Quand on parle du passé des entreprises Adidas et Puma, on ne fait souvent mention que de Adi et Rudolph. Malgré tout, Horst Dassler, le fils d’Adi, et donc neveu de Rudolph, est certainement le personnage le plus important de la famille. Voici l’histoire d’un homme ayant mis la main dans l’engrenage du pouvoir, et étant à la base du sport business comme il l’est à l’heure actuelle.
1. Un homme d’affaires affuté
Chaussures gratuites pour les athlètes
Horst n’a que 20 ans lorsque son père le charge de sa première grande mission pour l’entreprise Adidas. En 1956, les Jeux Olympiques ont lieu à Melbourne. Adi appelle son fils à Londres, étudiant dans la capitale anglaise pour parfaire son anglais. Il ordonne à Horst de partir à Melbourne pour promouvoir la marque lors des premiers JO avec une importante couverture médiatique. Les premiers problèmes arrivent bien vite, les chaussures prévues pour les athlètes restant bloquées à la douane. Mais déjà à cet âge là, Horst fera preuve de sang froid, en demandant aux sportifs américains d’écrire eux même à la douane en indiquant qu’ils avaient besoin de ces chaussures. Il en profitera aussi pour essayer de bloquer la livraison de Puma… En livrant les chaussures gratuitement aux athlètes sous contrat avec Adidas, il se liera d’amitié avec beaucoup d’entre eux, qui possédaient une place décisive dans différentes fédérations. Les Jeux de Mexico tiraient à leur fin lorsque l’Allemand Armin Harry gagna le 100 mètres chaussé d’Adidas alors qu’il était sous contrat avec Puma. Lui qui souhaitait faire profit de la rivalité entre les 2 entreprises, se trouva bien déçu qu’à l’inverse de ses attentes, aucune des 2 entreprises ne lui donna l’argent qu’il espérait.
« Horst, tu es en train de déranger ma vie sexuelle! »
En Allemagne, la capacité de l’usine commençait de plus en plus à diminuer, si bien qu’Adi décida d’ouvrir une usine en France, plus précisément à Landersheim en Alsace, là où la demande commençait à se faire importante. Adidas France venait d’être créée avec Horst à sa tête. Il se révèlera vite comme un véritable drogué du travail, ne dormant que 5 heures par nuit maximum et ne cherchant qu’à optimiser les performances de son entreprise. Ses employés devaient à tout moment attendre un coup de téléphone de sa part, si bien qu’une fois, c’est la femme d’un de ces derniers qui a répondu à Horst en lui disant qu’il était en train de déranger sa vie sexuelle! Adidas France réussit à enrôler dans son équipe de vendeurs le jeune retraité du football, Just Fontaine. Son travail consistait à démarcher les détaillants pour qu’ils achètent les chaussures de l’entreprise. Il se confronta très souvent à des refus, car l’entreprise Hungaria, également fabricant de chaussures de football, fabriquait aussi des ballons. La condition pour les détaillants était d’acheter les chaussures avec les ballons, l’un n’allant pas sans l’autre. Just Fontaine s’est donc entretenu avec Horst pour lui dire qu’il était désormais indispensable pour Adidas de fabriquer également des ballons, ce qu’il accepta.
JO de Mexico 1968: Adidas gèle Puma au port!
A cette époque, les athlètes commençaient à comprendre comment ils pouvaient tirer profit de cette rivalité en négociant leurs contrats. Certains n’éprouvaient aucun scrupule à signer chez les 2, les clauses étant moins strictes que maintenant. Il est à noter qu’à Mexico, la signature du contrat chez Adidas était suivie d’un don de 500$ cash. Armin avait engagé à ses cotés Art Simburg, un journaliste sportif ayant étudié à San José. Les employés d’Adidas eurent l’habitude de lui mener la vie dure en annulant ses réservations d’hôtel et de voiture lors de ses déplacements pour assister aux compétitions d’athlétisme aux États-Unis. Avant les jeux, il se lia malgré tout avec une grande partie des athlètes américains après s’être fiancé avec Wyomia Tyus, une sprinteuse noire-américaine. Mais Horst préparait depuis 3 ans un plan pour contrer Puma. Alors que les chaussures Adidas étaient arrivées depuis longtemps au Mexique, l’arrivée du container Puma était prévu pour quelques jours avant le début des Jeux Olympiques. Horst avait pris soin depuis quelques années de se lier d’amitié avec des responsables olympiques mexicains. Il avait réussi à obtenir la fourniture exclusive de chaussures dans le village olympique, et les chaussures étaient libres de droits de douanes, alors que Puma devait payer 10$ par paire selon la demande de Horst! Comme le prévoyait ce dernier, son cousin Armin avait préparé sa vengeance, en faisant des chaussures semblables aux Adidas, et les envoya sous le nom d’Adidas comme marchandises urgentes. Mais c’était mal connaitre Horst qui avait bien informé le personnel d’Air France d’un possible coup de ce genre. Une fois le container arrivé, il fut bloqué par la douane pour falsification de documents douaniers, et Armin fut prié par la douane de quitter le pays immédiatement, les fonctionnaires douaniers n’ayant pas hésité à venir l’arrêter en pleine nuit. La parade pour Puma fut la suivante: Avec l’aide d’un complice, ils réussirent à débloquer 50 paires de chaussures contre quelques milliers de dollars malgré tout. Ensuite, des athlètes anglais revenaient par intermittence à la douane avec un carton vide dans les mains, disant que les chaussures ne convenaient pas et devaient être changées. Ils laissaient donc les cartons vides, et reprenaient des cartons avec des chaussures à l’intérieur. Une centaine de chaussures purent être récupérées de la sorte, en ayant eu la chance qu’aucun fonctionnaire ne regarde dans les cartons.
2. Adidas contre… Adidas!
Chez Puma, l’ambiance n’était pas réellement au beau fixe. A la même époque de l’expansion d’Adidas en France, Rudolph décida d’ouvrir une usine en Autriche, avec son fils ainé Armin à sa tête. Mais la manière autoritaire de Rudolph provoqua des tensions dans la famille, si bien que Rudolph refusa d’aller au remariage d’Armin en Autriche.
Développement dans la basket et le tennis
La situation chez Adidas n’était pas beaucoup plus brillante. Horst commençait à prendre gout au pouvoir. C’est ainsi qu’il décida de monter à Landersheim une entreprise parallèle avec ses services marketing, export et développement afin que les grossistes achètent directement chez Adidas France, et non plus en Allemagne. Son objectif fut atteint très rapidement avec tout le secteur francophone et l’Espagne. Adidas France développa des produits qu’Adidas n’avait pas dans sa gamme, notamment les chaussures de basket. Aux Etats-Unis, Converse était la marque dominante, alors qu’Adidas arrivait avec la « Superstar », une chaussure faite de matériaux différents et coûtant le double par rapport aux Converse. Mais très vite, cette chaussure eu un succès énorme grâce à sa qualité. En moins de 10 ans, les 3/4 des joueurs de basket américains portaient des Adidas. Le chiffre d’affaires des chaussures de basket représentait 10% du chiffre d’affaires complet d’Adidas, mais dont seul Adidas France profita. Ce fut le même cas avec l’expansion de la gamme de produits avec des chaussures de Tennis. La « Robert Haillet » fut le premier modèle de la gamme, la meilleure chaussure sur le marché selon les experts de l’époque, mais n’ayant pas un succès énorme.
Une chaussure de légende: la "Nastase"
Le succès vint avec Stan Smith, et la chaussure portant son nom. Afin de faire la meilleure publicité possible, Horst souhaitait un joueur avec un certain caractère, dont on parlait dans la presse même si il ne gagnait pas. Il devint ainsi un grand ami d’Ilie Nastase, grâce auquel la « Nastase » devint un phénomène de mode, les gens les portant dans la rue avec un jean et un t-shirt, et s’étant vendu à 20 millions de paires. Pendant ce temps là à Herzogenaurach, Adi se retrouvait dans une position délicate avec Horst jouant pour lui, et de l’autre coté son manager, sa femme et ses filles, lui demandant d’être plus autoritaire envers Horst.
Des soutiens-gorges Adidas?
La première grosse intervention d’Adi contre son fils vint lors d’un entretient, Horst lui faisant part de son souhait de produire des maillots de bain. Énervé, Adi se leva en lui disant « Horst, tu as jusqu’à maintenant très bien travaillé, mais des maillots de bain, jamais! » Amusés de cette idée, les managers allemands demandèrent aux Français si ils n’avaient pas bientôt l’intention de faire des soutiens-gorges et des pyjamas griffés Adidas. Horst ne se laissa pas impressionner et décida de vendre ces produits sous un autre nom. C’est ainsi que Horst Dassler créa la marque Arena, n’étant rien d’autre que la série de produits de natation d’Adidas France. C’est à cette époque que Horst se trouva dans une situation financière difficile. Il demanda ainsi même au directeur des ventes d’Adidas pour la côte Ouest de l’Amérique de lui emprunter 1 million de dollars pour « utilisation personnelle ». Son but était de pouvoir financer au mieux le développement d’Arena, une bouée de sauvetage pour lui, énervé de sa famille en Allemagne, et qui pensait certainement à quitter Adidas un jour ou l’autre. Il avait ainsi comme projet pour Arena de ne pas se limiter aux produits pour la natation, mais de faire d’Arena un véritable concurrent potentiel d’Adidas. Cependant, ce projet d’extention fut vite abandonné.
Arena: Marque créée par Horst Dassler
Chez Puma les choses ne s’amélioraient pas. La filiale française dirigée par Gerd Dassler était au bord de la faillite, les banques françaises demandant même son renvoie. Rudolph devenait de plus en plus exigeant avec les membres de son entreprise, et en particulier ses enfants. En septembre 1974, Rudolph appris qu’il était atteint d’un cancer des poumons. Il décéda seulement un mois plus tard. Pour l’enterrement de Rudolph, la fille cadette d’Adi, Inge, fut envoyé comme représentante d’Adidas. Adi ne souhaita pas aller à l’enterrement, bien que dans le secret le plus total, Adi et Rudolph se revoyaient parfois dans un hôtel à Nuremberg. Selon les statuts de l’entreprise, Armin devait obtenir 60% des actions et Gerd les autres 40%. Mais Rudolph avait modifié son testament peu de temps avant sa mort, Gerd devait tout récupérer, et Armin aurait dû être déshérité. Après quelques mois de visites chez différents avocats, il apparu que les statuts de la société ne furent pas changés, et qu’ils avaient priorité sur le testament. Armin hérita bien des 60% de Puma, et Gerd des 40%. Le chiffre d’affaires fut multiplié par 5 durant les 10 années suivantes, Armin pouvant enfin diriger la société comme il le voulait, sans la pression de son père. 4 ans plus tard, ce fut au tour d’Adi de mourir. Selon son souhait, seuls ses enfants et petits enfants assistèrent à son enterrement.
3. L’homme d’influence
La naissance du marketing à grande échelle
Patrick Nally, ancien journaliste sportif anglais reconverti dans la publicité a comme projet de « faire du sport une langue mondiale ». Lui qui a convaincu Gillette et Benson & Hedges d’investir dans le criquet et le snooker a désormais un très grand projet pour lequel Horst Dassler est la personne incontournable. En 20 ans de carrière bien remplie, ses relations dans le domaine sportif professionnel sont très nombreuses et occupent des postes stratégiques. Leur plan était clair: pousser les grosses multinationales à investir des sommes colossales dans le football, et convaincre la FIFA d’autoriser ces manœuvres. Petit problème: en cette année 1974, les élections pour la présidence de la FIFA avaient lieu en juin. Contre le britannique Stanley Rous en poste depuis 1961, le brésilien Joao Havelange se présentait de façon convaincante en faisant campagne pour donner plus de pouvoirs aux instances africaines. Afin de miser sur le bon cheval, Horst demanda à 2 assistants de s’occuper des 2 candidats. Un pour Rous, l’autre pour Havelange et les délégations africaines, toutes derrière le Brésilien. Malgré tout, la veille de l’élection, il demanda à son acolyte Blagoje Vinidic, ancien sélectionneur yougoslave du Maroc et du Zaïre, d’aller rendre visite à Havelange dans sa chambre d’hôtel en lui disant qu’il soutenait jusqu’alors Rous, mais qu’il s’était ravisé pour le soutenir désormais. Le Brésilien fut élu 68 voies contre 52. Il fallu très peu de temps pour que Nally et Dassler fondent SMPI pour organiser et financer leur projet, en récoltant des fonds de leurs futurs partenaires. La société était basée à Monte Carlo, ses capitaux venaient de Suisse où l’argent était dispatché entre Monaco, les Pays-Bas et les Antilles. En 1977, Coca-Cola rentre dans la partie pour devenir un des sponsors officiels de la Coupe du Monde 1978 en Argentine, et en tout 71 millions de dollars furent engrangés par SMPI pour l’évènement, de la part de différentes grosses entreprises.
Le Coq Sportif « aux boches »
Afin de développer au mieux son projet, Horst avait besoin d’une base financière solide qu’il trouva en rachetant Le Coq Sportif. Il travaillait déjà avec la firme troyenne qui s’occupait de confectionner les produits textiles d’Adidas France. Le premier problème dans les relations des 2 entreprises vint lorsque Le Coq Sportif utilisait les trois bandes pour ses propres produits. Le tribunal de Strasbourg leur donna raison, au vue de l’accord entre les 2 entreprises, Le Coq Sportif était devenu propriétaire de ce signe de reconnaissance propre à Adidas sur les produits textiles. Les relations entre Horst et la famille Camuset, propriétaire de la marque troyenne s’envenimèrent, si bien que Horst réussi à plonger Le Coq Sportif dans des difficultés financières importantes, notamment en brisant l’accord entre l’entreprise et la FFF portant sur la fourniture des maillots de l’équipe de France de football. Au bord de la liquidation, la famille Camuset refusait de vendre la société « aux boches ». Le gouvernement français décida alors d’intervenir en plaçant à sa tête André Guelfi, connu sous le pseudonyme de « Dédé la sardine ». Cet ancien banquier avait commencé par faire fortune en récupérant des créances et des dettes oubliées en empochant 15 % de commission au passage et devient ainsi mieux payé que son directeur. André Guelfi investit ensuite sa fortune dans le développement de la pêche à la sardine et met au point les premiers bateaux-usines, d’où son surnom de « Dédé la Sardine ». Il fut plus tard considéré par un juge de « pique assiette des affaires », « vieux truand » et « falsificateur en gros ». Il obtint ainsi 51% des actions du Coq Sportif, et Horst 49%, mais dans le plus grand secret, Guelfi donna 2% en plus à Horst, faisant de lui l’actionnaire majoritaire de la société, avec en plus une option pour prendre les 49% restant de Guelfi dans le futur. C’est alors que Horst Dassler fit prospérer la marque en sponsorisant entre autres, grâce à ses contacts, l’équipe nationale de football d’Argentine, ainsi que Arthur Ashe et Yannick Noah.
L’arrivée de Blatter
Juste avant les JO de Moscou en 1980 eurent lieu des élections pour élire le nouveau président du CIO. Après la FIFA, Horst souhaitait placer Adidas dans l’organisation, mais en misant dès le départ sur le bon candidat. Conscient des relations dont il pouvait bénéficier avec l’Allemand, Juan Antonio Samaranch invita l’homme d’affaires chez lui avec visite du Camp Nou et ballades en bateau. Tous les deux savaient qu’ensemble, ils pourraient dominer le monde des affaires sportives. Samaranch fut élu sans encombre, et Horst Dassler savourait son emprise dans le milieu du sport. Patrick Nally déclara que « celui qui était abandonné par Horst ne pourrait quasiment plus jamais revenir dans le milieu du sport… Ou alors il allait chez Puma! » Ce fut le cas de Helmut Käser, ancien secrétaire de la FIFA voulant prendre des décisions marketing sans avoir consulté Horst. Avec Guelfi, il allait écarter Käser de la FIFA, et nommer un ancien collègue chez Longines de leur ami Tommy Keller, et à l’époque président de la Fédération Internationale d’aviron, un certain Joseph S. Blatter. Dans le même temps, Patrick Nally fut accusé de se servir des finances de SMPI pour ses propres besoins. Fou furieux, Horst débarqua l’Anglais de l’affaire et pris à ses cotés le Japonais Omigaki, président de l’agence publicitaire japonaise Dentsu. Les 2 allaient monter ISL en remplacement de SMPI. Très vite, la société allait trouver de nouvelles entreprises prêtes à investir des sommes colossales pour la Coupe du Monde de Football. La société pouvait à présent compter entre autres parmi des multinationales comme Coca-Cola, McDonald’s, Canon, Philips, Sanyo, Mastercard, Fuji, Seiko, JVC, Camel etc…
A partir de 1982, les sponsors ne pouvaient plus passer inaperçu
En 1982, Käthe Dassler souhaitait malgré tout que Horst revienne en Allemagne et prenne la direction de la maison mère d’Adidas. Lui qui venait de devenir le seul actionnaire du Coq Sportif après avoir renvoyé André Guelfi pour détournements de fonds, était le seul à pouvoir faire développer à nouveau la marque aux trois bandes. Victime de problèmes de santé, Käthe souhaita au plus vite régler ce problème, et comme soulagé de savoir l’entreprise entre de bonnes mains, elle mourut le 31 décembre 1984, 12 jours après l’entrée officielle en fonction de Horst à Herzogenaurach. Désormais, Adidas avait le contrôle du Coq Sportif, Arena, Erima et Pony. Contre toute attente, le retour de Horst s’avéra inefficace, et plusieurs usines durent fermer en France suite à de mauvaises décisions marketing (voir partie 5/5), et à l’arrivée de Nike, capable de 40% de bénéfices grâce à ses usines en Asie contre 25% pour Adidas. Horst dû se rendre à l’évidence, et délocaliser ses usines en Europe de l’Est et en Asie. La confiance tomba à son égard dans le clan Dassler, son beau frère ayant même pris rendez vous dans le plus grand secret avec un conseiller financier indépendant. Mais le plus grand secret fut celui de Horst, qui dû être opéré d’un abcès cancéreux à un œil juste avant la Coupe du Monde au Mexique en 1986, même si son état de fatigue, son œil pleurant et ses manques de confiance et de fougue légendaires commençaient à le trahir. Des tensions allaient apparaitre dans ses entourages familial et professionnel, Sepp Blatter ayant en plus été surpris à jouer au tennis en survêtement Puma. Il se battit et resta à son poste jusqu’à la fin faisant signer un contrat de sponsoring à Steffi Graf au mois de février. Il mourut le 9 avril 1987, au plus grand choc des employés attristés de cette annonce, ne sachant rien de sa maladie.