vite à 20, comment réellement promouvoir le mérite individuel ?).
Pour tâcher de casser cette logique, certaines administrations (encore une fois pas toutes, par exemple les enseignants ne sont pas concernés par cette mesure) ont été soumises à un nouveau type de notation depuis peu. Désormais la note des agents concernés va de +5 (note maximale) à -5 (note minimale). A chaque nouvelle campagne de notation, hop l’ardoise s’efface et on repart à zéro. Ainsi, celui qui a obtenu l’année X la note maximale de +5 n’est pas du tout assuré d’obtenir la même note l’année Y. On sort donc de la logique cumulatoire et plafonnatoire (youpi les barbarismes ;-) pour être dans une logique de mesure de la performance et de l’(éventuel) écart, qu’il soit positif ou négatif.
Mais comment noter ? Afin de sortir du côté "à la tête" que certains reprochaient précédemment, l’administration a établi un certain nombre de critères plus ou moins objectifs qui sont censés aider le chef de service à établir un barème et une notation plus justes et transparents. Des critères ni plus ni moins absurdes que ceux dont on a entendu parler au sujet de la notation des ministres (car il faut bien en trouver des critères !).
Plus subtil encore, la campagne de notation est désormais bisannuelle : elle n’est plus que la conséquence d’une campagne dite d’évaluation l’année précédente. De quoi s’agit-il ? De dresser le profil de poste de chaque agent, d’avoir avec lui un entretien professionnel, de faire le bilan de l’année écoulée, de lui fixer des objectifs de service pour l’année à venir. Cela étant fait, hop l’année suivante a lieu la campagne de notation : le chef de service reprend ce qui avait été dit lors de l’entretien d’évaluation, vérifie que les objectifs ont été atteints (et sinon pourquoi) et, en fonction de cela, attribue une note à l’agent (de +5 à -5 donc, pour ceux qui suivent encore). Cette note peut conditionner l’attribution de primes spécifiques (au demeurant de faible ampleur).
Actuellement, la campagne de notation est sujette à débat. Il n’est pas exclu que la partie "notation" disparaisse purement et simplement, ne resterait plus alors que la partie "évaluation". Mais il n’est pas exclu non plus que la notation perdure, personne à ce jour n’en sait rien (enfin en tous cas pour ce qui concerne les niveaux intermédiaires, peut-être que ceux qui hantent les cabinets ministériels sont déjà au parfum).
Je réitère donc ma remarque : si les fonctionnaires continuent d’être notés, pourquoi s’offusquer que les ministres le soient également ? Il peut même paraître étonnant que jusqu’ici, l’action ministérielle ait été soumise à un tel flou artistique : on a "l’impression" qu’un ministre est bon ou mauvais, mais sur quoi cela se fonde-t-il, mis à part le fait qu’il est plus ou moins médiatique ? Tout ministre ayant été limogé par le bon vouloir présidentiel le méritait-il toujours ?
2/ Certains nous disent que noter les ministres est superfétatoire, notamment depuis la LOLF et les notions de mission, programme et action. C’est ainsi la LOLF qui est censée déterminer, chaque année, si les objectifs fixés ont été atteints, et avec quels moyens, ce qui devrait ensuite dispenser de notation.
Oui, mais la LOLF permet d’évaluer des services entiers, pas des agents nominativement. Peut-on donc réellement opérer ce glissement ? Si oui, quid de la notion de « mérite » par définition individuelle ? Comment, dès lors, hiérarchiser les agents entre eux ?
Et puis le problème reste de toute façon entier. La LOLF étant déjà pleinement appliquée dans l’ensemble de la fonction publique, on en revient toujours au même raisonnement : pourquoi continuer à noter les fonctionnaires si cela ne sert à rien ? C’est une procédure éminemment chronophage !
Bref, je ne vois pas bien au nom de quoi un ministre aurait à échapper à la notation si tous les fonctionnaires continuent d’y être soumis. Il y a peut-être de très bons arguments, mais ils m’échappent. Le sens commun devrait même trouver anormal que cette procédure n’ait pas été proposée beaucoup plus tôt.
Il est d’ailleurs étonnant de voir que ce sont parfois des personnalités plutôt critiques vis-à-vis des dérives institutionnelles, plutôt soucieux de la bonne gestion de l’Etat et de la responsabilisation des députés et des ministres, qui se montrent assez négatifs vis-à-vis de cette mesure (par exemple Olivier Duhamel le 7 janvier 2008 à 8h30 sur France Culture, ou bien François Bayrou).
Mesure qui, je l’accorde bien volontiers, est complètement anecdotique et ne va malheureusement pas révolutionner notre pays. Mais avec de tels raisonnements, nous ne ferions plus grand-chose…
En conclusion, le seul argument potentiel qui me paraît peut-être pertinent contre la notation des ministres, c’est la médiatisation et l’instrumentalisation de ces notes. Mais ne vit-on pas dans une société où tout fait et geste de n’importe quel ministre est déjà archi-commenté ? Une note va-t-elle réellement empirer les choses ?