Faut-il sauver l'éducation américaine ? (2) La leçon réformiste de Nicholas Lemann

Publié le 09 novembre 2010 par Olivier Beaunay

Dans une des dernières livraisons du « Talk of the Town » du New Yorker, Nicholas Lemann revient sur le paradoxe de la crise de l’école. Chaque jour, 50 millions d’Américains passent sur les bancs de l’école publique, 20 millions supplémentaires fréquentent l’enseignement supérieur : une réussite d’autant plus remarquable que seuls respectivement 8,5 % et 2 % des Américains parvenaient à ce niveau il y un siècle. Pour Lemann, l’éducation, qui ne figure pourtant en aucun endroit de la constitution des Etats-Unis, est une des grandes réussites de l’Amérique.

Pourtant, rarement le débat sur la faillite du système n’a été aussi vif. Documentaires, enquêtes, essais : les attaques fusent de toutes parts contre l’école. Andrew Hacker et Claudia Dreyfus viennent de signer un « Higher Education ? » pour le moins sceptique, tandis que Mark C. Taylor publie un « Crisis On Campus » qui se passe de commentaires. Or ce sur quoi s’appuient ces analyses critiques, c’est essentiellement le problème de l’éducation de très faible qualité pour les  enfants issus des minorités pauvres et urbaines au sein de l’école publique.

En faisant de ce segment la pierre angulaire de son projet de « Grande Société » en 1965, Lyndon Johnson a préparé de réels progrès dans ce domaine, qui se sont concrétisés dans les années 70 et 80. Depuis lors, l’écart entre enfants blancs et noirs s’est globalement stabilisé. La solution viendrait-elle alors des «charters schools » qui ont le vent en poupe ? Ces écoles particulières qui ont la possibilité, sous contrat, de s’affranchir des règles communes moyennant des objectifs de résultat précis, tendent en effet à se multiplier ; mais leur performance d’ensemble, au-delà de quelques réussites spectaculaires, n’a pas encore été établie.

De même, le procès fait à l’enseignement supérieur, bien que moins vif, commence lui aussi à prendre une certaine ampleur. Un ensemble trop divers, souvent très redondant, excessivement sélectif ? Certes, pour Lemann, le système est loin d’être sans défaut. En même temps, malgré la crise, son attractivité non seulement en Amérique mais, de plus en plus, dans les autres pays du monde, ne se dément pas. Et ce malgré un système qui, selon Taylor, serait basé sur un contrat de dupes entre des étudiants surchargés de travail et un système d’encadrement et d’animation marqué par un certain retrait des enseignants…

Derrière ce procès généralisé de l’enseignement américain, Lemann voit en réalité le syndrome de l’Arche de Noé : si le système paraît si largement corrompu, autant s’en débarrasser radicalement et reconstruire sur des bases neuves et saines... Louable inspiration, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’ambition des premières communautés américaines par opposition à la vision décadente qu'elles avaient du Vieux Continent. Pourtant, note Lemann, comment ne pas voir que tous les domaines qui, dans l’histoire américaine des trente dernières années, se sont vus soumis à une remise en cause aussi radicale – la dérégulation du système bancaire ou la refondation de l’Irak pour prendre deux exemples parmi les plus saillants – se sont soldés par des échecs ?

L’obligation morale pour Lemann dans ce contexte, c’est de concentrer les efforts sur les points manifestement faibles du système – essentiellement l’éducation primaire des plus défavorisés –, en résistant aux tentations « héroïques » d’une remise en cause d’ensemble. En somme, pour être meilleurs, ajustons la posture et soyons plus concrets. Voilà une leçon qui, non contente d’être réformiste, est aussi diablement américaine.

NB : Cet article paraît également sur les sites nonfiction.fr et sciencespo.org.