La visite officielle en France du Président chinois, Hu Jintao, mérite un commentaire critique, en tentant de regarder au-delŕ de la mise en scčne de l’événement, au-delŕ de la lumičre des limousines et des gyrophares, toutes sirčnes hurlantes. Ce fut une nouvelle illustration d’un violent choc des cultures, étant entendu que Ťtousť les sujets ont été abordés, ŕ en croire le discours du Président français. Tous, ŕ n’en pas douter, sauf ceux qui fâchent ou sont susceptibles de gęner la diplomatie du commerce.
Seize milliards de contrats signés, nous a-t-on dit, mais sans les mettre en perspective et, surtout, sans souligner que de grandes commandes industrielles exigent de nombreux mois de discussions, de négociations. En clair, heureux bénéficiaires et officiels chinois se sont contentés de signer quelques documents mis au point de longue date, face aux photographes.
Le Président Jintao et ses conseillers ne se sont pas isolés une heure ou deux dans une salle de réunion en compagnie de Thomas Enders, président d’Airbus, et John Leahy, directeur commercial de l’avionneur. Non, ils n’ont pas feuilleté ensemble une traduction chinoise d’un catalogue tout en quadrichromie en vue de remplir un bon de commande. Et l’acheteur officiel, China Aviation Supplies Holding Co., s’est finalement contenté de 66 appareils, et non pas 102 comme cela a été dit un peu rapidement. Reste que le bon de commande mentionne dix A350XWB, un choix en principe prometteur, mais toujours pas d’A380. Par ailleurs, une fois de plus, l’accord a été présenté comme un succčs industriel bien français, en oubliant de rappeler que la gamme Airbus est européenne de bout en bout, jusqu’au dernier boulon.
Commentaire toulousain : Ťnous sommes impatients de poursuivre cette coopération au cours de nombreuses années ŕ venirť. Forcément, il ne pouvait pas en aller autrement puisque telle est la loi du genre. En revanche, on est désormais en droit de se demander comment, dans quelques années ŕ peine, A320 européen et C919 chinois, arriveront ŕ cohabiter pacifiquement.
Si la famille C919, trois modčles de court/moyen-courriers d’une capacité de 150 ŕ 200 places est techniquement réussie, on voit mal Pékin continuer ŕ passer réguličrement commande d’A320. Et le fait qu’une chaîne d’assemblage final d’A320 fonctionne en Chine (bientôt quatre exemplaires par mois) ne permettra sans doute pas d’inverser le sens des événements. Mieux, trčs occidentalisé (moteurs franco-américains de CFMI, systčmes de bord vitaux), le C919 cherchera logiquement ŕ prend pied sur le marché mondial avant la fin de la décennie.
Dans le męme esprit, le loueur chinois BOC Aviation, filiale de la Bank of China, vient de commander une trentaine d’A320, décision au demeurant passée inaperçue. Mais BOC poursuivra-t-il dans cette voie quand le C919 sera disponible ?
Entendons-nous bien : chacun est parfaitement dans son rôle, sauf l’entourage du Président de la République française qui s’attribue un rôle bien plus clinquant qu’en réalité. John Leahy ne va pas chercher ses instructions ŕ l’Elysée et il n’a besoin de personne pour obtenir de nouvelles commandes.
Mieux valait le dire : une fois de plus, nous avons assisté ŕ un bel exercice de surmédiatisation, qui plus est présenté ici et lŕ en termes simplistes. Reste ŕ savoir qui est responsable de cette dérive : l’Elysée ou des médias trop crédules ? Poser la question, c’est y répondre.
Pierre Sparaco - AeroMorning