Gerald O’Driscoll - Le 8 novembre 2010. Les banquiers centraux sont friands de jargon complexe pour exprimer des idées simples, et le Quantitive Easing ou « assouplissement quantitatif » est un bon exemple. Aux USA, cela signifie que la banque centrale, la Federal Reserve, va acheter des bons à long terme du Trésor américain. La Fed a déjà pratiqué une telle politique : de décembre 2008 à mars 2010, elle a acheté 1700 milliards de dollars d'obligations du Trésor et des titres adossés à des hypothèques. Comme l’achat qui vient juste d’être annoncé de 600 milliards de dollars (75 milliards de dollars par mois pendant huit mois) de titres du Trésor constitue un second tour, il est appelé QE2 (Quantitative Easing 2) pour faire court. La Fed espère avec ce « QE2 » réitérer le succès du « QE1 ». Mais il y a de bonnes raisons d'en douter.
L'objectif immédiat de l'achat d'obligations est de faire baisser les taux d'intérêt - ce qui, espère la Fed, stimulera les dépenses, dopera la croissance économique et fera reculer le chômage. En achetant des actifs financiers, la Fed injecte de l'argent dans l'économie. C'est l'équivalent électronique du fait de faire tourner la planche à billets – ce que l’on peut appeler une « relance monétaire. »
En règle générale, la Fed achète et vend seulement des obligations du Trésor à court terme - celles dont la maturité va de quelques jours à quelques mois. Mais les taux d'intérêt sont proches de zéro sur la dette du Trésor à court terme, de sorte que la Fed s’est tournée vers la dette à long terme. Il n'y avait aucune autre solution si elle voulait injecter de l'argent dans le système.
QE1 est arrivé au creux de la grande récession, lorsque la peur avait grippé les marchés financiers. Ces achats ont contribué à stabiliser les marchés. Ils ont non seulement abaissé les rendements de la dette du Trésor, mais aussi contribué à faire baisser les taux d'intérêt élevés sur la dette émise à titre privé, y compris les obligations de sociétés et obligations municipales. Dans le jargon de la banque centrale, la Fed a injecté des liquidités sur les marchés, liquidités dont ceux-ci avaient grand besoin.
La Fed a fait le gros du travail nécessaire lors d’une récession et d’une panique financière : elle a tenté de mettre fin à la récession et a calmé la panique. C'est le travail classique d'une banque centrale.
Mais aujourd’hui le patron de la Fed, Ben Bernanke, s'inquiète de la lenteur de la reprise. Il a été donc tenté d'essayer ce qui a déjà fonctionné - mais il est douteux qu'il obtienne un résultat cette fois-ci, parce que les circonstances ont changé.
Les taux d'intérêt sont déjà faibles et ne peuvent guère descendre davantage. De plus, certains autres pays, notamment en Asie et en Amérique latine, sont en forte croissance et représentent des destinations attrayantes pour les investissements, les taux d'intérêt y sont plus élevés. Si le rendement des investissements des États-Unis baisse encore, davantage d'argent se dirigera vers ces autres endroits du globe. Ainsi, la relance monétaire américaine apportera la prospérité, mais pas nécessairement aux États-Unis.
Les gouvernements étrangers et leurs banques centrales n'accueillent pas toujours bien un afflux rapide d'argent. L'argent est considéré comme « chaud » : ici aujourd'hui, ailleurs demain. Et ces entrées et sorties rapides peuvent perturber les marchés financiers moins développés dans ces pays. Pour cette raison, le Brésil a déjà imposé des contrôles de capitaux afin de ralentir ces flux, et certains pays d'Asie envisagent des mesures similaires.
La politique de la Fed était largement anticipée et a déjà entraîné une baisse la valeur du dollar exprimée en monnaies étrangères (la valeur de change du dollar). De nouvelles baisses du billet vert sont largement anticipées.
Le revers de la médaille d'un dollar moins cher est un euro, une livre sterling, un yen japonais et un yuan chinois plus chers. Cela met les exportateurs de ces pays dans une situation désavantageuse sur les marchés mondiaux comparativement aux entreprises américaines. Cela intensifie dans ces pays les demandes pour le contrôle des capitaux, les barrières commerciales, etc.
La Chine est un important partenaire commercial et un créancier de premier plan. Les États-Unis cherchent également la coopération chinoise sur de nombreuses questions sensibles telles que les ambitions nucléaires de la Corée du Nord. L’assouplissement quantitatif de la Fed complique toutes ces relations.
En bref, avec son dernier cycle d'assouplissement la Fed a mis un coup de pied dans un nid de guêpes au niveau global. Ce qui était destiné à aider les entreprises et les travailleurs américains pourrait causer la réaction négative d'autres pays aux intérêts de l’Oncle Sam - et la Fed ne semble pas avoir pris en compte les réactions internationales à sa décision.
« QE2 » pourrait s’avérer être non pas un stimulant pour l'économie américaine, mais un coûteux échec.
Gerald O’Driscoll est ancien vice-président de la Federal Reserve Bank de Dallas aux États-Unis et analyste au Cato Institute à Washington DC.