Le compte n’est pas bon mais les jeux sont faits

Publié le 08 novembre 2010 par H16

Pendant que ça se dispute méchamment au sommet de l’État au point de menacer franchement l’esprit câlin de la République du Bisou Gentil, la proposition de budget gouvernemental pour l’année 2011 poursuit son chemin en passant devant la Commission des Finances du Sénat, dans une discrétion qui, par contraste avec les chamailleries villepinesques, laisse songeur quant aux priorités que les médias attribuent aux événements en cours…

Et à la lecture du projet de loi des finances, Jean Arthuis, le président de la Commission sénatoriale des Finances, a été obligé d’intensément dodeliner de la tête en murmurant que « non non non, tout ceci n’est pas très très sérieux enfin bon franchement hem ».

Relevant la tête et inspirant un bon coup, sans doute tout remonté à l’intérieur de lui-même d’avoir en face de la truffe un de ces gros micros mous journalistiquement propulsé là, il a même été jusqu’à déclarer, sans honte :

« La rigueur promise n’est pas au rendez-vous.»

Constatation assez juste et qu’on pouvait d’ailleurs faire sans même regarder la proposition de loi en question : en effet, pour ceux qui gouvernent, ou ceux qui sont en haut des pyramides hiérarchiques (syndicats, partis, administrations et entreprises très amies du capitalisme d’état), la rigueur ne semble pas à l’ordre du jour.

Cette constatation posée, et pendant que le grand tout fou s’écharpe avec le petit tout nerveux sur fond des cris de chochottes baroinesques, tentons de comprendre ce que veut dire Arthuis. Pour lui, en effet, le compte n’y est pas : au lieu d’un solide 5% de diminution des dépenses de l’Etat, il constate, les doigts encore gourds de longues nuits à tripoter sa calculette pour bien refaire les calculs, que sapristi, on n’arrive en fait qu’à 1%, et encore, en bavant un peu.

Si l’information d’un tel dérapage budgétaire était parvenue aux oreilles de Baroin, on imagine aisément les stridulations insupportables et pas du tout bisounours qu’il aurait poussées. Et c’est probablement pour cela que le gentil Arthuis, cherchant sans doute à ménager les cœurs sensibles qui nous gouvernent, a sérieusement mâtiné ses premières remarques.

Ainsi, s’il s’étonne de l’absence quasi-totale d’effort ou de rigueur, il convient cependant que, parlant des discours politiques du chef de l’Etat et de la volonté affichée, …

« Nous commençons à devenir lucides,»

A la bonne heure ! Nous continuons à dépenser sans compter, nous allons, en 2011, fabriquer de la dette au même rythme industriel soutenu qu’en 2010, 2009 et 2008, mais nous commençons à devenir lucides. Entendez-le bien : « commençons ». On peut subodorer, d’ores et déjà, un chemin long et sinueux pour passer de l’étape initiale du retour à la lucidité vers l’étape suivante, la lucidité pleine et entière ; en quelque sorte, la camisole chimique qui encotonnait le malade dans un douillet matelas de dettes publiques va se retirer progressivement, prochainement, et, petit-à-petit, l’illusion du magnifique hôtel particulier aux dorures chatoyantes dans un soleil d’été va laisser place à une cabane en planche humide au fond d’un jardin en friches par un mois de novembre pluvieux.

Pour le moment, nous commençons juste à noter une baisse de luminosité.

Au passage, on peut se demander pourquoi il aura fallu que ce soit la Commission des Finances du Sénat qui fasse le calcul et découvre les petites bidouilles. Les bricolages budgétaires étaient pourtant un peu gros :

« La réduction du déficit de l’État s’explique pour l’essentiel par la fin des mesures de relance, du Grand Emprunt et de la réforme de la taxe professionnelle. L’effort proprement dit reste très modeste.»

Et là encore, on admirera la diplomatie du père Arthuis : l’effort est très modeste. Dans le langage courant, il faut comprendre qu’il n’y a pas d’effort du tout, que ça branlouille le guignol à tous les étages et que tout le monde s’en fiche, du budget, de l’équilibre, de la dette et du reste.

Cependant, cette attitude pose un problème. Et Jean n’est pas en reste pour proposer une solution. Une vraie. Avec des poils, de la testostérone, un truc qui cogne :

« (La hausse des impôts) est à mon avis inévitable, compte tenu de notre incapacité à réduire les dépenses. .»

Inévitable.

Ben voyons, elle a bon dos l’incapacité à réduire les dépenses.

L’aplatissement systématique sur les trente dernières années de tous les pouvoirs devant les chouinements pénibles d’enfants gâtés de mai 68 pour se protéger de tout et n’importe quoi aux frais des autres, l’absence totale de la moindre paire de balloches dans tout le gouvernement actuel et tous ceux qui l’ont précédé sur les décennies passées, tout ça est habilement camouflé par Arthuis derrière le petit cache misère de l’incapacité à réduire les dépenses.

Béh non.

Ce qui manque est parfaitement connu : cela s’appelle du courage. Il faut du courage pour dire que oui, les jours où tous les bobos et les accidents de la vie, les ennuis et les pénibilités généreusement pris en charge par la société sont bel et bien terminés. Et ce sera d’autant plus dur que les prises en charges furent généreuses et déficitaires. Ouch.

Ironiquement, le reste du monde regarde la France défiler et s’opposer, vent debout, à toute remise en cause de ses magnifiques systèmes de production de trous, et pendant que ça tergiverse mollement au Sénat et que ça se chamaille puérilement, d’autres pays prennent des mesures autrement plus douloureuses.

On pourra ainsi comparer l’exercice budgétaire français tout en douceur avec celui de la Grande Bretagne, dont le plan de rigueur est un chouilla plus couillu (trop, diront même les Français, rejoignant avec leurs petits hurlements effarouchés les cris maintenant ultrasoniques de Baroin) :

Le chancelier de l’Echiquier, George Osborne, a confirmé l’objectif annoncé en juin pour la réduction des dépenses publiques, alors fixé à quelque 83 milliards de livres (95 milliards d’euros) d’ici à 2015. A cet horizon, la Grande-Bretagne va supprimer 490.000 emplois publics , pour «éviter la faillite» et «s’éloigner du précipice».

95.000.000.000 d’euros de réductions des dépenses, 490.000 emplois publics en moins, on y parle clairement de précipice et de faillite, …

Une question turlupinera alors tout être doué de deux sous de bon sens : si le Royaume-Uni, de taille et de puissance assez comparable à la France, en vient à mettre sur le tapis de telles mesures, alors que, de son côté, la France continue d’organiser des petites joutes rigolotes entre bouffons à l’égo surdimensionné, qui a le plus de chance de limiter la casse, à moyen et long terme ? Lequel des deux pays se met en position de rebondir une fois la crise réellement finie ?

Lequel des deux gouvernements, en réalité, fait preuve de (commencement de) lucidité ?