Par Bernard Martoïa
Dans son édition du 27 septembre 2010, le New Yorker Magazine fait l’éloge de l’inflation « In Praise of Inflation ». Une inflation de 4% serait une bouffée d’oxygène face à la montagne de dettes accumulées par les ménages et par l’État Fédéral américain.
Depuis la parution de l’édifiant ouvrage de Carmen Reinhart et de Kenneth Rogoff « This Time is different : Eight Centuries of Financial Folly » (1) on sait que, contrairement à ce que laisse entendre le titre (ironique) des deux universitaires américains, il n’y a absolument rien de nouveau sous les cieux de Navarre ou de Californie : tous les États surendettés finissent par répudier, d’une manière ou d’une autre, leur dette. Seul le président de la République française est convaincu que ses initiatives sont sans précédent ! (2)
L’idée d’attiser l’inflation a été lancée, en début d’année, par Olivier Blanchard. Pour le chef économiste du Fonds Monétaire International (F.M.I), il s’agissait d’éviter une rechute de la faible reprise économique dopée aux amphétamines par le bon vieux docteur de la Fed. (2) Mais les progressistes, de tous bords de l’Atlantique, ont immédiatement flairé le bénéfice d’une telle opération pour spolier les fourmis (prêteurs) au profit des cigales (emprunteurs)
L’histoire économique n’est qu’un éternel recommencement. La décennie 2010 sera-t-elle une réplique de celle des années soixante-dix avec la stagflation induite par la guerre du Vietnam ? Tout porte à le croire car la guerre moderne a un coût astronomique. La seule différence, avec celle menée au Vietnam, est la modération des pertes humaines dans les rangs des Yankees. Entre le 7 octobre 2001, qui marque le début de la campagne militaire en Afghanistan sous le séduisant vocable Operation Enduring Freedom, et le 2 novembre 2010 (dernière estimation), la dette des États-Unis est passée de 5.7 à 13.7 trillions de dollars. Le ratio de la dette par rapport au PIB est ainsi passé allégrement de 57% à 93%. Reinhart et Rogoff nous ont appris qu’au-delà du seuil fatidique de 90%, une dette devient irrécouvrable.
La leçon a été vite apprise par les matois dirigeants Chinois qui se délestent des US Treasury Bills. Alors qu’ils en gobaient, naguère, pour un montant de 100 milliards de dollars par an, ils n’en ont acheté que 23 milliards cette année. Parallèlement, ils diversifient leurs placements en matières premières (fer, cuivre, pétrole) Le Barrons’ Magazine avance un chiffre de 55 milliards de dollars pour 2010. (3)
Pour pallier le retrait des Chinois et autres avisés prêteurs à la corbeille de Wall Street, Timothy Geithner, le Secrétaire du Trésor américain, a dû faire appel à son comparse Ben Bernanke qui, lui, n’est jamais à court d’idée. Sa dernière trouvaille est de racheter des US Treasury Bills au rythme de 100 milliards de dollars par mois !
L’homme de l’année 2009 du Time magazine n’a pas trouvé cette idée à bord de son hélicoptère de la Fed qui déverse des tombereaux de billet vert mais au ras des pâquerettes. Dans une étonnante confession au Wall Street Journal (4), l’érudit Ben cite un article de 1967 de William Brainard, un professeur d’économie de Yale : « Quand les décideurs politiques ne sont pas sûrs de l’impact de leurs mesures sur l’économie, il peut être approprié pour eux d’ajuster, pas à pas, leurs décisions que s’ils savaient ce qu’ils faisaient. […] Imaginez que vous jouez sur un terrain de golf et que vous êtes en tête du tournoi au dernier trou. Vous avez de sérieuses chances de gagner si vous parvenez à conclure par un nombre restreint de coups. Toutefois, pour des raisons que je ne vais pas vous expliquer ici, vous jouez avec un putter qui ne vous est pas familier et vous êtes incertain du coup que vous allez porter. Comment devez-vous jouer pour maximiser vos chances de succès ? La meilleure stratégie dans cette situation, c’est d’être prudent en n’essayant pas de parvenir directement au trou. »
C’est cette approche gradualiste qui a été choisie dans le troisième plan de relance portant le nom de code Quantitative Easing Two (QE2). L’enfer est pavé de bonnes intentions…
Les apprentis sorciers qui attisent, de nos jours, l’inflation, n’ont certainement pas lu le transfuge allemand d’origine hongroise Melchior Palyi (1892-1970). Cet économiste enseigna à l’université de Goettigen avant de devenir, en 1928, le chef économiste de la Deusche Bank à Berlin. L’arrivée au pouvoir du chancelier Adolph Hitler, le 30 janvier 1933, le décida à émigrer aux États-Unis. Sage décision…
Dans son livre de souvenirs (6), Melchior résume en quelques lignes drôles l’hyperinflation de 1923 : « Au cours de l’été 1923, l’inflation en Allemagne gagna rapidement son apothéose : la totale répudiation de la monnaie. En tant que professeur, je gagnais un salaire de 10 000 marks en 1922, quelques mois plus tard de 100 000 marks, puis de dix millions de marks en juillet 1923. Le salaire mensuel devint bi-mensuel, puis hebdomadaire, enfin journalier. […] Juste après cinq heures de l’après-midi d’une journée à la fin du mois d’août, je descendais l’escalier de l’université en portant une valise contenant dix millions de marks (juste de quoi m’offrir un modeste repas), quand un collègue professeur de physique me rattrapa : « Est-ce que tu prends le trolley ? » me demanda-t-il. « Oui » lui répondis-je. « Dépêche-toi ! Le prix du ticket peut être relevé à 6 heures et nous ne pourrons pas nous le payer. »
(1) « Cette fois, c’est différent : huit siècles de folie financière” par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff a été traduit en français par l’éditeur Pearson
(2) « Sarkozy, un président sans précédent » par Thierry Desjardins
(3) Édition du Wall Street Journal du 12 février 2010 : « IMF tells bankers to rethink inflation »
(4) Edition du Barrons’s Magazine du 6 novembre 2010 : “China’s Sure Bet » par Leslie Norton
(5) Edition du Wall Street Journal du 27 octobre 2010 : « Bernanke on Gradualism (and Miniature Golf) » par Sudeep Reddy
(6) « An Inflation Primer : Prices, Debt and the Declining Dollar » par Melchior Palyi en 1961 est disponible sur Amazon