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La Grande Régression-Jacques Généreux. Éditions du Seuil, 277 pages, 18 €,
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« Durant les vingt premières années de ma vie, j’ai grandi dans un monde où le destin des enfants semblait naturellement devoir être plus heureux que celui de leurs parents; au cours des trente suivantes, j’ai vu mourir la promesse d’un monde meilleur. En une génération, la quasi-certitude d’un progrès s’est peu à peu effacée devant l’évidence d’une régression sociale, écologique, morale et politique, la « Grande Régression » qu’il est temps de nommer et de se représenter pour pouvoir la combattre. » Ainsi commence le troisième opus de la refondation anthropologique du discours politique et économique initiée par l’auteur dans La Dissociété (2006) et dans Le Socialisme néomoderne (2009). Il ne s’agit donc pas d’un énième livre sur la « crise », mais de la poursuite d’un travail ambitieux qui éclaire notre histoire à la lumière de ce que nous enseignent aujourd’hui les sciences de la nature, de l’homme et de la société.
Dans la lignée d’un Fourastié (les « Trente Glorieuses ») ou d’un Polanyi (la « Grande Transformation »), l’auteur caractérise, sous le nom de « Grande Régression », un moment charnière de l’histoire moderne, qui s’étend des années 1980 à nos jours. Moment où, à rebours de ce qu’avaient jusqu’alors entrepris toutes les sociétés (primitives, traditionnelles ou modernes), on a commencé d’abolir les limites territoriales, politiques et morales qui contenaient le mobile de l’intérêt personnel et le pouvoir de l’argent. Cette bifurcation de la civilisation commence avec la victoire des néolibéraux qui livrent le monde à la libre compétition des intérêts et au pouvoir exorbitant des gestionnaires de capitaux. Elle se poursuit par un vaste mouvement réactionnaire qui répond au désordre économique, social et moral engendré par le néolibéralisme.
La mondialisation du « modèle » néolibéral était censée diffuser partout les acquis de la modernité occidentale ; en réalité elle déconstruit ces acquis dans le monde occidental lui-même. La promesse du progrès s’évanouit dans l’autodestruction du système économique et le saccage des écosystèmes ; la cohésion sociale se dissout dans le culte du chacun pour soi, le communautarisme, l’incivilité, la ghettoïsation ; l’État de droit s’efface devant l’État privatisé au service d’intérêts particuliers ; la démocratie recule au profit d’un softfascism mêlant des politiques sécuritaires liberticides, le mépris du suffrage populaire, la manipulation de l’opinion, le gouvernement par la peur, etc.; pour finir, l’obscurantisme, l’addiction aux marchandises ou encore la soumission des travailleurs progressent plus sûrement que l’autonomie des individus.
L'auteur ne se contente pas d’analyser ces multiples facettes d’une crise de civilisation. Il montre comment elles font système et comment le moment « Grande Régression » s’inscrit dans la dynamique de construction des sociétés humaines depuis les premières cités antiques. Ce moment apparaît comme l’ultime phase d’une modernité qui a exploré successivement toutes les impasses d’un projet d’émancipation fondée sur une conception erronée de l’humanité, de la liberté et de la société. On peut aisément tracer les contours de l’alternative : une société du progrès humain refondée sur une anthropologie plus juste. Après la Grande Régression, pourrait donc advenir une « Nouvelle Renaissance ». La seule question est de savoir si, pour cela, il nous faudra d’abord aller au bout de la régression, jusqu’à l’effondrement, ou si des forces politiques authentiquement progressistes pourront opérer à temps la bifurcation démocratique qui nous sortira de la « dissociété de marché » pour renouer avec le progrès humain.