Difficile de dire si la Française des jeux (FDJ) « joue gros » avec Amigo, le successeur annoncé du Rapido, comme l’a précisé dernièrement les Echos ( 9 septembre 2010). Une chose est certaine le lancement de ce «nouveau» jeu apparaît singulier vu le contexte et les raisons ( officielles ou officieuses) qui poussent la FDJ à effectuer ce renouvellement.
Rapido était-il réellement obsolète? Rien n’est moins sûr. Même si le CA de Rapido avait baissé de 30% de 2007 à 2010, il était encore en 2009 un vrai jack pot pour la FDJ, le premier des jeux de l’opérateur historique (1,7 milliards d’euros) devant le Loto (1,6 ME)
Le lancement d’Amigo , qui a été testé dans quatre régions et sera présenté officiellement dans la ville de Martine Aubry le 4 octobre prochain avant d’être généralisé dans tout le réseau de la FDJ en 2011, appelle donc différents commentaires et une analyse critique.
Dans le domaine purement ludique ce nouveau jeu n’a rien de révolutionnaire, c’est un jeu de tirage immédiat. Il faut cocher quelques numéros sur une grille principale ( 9 sur une grille de 45) , un autre sur une grille jack pot et ensuite attendre le tirage qui apparaît sur un écran, comme pour le Rapido. Les caractéristiques socio ludiques générales d’Amigo sont en réalité les mêmes que celle de Rapido : temporalités ludiques, temps de jeu, fréquence des tirages ; espace de jeu de proximité accessible facilement
- Amigo est, comme Rapido un jeu permanent comme l’aiment certaines catégories de joueurs, qu’on trouve aussi dans les points cours PMU, sur les hippodromes et dans les salles de machines à sous. Cette permanence du jeu (chaque journée de tirage Amigo «s’ écoulera» sur une très longue plage ludique, de 5hoo du matin à 23h55) autorise des temporalités immuables et un jeu quasi permanent. Quand la FDJ avait lancé ce jeu en 1999 c’était pour concurrencer le jeu permanent qu’offre quotidiennement les casinos avec leurs bandits manchots, le PMU avec ses paris hippiques dans ses points courses ou sur les hippodromes. Avec cet avantage que les joueurs n’avaient pas besoin de se déplacer sur un hippodrome ou dans une exploitation pour s’adonner à cette passion ludique récurrente du Rapido. Ensuite il était beaucoup plus facile psychologiquement, culturellement pour une majorité de Français, d’aller jouer dans un bar Tabac Rapido que d’aller flamber dans un casino ou sur un champ de courses, espaces encore synonymes parfois d’enfer du jeu Cette deux proximités (géographique et psy-sociologique) expliquent le succès du Rapido, devenu le n° 1 des produits de la FDJ en quelques années.
- Autre caractéristique de ce jeu simple - toujours sur le registre du temps - la fréquence. Comme Rapido, Amigo apparaît comme un jeu a très haute fréquence. Un tirage toutes les 5 minutes, soit le chiffre impressionnant de 227 tirages par jour ! On peut s’étonner que la FDJ lance un jeu à très haute fréquence alors qu’elle met soi disant en avant une politique de jeu responsable et raisonnable.Certes Rapido était encore plus rapide : un tirage toutes les deux minutes et demi ( !) mais sur le registre du temps les caractéristiques socio ludiques et ethno et micro sociologiques d’Amigo sont en réalité les mêmes que celles du Rapido (qui contrairement à ce que son nom indiquait était un jeu très lent).
- Amigo sera un jeu très lent comme Rapido car les joueurs qui jouent à ce jeu (qui ne sont pas forcément des actifs) , outre l’argent viennent surtout acheter du temps, passer un moment ou tuer le temps. Mais ce temps immuable, répétitif (qu’offre Rapido et désormais Amigo), n’est pas forcément ennuyeux pour le joueur car à chaque tirage : tout est possible. Cette ambivalence est caractéristique des perspectives existentielles qu’autorisent ces jeux permanents
En final malgré les discours de la FDJ, Amigo apparaît bien comme le clone de Rapido (on ne change pas une formule qui marche si bien, ou alors à la marge) qui doit capter les 3 millions de joueurs de Rapido, et sans doute avec la volonté de Christophe Blanchard Dignac d’en capter beaucoup d’autres ( ce qui la aussi pose problème vis-à-vis du discours officiel du Pdt de la FDJ sur le jeu responsable).
D’autres raisons contextuelles ( conjoncturelles et structurelles) doivent donc être mentionnées pour expliquer ce renouvellement. Car les raisons officielles annoncées par la FDJ (1) dans ces communiqués de presse n’ont d’intérêt que d’un strict point de vue marketing ou pour créer le buzz et occuper les médias (1):
Faire évoluer la clientèle en la féminisant et en la rajeunissant
* Amigo symbolise une nouvelle génération de jeux de tirage conçu comme un programme de divertissement ancré dans la convivialité * Amigo sera diffusé sera un canal de divertissement sur écran numérique accompagné d’un programme interactif ( information météo, quiz de culture)
Toujours sur ce registre marketing signalons le nom de ce (faux) nouveau jeu : Amigo, qui signale d’évidence que la FDJ veut faire ami ami avec ses clients. Mais il n’est pas certain qu’un simple changement de nom suffise à redorer l’image d’un jeu qui, quand il se nommait Rapido, a été vilipendé comme très addictif par la doxa du jeu pathologie maladie, financée (et nous avons dénoncé ce conflit d’intérêt dans de nombreux articles) par la Française des jeux elle même ! Rapido suggérait le gain rapide, immédiat (rapido ça banque illico). Si Amigo apparaît comme un nom sympa, positif, consensuel, il comporte néanmoins un aspect démagogique et politiquement correct qui peut faire sourire .
Sur ce registre du jeu excessif signalons que la FDJ précise dans son communiqué que « ce nouveau concept Amigo a associé pendant deux ans les équipes créatives, les forces de vente, des joueurs et des non joueurs, des détaillants et….des experts du jeu responsable »
Avec cette dernière remarque nous sommes au cœur du cyclone qui signale:
- le contexte du lancement d’ Amigo
- les contradictions dans lesquelles se trouve la FDJ (vis-à-vis de ce jeu mais plus globalement vis à vie de sa croissance)
Le contexte c’est bien entendu la question du jeu pathologique et la politique de jeu responsable de la FDJ qui devrait y remédier. En faisant ami ami avec la doxa du jeu pathologie maladie la FDJ, et ensuite en la finançant , la FDJ a cru faire un mariage de raison tout en répondant à une demande politique (nationale et européenne) en matière de santé publique. Elle en en réalité ouvert une boîte de Pandore. Sans preuve scientifique mais avec un grand battage médiatique, cette doxa très opportuniste (1) a réussi à faire apparaître Rapido comme un jeu très addictif obligeant l’opérateur a organisé (en 2008) un Rapido pasteurisé mais ou les fondamentaux ludiques restaient inchangés. Cela n’a pas suffit à faire taire les critiques et le mal était fait. Malgré la baisse du CA de 30% ( due sans doute essentiellement à l’interdiction de fumée dans les cafés et à la crise économique) l’étiquette addictive reste collée au Rapido qui est montré du doigt par les politiques, les médias
(1) On s’aperçoit que la doxa du jeu pathologie maladie outre son caractère opportuniste et intéressé, à l’art de retourner sa veste… toujours du bon coté. Au départ c’était la roulette et le casino qui étaient les jeux les plus addictifs ( le mythe de l’enfer du jeu, le figure du joueur dostoïevskien canonisée par Freud) , ensuite on a eu les machines à sous ( le mythe du joueur onanistique, seul devant sa machine) et ensuite le Rapido (qualifié «d’assommoir contemporain» dans un article du Monde diplomatique) et depuis quelques mois ce sont les jeux d’argent en ligne qui seraient le plus addictogènes. ( le joueur désocialisé, seul devant son ordinateur) avant que peut être Amigo ne le devienne. Méditons sur le caractère évolutiste/opportuniste et contradictoire du discours de la doxa du jeu pathologie maladie. Il faut réaliser des études pluridisciplinaires sur ces jeux sans a priori, et c’est à un observatoire des jeux de les réaliser et non à la doxa du jeu pathologie maladie de le faire car leurs réponses sont déjà incluses dans leurs hypothèses et leurs questionnements. Et comme on trouve forcément ce qu’on cherche…… cette position est scientifiquement et épistémologiquement très dangereuse.
Par Jean-Pierre G. MARTIGNONI ( sociologue)